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05/03/2009 | FRANCE | N°06VE01844

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 05 mars 2009, 06VE01844


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 8 août 2006, présentée pour le DEPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE, représenté par le président du conseil général, dont le siège est situé Hôtel du département, 2 à 16 boulevard Soufflot à Nanterre (Hauts-de-Seine), par Me Jacqmin, avocat au barreau de Paris ; le DEPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE demande à la Cour :

1° / à titre principal :

- d'annuler le jugement n° 0404877 du 29 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Versailles l'a condamné à verser :

* la som

me de 150 000 euros aux consorts C en réparation des conséquences dommageables résultan...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 8 août 2006, présentée pour le DEPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE, représenté par le président du conseil général, dont le siège est situé Hôtel du département, 2 à 16 boulevard Soufflot à Nanterre (Hauts-de-Seine), par Me Jacqmin, avocat au barreau de Paris ; le DEPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE demande à la Cour :

1° / à titre principal :

- d'annuler le jugement n° 0404877 du 29 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Versailles l'a condamné à verser :

* la somme de 150 000 euros aux consorts C en réparation des conséquences dommageables résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C de M. Jacques C, leur époux et père, décédé le 23 janvier 2003 ;

* la somme de 10 218,52 euros à la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine en remboursement de ses débours ;

- de rejeter les demandes des consorts C et de la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine ;

2° / à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnisation accordée aux consorts C à de plus justes proportions ;

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a considéré, d'une part, que M. C s'était vu administrer des produits sanguins lors de son hospitalisation à la « clinique des Bourguignons » en 1984 et, d'autre part, que ces produits provenaient de l'ancien centre départemental de transfusion sanguine d'Asnières ; que la responsabilité de ce centre ne pouvait donc être mise en jeu ; subsidiairement, que le tribunal n'a pas motivé le montant des indemnités accordées, qui sont en outre excessives ;

.............................................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 février 2009 :

- le rapport de Mme Barnaba, premier conseiller,

- les observations de Me Cordani, substituant Me Bizard, pour les consorts C,

- les conclusions de Mme Grand d'Esnon, rapporteur public,

- et les nouvelles observations de Me Cordani ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'avant d'arrêter à la somme de 150 000 euros le montant de l'indemnisation des conséquences dommageables résultant, pour M. C, de sa contamination par le virus de l'hépatite C, le tribunal administratif a indiqué avec précision la nature et l'importance des divers chefs de préjudices subis par le requérant de son vivant ; qu'ainsi, le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi susvisée du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ;

Considérant que la présomption légale instituée par cette disposition ne s'applique qu'à la relation de cause à effet entre une transfusion et la contamination par le virus de l'hépatite C ultérieurement constatée, mais ne concerne pas l'existence même de la transfusion soupçonnée d'avoir causé cette contamination ; qu'il incombe donc au demandeur d'établir l'existence de la transfusion qu'il prétend avoir subie, selon les règles de droit commun gouvernant la charge de la preuve devant le juge administratif et, par suite, d'apporter un faisceau d'éléments présentant un degré suffisamment élevé permettant d'établir la réalité de cette opération ;

Considérant que M. Jacques C, qui souffrait d'une péritonite appendiculaire, a été hospitalisé le 2 janvier 1984 à la clinique des Bourguignons, située à Asnières, où il a subi une intervention chirurgicale ; qu'à la suite d'une nouvelle hospitalisation en février 1984 à l'hôpital Louis Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), il a été établi que le requérant souffrait d'une hépatite « non A non B » ; que de nouveaux examens, réalisés en 1988 et en 1989, ont révélé que M. C était atteint du virus de l'hépatite C ; que, pour accorder aux héritiers de M. C, décédé le 23 janvier 2003, la réparation des préjudices subis par ce dernier, le tribunal administratif a considéré que la contamination de la victime par le virus de l'hépatite C résultait de la transfusion de produits sanguins à laquelle il a été procédé lors de son séjour à la clinique des Bourguignons en janvier 1984 et que les produits en cause avaient été fournis par le centre départemental de transfusion sanguine placé sous la responsabilité du DEPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE ; que l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, qui se trouve, en application de l'article 14 de l'ordonnance susvisée du 1er septembre 2005, substitué dans les droits et obligations du département, soutient que la preuve effective de la matérialité d'une transfusion de produits sanguins n'a pas été apportée en l'espèce ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport de l'expert, que les examens réalisés à l'hôpital Louis Mourier entre le 17 février et le 10 mars 1984 ont révélé que M. C présentait les signes d'une « hépatite aiguë » ; que le compte-rendu de l'hospitalisation de M. C dans cet établissement, établi en février 1984, mentionne une transfusion de plasma frais congelé effectuée un mois plus tôt à la clinique des Bourguignons ; que si ce compte-rendu émane d'un hôpital qui n'est pas celui dans lequel a été pratiquée l'appendicectomie, il est constant que l'indication d'une transfusion de plasma frais congelé, libellée dans des termes catégoriques, est contemporaine de l'opération en cause ; que l'hépatite C, qualifiée à l'époque des faits de « non A non B », a été diagnostiquée dans un délai compatible avec une contamination survenue au début du mois de janvier précédent ; que le caractère massif de l'infection alors constatée révèle une contamination de grande ampleur dont les caractéristiques correspondent à celles des infections résultant d'une transfusion sanguine ; que si l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG relève que l'identité du fournisseur du produit sanguin n'a pas été déterminée et qu'aucune enquête transfusionnelle concernant les donneurs n'a pu être réalisée, il résulte du rapport de l'expert que le fournisseur habituel en produits sanguins de la clinique des Bourguignons d'Asnières était le centre départemental de transfusion sanguine d'Asnières ; qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que M. C soit aurait été exposé à des risques de contamination du fait d'antécédents médicaux, soit se serait vu administrer des produits sanguins autrement que lors de l'intervention chirurgicale du 2 janvier 1984 ; qu'enfin, l'intéressé ne présentait pas de facteur de risque propre susceptible d'expliquer son affection hépatique ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants apportent la preuve que la contamination de M. C par le virus de l'hépatite C ne pouvait provenir que de l'administration, au cours de l'opération subie à la clinique des Bourguignons en janvier 1984, de produits sanguins provenant du centre départemental de transfusion sanguine d'Asnières ; que, dès lors les premiers juges ont, à bon droit, estimé que le lien de causalité entre les transfusions réalisées lors de l'appendicectomie et la contamination par le virus de l'hépatite C devait être tenu pour établi et qu'il y avait lieu, en conséquence, de condamner le DEPARTEMENT DES HAUTS-DE-SEINE à indemniser les ayants-droits de M. C du préjudice résultant de cette contamination ;

Sur le préjudice :

Sur les droits à réparation de M. C et le recours subrogatoire de la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine :

Considérant que le droit à réparation du préjudice subi par M. C est entré dans le patrimoine de ses héritiers, alors même que ce dernier n'avait, avant son décès, introduit aucune action tendant à la réparation de ces préjudices ;

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 portant financement de la sécurité sociale pour 2007, le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste du préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste du préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;

Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;

En ce qui concerne le préjudice à caractère patrimonial :

Considérant, en premier lieu, qu'au titre des dépenses de santé, la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine a justifié, en première instance, qu'elle avait servi des prestations en matière de frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation s'élevant, selon le relevé de ses débours, à la somme totale de 9 458,52 euros ; que c'est, par suite, à bon droit que le tribunal a condamné l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG à lui rembourser cette somme ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. C occupait un emploi de directeur commercial à l'exportation, au sein de la société GEC Alsthom ; que les consorts C, qui soutiennent que leur époux et père aurait subi une perte de revenus imputable à sa maladie, alors qu'il était encore en activité, ne produisent aucun commencement de justification à l'appui de cette allégation ; qu'en outre, si la société GEC Alsthom a prononcé le licenciement de M. C à compter du 31 janvier 1994, en indiquant que cette mesure intervenait compte tenu de son « inaptitude au travail résultant de sa maladie », il est constant que l'intéressé était, à cette date, âgé de soixante ans ; qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. C aurait été privé de perspectives professionnelles lui permettant d'envisager alors une promotion ou qu'il n'aurait pas été en mesure de bénéficier de la totalité de ses droits à la retraite ; qu'ainsi, l'existence même d'un préjudice professionnel n'est pas établie ; que les consorts C ne sont donc pas fondés à demander sur ce point , par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement ;

En ce qui concerne le préjudice à caractère personnel :

Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert que M. C a présenté une hépatite chronique avec une fibrose très extensive ; que les lésions constatées lors des examens ont révélé que la maladie avait évolué au stade de la cirrhose avec apparition de varices oesophagiennes ; que le traitement par interféron a dû être arrêté en raison de l'apparition de manifestations allergiques ; que M. C a enduré d'importantes souffrances physiques, a souffert d'asthénie et a présenté un syndrome dépressif ; que l'expert a relevé l'existence d'un préjudice esthétique résultant de poussées d'urticaire et de l'apparition de psoriasis ; que le tribunal n'a fait une appréciation ni insuffisante ni excessive de ces divers chefs de préjudices en les évaluant à la somme totale de 150 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le tribunal a, à bon droit, d'une part, fixé à 150 000 euros l'indemnisation à laquelle peuvent prétendre les consorts C, en réparation du préjudice subi par M. C de son vivant et, d'autre part, accordé à la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 9 458,52 euros en remboursement de ses débours et celle de 760 euros qu'elle demandait au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que les consorts C ont demandé, pour la première fois en appel, le versement des intérêts capitalisés, en application des articles 1153 et 1154 du code civil ; qu'ils ont effectivement droit à ce que la somme de 150 000 euros porte intérêts à compter du 18 octobre 2002, date de réception de leur demande préalable ; qu'ayant demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 22 mai 2008, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, en application des dispositions de l'article L. 761-1 susvisé du code de justice administrative, le versement d'une somme de 2 000 euros aux consorts C et de la somme de 800 euros que demande la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG est rejetée.

Article 2 : L'indemnité de 150 000 euros que le Tribunal administratif de Versailles a accordé aux consorts C sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2002. Les intérêts échus à la date du 22 mai 2008 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG versera aux consorts C la somme de 2 000 euros et à la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des consorts C est rejeté.

N° 06VE01844 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 06VE01844
Date de la décision : 05/03/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Françoise BARNABA
Rapporteur public ?: Mme GRAND d'ESNON
Avocat(s) : DUNIKOWSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2009-03-05;06ve01844 ?
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