Vu 1°, enregistrés les 18 septembre 2009 et 14 octobre 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles sous le n° 09VE03180, la requête et le mémoire ampliatif présentés pour la société BATGECO, dont le siège est 68 bis, boulevard Pereire à Paris (75017), par la SCP Roger et Sevaux, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société BATGECO demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 0708577 en date du 24 août 2009 par laquelle le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant comme juge des référés, a rejeté sa demande tendant à ce que lui soit versée, à titre de provision, la somme de 561 118,22 euros HT, soit 671 097,39 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de la réclamation juridictionnelle ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi par elle du fait de la résiliation anticipée, par l'hôpital Simone Veil, du lot n° 1 gros oeuvre d'un marché de travaux ;
2°) de condamner l'hôpital Simone Veil à lui verser, à titre de provision, la somme de 671 097,39 euros TTC augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'hôpital Simone Veil la somme de 6 000 euros HT au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle fait valoir que, par acte d'engagement du 18 février 2004, elle s'est vu confier le lot gros oeuvre des travaux de construction des unités dites Piaget et Wallon de l'hôpital Simone Veil à Eaubonne pour un montant de 954 478 euros HT (1 141 556 euros TTC) ; que, par ordre de service du 15 mars 2004, a été notifié le démarrage du chantier ; que la société BATGECO a commis une erreur évaluée par elle à 152 964 euros en sa défaveur sur les quantités d'acier nécessaires à l'exécution des travaux ; que, parallèlement, le bureau de contrôle a commandité un rapport complémentaire sur la stabilité du sol, les deux études précédentes s'avérant contradictoires entre elles ; que cette nouvelle étude, rendue fin décembre 2004, a conduit à une solution dite murs périphériques en sous-sol , différente de celle prévue par le marché de base ; que cette solution a été chiffrée à 530 000 euros HT par l'entreprise et à 340 500 euros HT par la maîtrise d'oeuvre ; que, compte tenu de l'importance de ces travaux supplémentaires représentant, selon l'estimation de l'entreprise ou de la maîtrise d'oeuvre, 55,5 % ou 36 % du marché initial, le centre hospitalier a, le 24 juin 2005, prononcé la résiliation du marché pour un motif d'intérêt général tiré du bouleversement de l'économie du contrat ; que la société BATGECO a sollicité une indemnité de 362 182 euros HT en réparation du préjudice consécutif à la résiliation de son marché, par courrier recommandé du 27 janvier 2006 puis dans son projet de décompte final adressé le 24 avril 2006 à la personne responsable du marché, et, enfin, a mis celle-ci en demeure d'établir le décompte de résiliation par courrier recommandé du 20 juillet 2007 ; qu'en parallèle, l'entreprise a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande au fond le 13 juillet 2006 puis le juge des référés d'une demande de provision le 27 juillet 2007 ; que, par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal a rejeté sa demande comme non dépourvue de caractère contestable ; qu'en premier lieu, aucune fin de non-recevoir ne peut être opposée à l'entreprise dès lors que le maître d'ouvrage a été mis en demeure, préalablement à la saisine du juge des référés, d'établir le décompte du marché résilié ; que, d'autre part, la créance dont se prévaut l'entreprise n'est pas sérieusement contestable dès lors que la décision de l'administration de mettre fin unilatéralement à un contrat ouvre droit au profit de l'entreprise à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis y compris la perte de bénéfice ; que l'administration est tenue de rétablir l'équilibre financier du contrat en indemnisant à la fois les pertes subies et le manque à gagner ; que le juge administratif accepte depuis 2003 d'accorder une indemnisation, par la voie du référé provision, à un cocontractant ayant subi une résiliation unilatérale de son contrat ; que la société BATGECO a été maintenue dans une situation d'attente de démarrage des travaux jusqu'au 24 juin 2005 ; que les charges et coûts engagés en vue du marché s'élèvent (HT) à 52 687 euros et 136 566 euros auxquels il faut ajouter 335 230 euros de frais fixes, 28 634 euros de perte de bénéfice et 8 000 euros de dommages et intérêts ;
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Vu 2°, enregistrée le 22 novembre 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles sous le n° 10VE03658, la requête présentée pour la société BATGECO, par la SCP Roger et Sevaux, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société BATGECO demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0606606 en date du 17 septembre 2010 lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à ce que lui soit versée la somme de 561 118,22 euros HT, soit 671 097,39 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de la réclamation juridictionnelle ainsi que de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi par elle du fait de la résiliation anticipée, par l'hôpital Simone Veil, du lot n° 1 gros oeuvre d'un marché de travaux ;
2°) de condamner l'hôpital Simone Veil à lui verser la somme de 671 097,39 euros TTC augmentée des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'hôpital Simone Veil la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La société BATGECO fait valoir les mêmes moyens que sous la requête n° 09VE03180 et en outre les moyens que le jugement, en ce qu'il omet de viser le cahier des clauses administratives générales Travaux , est irrégulier ; que les premiers juges ont opposé à sa demande une fin de non-recevoir tirée de ce que l'entreprise n'avait pas mis le maître d'ouvrage en demeure d'établir le décompte général ; que toutefois la demande indemnitaire de l'entrepreneur fondée sur les conséquences fautives de la résiliation unilatérale d'un marché n'est pas soumise à la procédure spécifique d'élaboration du décompte général décrite à l'article 13 du cahier des clauses administratives générales ; que, dans ces conditions, en adressant au maître d'ouvrage, le 27 janvier 2006, un mémoire de réclamation au maître d'ouvrage au sens de l'article 50.22 du même cahier, l'entreprise a satisfait à l'obligation de mise en oeuvre d'une procédure de recours préalable avant la saisine du juge administratif ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 7 avril 2011 :
- le rapport de Mme Corouge, présidente,
- les conclusions de M. Davesne, rapporteur public,
- et les observations de Me Jaouen pour l'hôpital Simone Veil ;
Considérant que les requêtes nos 09VE03180 et 10VE03658 de la société BATGECO sont relatives aux conséquences indemnitaires de la résiliation d'un même marché ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt ;
Considérant que, par acte d'engagement du 18 février 2004, la société BATGECO s'est vu attribuer par l'hôpital Simone Veil le lot n° 1 gros oeuvre des travaux de reconstruction des bâtiments Piaget-Wallon sur le site d'Eaubonne (Val-d'Oise) pour un montant de 954 478 euros HT (1 141 556 euros TTC) ; que, l'ordre de service de démarrage du chantier ayant été délivré le 15 mars 2004, l'hôpital Simone Veil a, le 24 juin 2005, prononcé la résiliation du marché pour un motif d'intérêt général tiré du bouleversement de l'économie du contrat en raison de travaux non prévus initialement ; que, le 22 novembre 2010, la société BATGECO a relevé régulièrement appel du jugement en date du 17 septembre 2010, notifié à l'entreprise le 24 septembre 2010, par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté comme irrecevable sa demande tendant au versement d'une indemnité en réparation du préjudice résultant pour elle de la résiliation anticipée du marché ;
Considérant qu'aux termes de l'article 46.1 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en cause : Il peut être mis fin à l'exécution des travaux faisant l'objet du marché, avant l'achèvement de ceux-ci par une décision de résiliation du marché qui en fixe la date d'effet. / Le règlement du marché est fait alors selon les modalités prévues aux 3 et 4 de l'article 13, sous réserve des autres stipulations du présent article. / Sauf dans les cas de résiliation prévus aux articles 47 et 49, l'entrepreneur a droit à être indemnisé, s'il y a lieu, du préjudice qu'il subit du fait de cette décision. Il doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général ; et qu'aux termes de l'article 13.3 du même document : 13.31 Après l'achèvement des travaux l'entrepreneur (...) dresse le projet de décompte final établissant le montant total des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, les évaluations étant faites en tenant compte des prestations réellement exécutées (...) 13.32 Le projet de décompte final est remis au maître d'oeuvre dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de la notification de la décision de réception des travaux ; que ces stipulations combinées n'impliquent l'établissement d'un décompte général en cas de résiliation d'un marché que lorsque les travaux exécutés par l'entrepreneur ont été réceptionnés par le maître d'ouvrage ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de résiliation du marché, le marché n'avait pas dépassé le stade de la préparation du chantier et que les travaux du lot gros oeuvre n'avaient reçu aucun commencement d'exécution ; que, dans ces conditions, l'entrepreneur n'était pas tenu de remettre un projet de décompte final du marché résilié et le maître d'ouvrage n'était pas davantage tenu d'établir d'office le décompte final ; qu'en rejetant comme irrecevable la demande de la société BATGECO au motif qu'elle ne pouvait saisir le juge administratif avant d'avoir mis en demeure l'hôpital de lui notifier son décompte final, les premiers juges ont commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, la société BATGECO est fondée à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société BATGECO devant le Tribunal administratif ;
Considérant qu'aux termes de l'article 50-22 du cahier des clauses administratives générales Travaux : Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à la dite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage et qu'aux termes de l'article 50-31 : Si dans le délai de trois mois à partir de la date de réception par la personne responsable du marché de la lettre ou du mémoire de l'entrepreneur mentionné aux articles 21 et 22 du présent article, aucune décision n'a été notifiée à l'entrepreneur, ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif compétent. Il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché ;
Considérant que, par courrier en date du 26 janvier 2006, l'entrepreneur a demandé au maître d'ouvrage l'indemnisation du préjudice résultant pour lui de la résiliation du marché ; qu'ainsi, le litige opposant la société BATGECO à l'hôpital Simone Veil doit être regardé comme constituant un différend survenu directement, au sens des dispositions de l'article 50-22 précité, entre la personne responsable du marché et la société ; que la demande d'indemnisation adressée le 26 janvier 2006 à l'hôpital par l'entrepreneur ayant été implicitement rejetée à l'issue du délai de trois mois institué par l'article 50-31 précité, la société pouvait saisir, sans condition de délai, le tribunal administratif compétent et porter devant lui, comme elle l'a fait, les chefs et motifs de réclamation énoncés dans sa lettre du 26 janvier 2006 ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'hôpital Simone Veil ne peut qu'être rejetée ;
Sur l'indemnité de résiliation :
Considérant qu'en l'absence de toute faute de sa part, l'entrepreneur a droit à la réparation intégrale du préjudice résultant pour lui de la résiliation anticipée de son marché pour un motif d'intérêt général, y compris la perte de bénéfice ; que l'hôpital Simone Veil n'ayant notifié à l'entrepreneur aucune proposition d'indemnisation, celui-ci est fondé à demander au juge du contrat l'établissement des comptes entre les parties ;
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de la situation n° 1 établie en juin 2004 par la société BATGECO qu'à cette date, les plans d'exécution du poste études béton et l'installation du chantier étaient réalisés à hauteur respectivement de 80 % et de 10 %, pour un montant de 30 400 euros HT en ce qui concerne les plans d'exécution et de 6 800 euros HT en ce qui concerne l'installation du chantier ; qu'en outre, l'entreprise établit avoir fait réaliser, courant 2005, à la demande du maître d'ouvrage, une étude complémentaire intitulée variantes infrastructure pour un montant de 6 000 euros HT ; que, par suite, l'entreprise est fondée à demander à être indemnisée de la valeur de ces prestations ; qu'en revanche, les travaux du lot gros oeuvre n'ayant reçu aucun commencement d'exécution, la demande de la société BATGECO tendant au versement d'une somme de 84 847 euros à ce titre ne peut être accueillie ;
Considérant, en second lieu, que l'entreprise établit avoir engagé, en sus des prestations prévues au contrat, des excédents de dépenses constitués par des frais de déplacement et de gestion administrative du chantier ainsi que des frais d'huissier et d'avocat présentant un lien direct avec les atermoiements de l'administration ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces surcoûts en les évaluant à 2 000 euros HT pour les honoraires d'huissier et d'avocat qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits eu égard à l'inertie de la personne responsable du marché et à 5 000 euros HT pour le surplus ; que, si l'entreprise demande en outre l'indemnisation des frais de fonctionnement consécutifs aux quinze mois d'attente avant l'intervention de la décision de résiliation, les éléments qu'elle produit au soutien de sa demande ne suffisent pas à établir la réalité du préjudice dont elle se prévaut ;
Considérant, enfin, que l'hôpital Simone Veil ayant décidé de procéder à la résiliation du marché pour un motif d'intérêt général, l'entreprise est fondée à obtenir, outre les dépenses effectivement exposées par elle au bénéfice de l'hôpital, une indemnité de résiliation représentant sa perte de bénéfice ; que, compte tenu de ce que l'erreur commise par l'entreprise sur les quantités d'acier à mettre en oeuvre était susceptible de réduire la rentabilité de l'opération, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner de la société BATGECO en le fixant à 2 % de la partie résiliée du marché, soit la somme de 18 000 euros HT ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société BATGECO est en droit prétendre à une indemnité de résiliation de 68 200 euros HT ; que, compte tenu de la somme de 54 368 euros HT déjà versée à l'entreprise, l'indemnité dont elle est fondée à demander le paiement s'élève à 13 832 euros HT soit 16 543 euros TTC ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant qu'il convient de fixer le point de départ des intérêts légaux auxquels a droit la société BATGECO au 13 juillet 2006, date de saisine par cette société du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande contentieuse d'indemnisation ; que l'entreprise a demandé la capitalisation des intérêts le 25 juillet 2007 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur la requête n° 09VE03180 :
Considérant que l'établissement des comptes entre les parties résultant du présent arrêt prive d'objet la présente instance tendant au versement d'une provision ; que, par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête susvisée de la société BATGECO ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés par l'hôpital Simone Veil soient mis à la charge de la société BATGECO, qui n'est pas la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'hôpital Simone Veil la somme de 4 000 euros ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement en date du 17 septembre 2010 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : L'hôpital Simone Veil est condamné à verser à la société BATGECO une somme de 16 543 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2006. Les intérêts échus le 25 juillet 2007 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'hôpital Simone Veil versera à la société BATGECO la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 09VE03180 de la société BATGECO.
Article 5 : Les conclusions de l'hôpital Simone Veil tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et le surplus des conclusions présentées par la société BATGECO sont rejetés.
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Nos 09VE03180-10VE03658