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19/11/2010 | FRANCE | N°09VE00839

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 19 novembre 2010, 09VE00839


Vu la requête, enregistrée le 10 mars 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Frantz A, demeurant ..., par Me Moutel ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0602057 en date du 5 janvier 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles, d'une part, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 104 897,60 euros et, d'autre part, lui a infligé une amende pour recours abusif ;

2°) de condamner l'Etat de lui verser la somme globale de 104 897,60 euros en réparation du préj

udice subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros...

Vu la requête, enregistrée le 10 mars 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Frantz A, demeurant ..., par Me Moutel ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0602057 en date du 5 janvier 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles, d'une part, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 104 897,60 euros et, d'autre part, lui a infligé une amende pour recours abusif ;

2°) de condamner l'Etat de lui verser la somme globale de 104 897,60 euros en réparation du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé et en ce que son droit à un procès équitable, tel qu'il est garanti par le 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ; que le tribunal a méconnu les règles d'administration de la preuve ; que lui-même a été victime de discrimination et d'harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions ; que ces agissements établissant la discrimination et le harcèlement moral engagent la responsabilité de l'Etat au regard des articles 6, 6 quinquiès et 20 de la loi du 13 juillet 1983 ; que son préjudice financier s'élève à 72 911,7 euros de perte de revenus compte tenu de son mi-temps lié à la dégradation de sa santé morale, 2 721,22 euros de suppression du supplément familial de traitement et 1 265 euros de remboursement de frais de transport non versés ; que sa perte de chance d'avoir une évolution de carrière s'élève à 4 000 euros, les torts portés à sa réputation personnelle et professionnelle à 4 000 euros et son préjudice moral et physique résultant des traitements discriminatoires et de la dégradation de ses conditions de travail à 20 000 euros ; que son recours n'étant pas dénué de tout fondement, l'amende pour procédure abusive est sévère et injuste ;

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 novembre 2010 :

- le rapport de M. Bigard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Soyez, rapporteur public ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : La décision mentionne que l'audience a été publique (...). Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ; que la minute du jugement figurant au dossier de première instance ne vise pas le mémoire en défense produit par le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ni le mémoire en réplique déposé par M. A au greffe du tribunal administratif ; que, dès lors, M. A est fondé à soutenir que le jugement attaqué étant entaché d'une irrégularité substantielle, il doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif de Versailles ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant, qu'aux termes de l'article 6 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la même loi : aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...). ;

Considérant, en premier lieu, qu'à supposer que lors de son affectation à partir du 15 novembre 1993, à la cellule n° 2 du service notation , M. A aurait fait l'objet de propos racistes de la part de ses collègues, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration, qui a réagi en l'affectant en mars 1995 dans une autre cellule, ait d'une quelconque manière contribué à ces agissements fautifs ni qu'elle les aurait couverts ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. A soutient que les changements d'affectation dont il a fait l'objet constituaient des sanctions déguisées ; que, cependant, d'une part, il résulte de l'instruction que, ainsi qu'il vient d'être dit, le changement de cellule de l'intéressé au sein du service notation en mars 1995 était motivé par la dégradation de ses relations avec ses collègues et est donc intervenu dans l'intérêt du service ; que, d'autre part, son changement d'affectation en 1996 au bureau des études générales ne saurait être en lui-même regardé comme une sanction ;

Considérant, en troisième lieu, que si M. A se plaint d'avoir été défavorisé dans la gestion faite par l'administration de sa rémunération et des compléments de celle-ci, il n'établit pas avoir été victime à ce titre de discrimination ; qu'ainsi, s'il n'a pas bénéficié du versement du supplément familial de traitement dû à raison de deux enfants, il ne résulte pas de l'instruction que M. A aurait déclaré à son administration la naissance de son deuxième enfant ; que si le versement du supplément familial de traitement et le remboursement des frais de transport lui ont été supprimés à partir de février 2004, les périodes concernées correspondent à celles pendant lesquelles il était en congé de formation ; que si le requérant prétend avoir subi une perte de rémunération du fait qu'il a été contraint de demander un mi-temps, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des motifs qu'il avait avancés en vue de cette demande, le 18 décembre 1995, que celle-ci serait le fruit d'une contrainte ; qu'enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la décision en date du 21 décembre 2001 fixant à 0,60 le coefficient individuel de primes de M. A et les notations, anormalement basses selon lui, dont il aurait fait l'objet de 1995 à 2005 reposeraient sur un autre motif que sa manière de servir ;

Considérant, en cinquième lieu, que les difficultés mises par l'administration pour communiquer à l'intéressé le rapport du 14 octobre 1996 établi à la suite de son recours en révision de sa notation au titre de l'année 1995, le fait qu'il n'aurait pas été destinataire d'informations internes en matière de formation et de préparation aux examens et aux concours ou que certaines de ces informations lui sont parvenues après les dates de clôture des inscriptions ne révèlent pas un harcèlement moral ou une discrimination au sens des articles précités de la loi du 13 juillet 1983 ;

Mais considérant, en sixième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de son affectation au bureau des études générales en 1996, M. A ne s'est vu attribuer jusqu'à son détachement auprès du ministère de la Justice en octobre 2005, aucun travail effectif ; que l'administration, qui reconnaît ne pas pouvoir produire une fiche descriptive de son poste ni même un exposé approximatif des tâches qui lui étaient confiées, n'est en mesure de ne faire état, sur une période de près de dix années, que de quelques missions ponctuelles et d'une utilité toute relative dont la réalisation ne nécessite normalement que quelques jours de travail ; que si cet état de fait peut s'expliquer par la mauvaise image qu'avait l'intéressé au sein de son service, sa production étant décrite par ses supérieurs hiérarchiques comme proche du néant , au point que son travail était réalisé par son chef de cellule , la relégation dont il a ainsi fait l'objet pendant une période particulièrement longue, qui ne saurait se substituer aux sanctions disciplinaires prévues par les lois et règlements qu'il appartenait à l'administration le cas échéant de prononcer, est constitutive de harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ; qu'elle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. A ;

Considérant, toutefois, que le requérant a largement contribué, par son attitude, à la dégradation des conditions de travail dont il se plaint ; que, notamment, il a fait preuve d'une mauvaise volonté persistante et d'un comportement querelleur durant l'accomplissement des rares tâches qui lui ont été confiées ; que, tout en dénonçant sans cesse la situation selon lui injuste qui lui était faite, il n'a pas sérieusement cherché, pendant la période en cause, à la modifier ni à obtenir une affectation plus en rapport avec ses goûts et ses compétences ; que, si ce comportement de l'intéressé n'est pas de nature à retirer leur caractère fautif aux agissements rappelés précédemment de sa hiérarchie, il est du moins, dans les circonstances de l'espèce, de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat à hauteur des deux tiers des conséquences dommageables de ceux-ci ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le requérant n'est pas fondé à demander le versement d'une somme de 2 182,28 euros au titre du supplément familial de traitement et celle de 687,20 euros au titre de frais de transport non versés ; que s'il soutient avoir subi des préjudices résultant tant de l'atteinte à sa réputation personnelle et professionnelle que de la perte de chance d'avoir une évolution de carrière normale, il ne résulte pas de l'instruction que compte tenu de sa manière de servir, le requérant aurait pu avoir, même en ne subissant aucune dégradation dans ses conditions de travail, des chances sérieuses de promotion ; que les troubles de santé qu'il allègue ne sont pas établis ; qu'en revanche, M. A justifie avoir subi, du fait des agissements susdécrits, un préjudice moral ; qu'il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 6 000 euros ; que, compte tenu du partage de responsabilités indiqué précédemment, il y a lieu de condamner l'Etat à verser au requérant la somme de 2 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles en date du 5 janvier 2009 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A la somme de 2 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 09VE00839
Date de la décision : 19/11/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DEMOUVEAUX
Rapporteur ?: M. Eric BIGARD
Rapporteur public ?: M. SOYEZ
Avocat(s) : MOUTEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2010-11-19;09ve00839 ?
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