Vu la requête, enregistrée le 5 mai 2006, présentée pour M. et Mme X, Mlle Angélique X et M. Sébastien X, demeurant ..., par Me Lebbad Megghar, avocat au barreau de Paris ; Les CONSORTS X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0501173 en date du 2 mars 2006 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'établissement public de santé Roger Prévot à réparer le préjudice qu'ils ont subi, résultant du décès de M. Stéphane X, leur fils et frère, survenu le 3 septembre 2002 ;
2°) de condamner l'établissement public de santé Roger Prévot à verser, d'une part, à M. et Mme X la somme de 15 000 euros et, d'autre part, à Mlle Angélique X et à M. Sébastien X la somme de 7 500 euros chacun, avec capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public de santé Roger Prévot la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Les CONSORTS X soutiennent que leur fils et frère Stéphane a été hospitalisé à la demande d'un tiers au centre hospitalier Roger Prévot le 13 mai 2002 puis le 12 juillet 2002 ; que malgré la gravité de son état, il a quitté cet établissement et a été accueilli au centre médico-psychologique de Limoux (Aude) ; qu'il a pu sortir de cet établissement et est décédé peu de temps après, « à la suite d'une overdose » ; que c'est à tort que le tribunal a rejeté la requête qu'ils ont présentée, au motif qu'elle était portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que, contrairement à ce qu'indique le tribunal, ce n'est pas une décision de transfert qui est en cause mais une faute de l'établissement public de santé Roger Prévot, révélée par la sortie de Stéphane X alors que son état nécessitait une prolongation de son hospitalisation ; que la faute de service est constituée dès lors que Stéphane X n'a pas été maintenu au sein de l'établissement et n'a pas reçu le traitement que son état nécessitait ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 novembre 2008 :
- le rapport de Mme Barnaba, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Jarreau, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. et Mme X, Mlle Angélique X et M. Sébastien X interjettent appel du jugement du 2 mars 2006 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, leur demande à fin d'indemnisation dirigée contre l'établissement public de santé Roger Prévot, dont ils recherchaient la responsabilité à raison des conditions dans lesquelles cet établissement avait mis fin, dans le courant du mois d'août 2002, à la mesure d'hospitalisation à la demande d'un tiers prise à l'égard de leur fils et frère, Stéphane X, décédé le 3 septembre 2002 à la suite de l'absorption d'une dose mortelle de drogue ;
Considérant que, dans les observations sommaires qu'il a présentées au tribunal, le centre hospitalier a indiqué que M. Stéphane X, hospitalisé le 2 août 2002, avait été admis dans un centre d'hébergement thérapeutique situé à Limoux (Aude) le 12 août 2002, date de sa sortie de l'établissement ; qu'il résulte toutefois des éléments produits en appel et, notamment, de ceux dont la cour a eu connaissance à la suite d'une mesure d'instruction, que M. Stéphane X s'est enfui le 12 août 2002 du centre hospitalier, lequel a établi un bulletin de « sortie par fugue » le 13 août suivant ; que les CONSORTS X, qui ont reçu communication de ces éléments, font valoir que la « sortie par fugue » de M. Stéphane X révèle un défaut de surveillance de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
Considérant que l'appréciation des fautes qui ont pu être commises à l'occasion de l'exécution du service public hospitalier relève de la compétence de la juridiction administrative ; que cette dernière est par suite seule compétente pour connaître de l'action engagée par les CONSORTS X, tendant à mettre en cause les conditions de fonctionnement de l'établissement public de santé Roger Prévot ; que, dans ces conditions, ils sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler ce jugement, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande des CONSORTS X ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation présentées par les CONSORTS X :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ; qu'aux termes de l'article R. 421-5 du même code : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision » ;
Considérant que, par décision du 12 octobre 2004, le directeur de l'établissement public de santé Roger Prévot a rejeté la réclamation des CONSORTS X, qui sollicitaient l'indemnisation du préjudice subi à la suite du décès de leur fils et frère Stéphane X ; que l'établissement ne produit toutefois aucun document établissant la date à laquelle la notification de cette décision est intervenue ; qu'en outre, cette décision ne comporte pas la mention des voies et délais de recours ; qu'il en résulte que le délai de recours contentieux n'a pas couru ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'établissement public de santé Roger Prévot et tirée de la tardiveté de la demande doit être écartée ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'établissement public de santé Roger Prévot :
Considérant que les éléments produits en appel par l'établissement public de santé Roger Prévot révèlent que M. Stéphane X a quitté clandestinement, le 12 août 2002, l'établissement dans lequel il était toujours hospitalisé sous le régime de l'hospitalisation à la demande d'un tiers ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Stéphane X, alors âgé de 29 ans, a été hospitalisé à diverses reprises, dans le courant de l'année 2002, dans les services de l'établissement public de santé Roger Prévot, qui connaissait ainsi les antécédents de l'intéressé ; qu'en admettant même que son comportement ait montré des signes d'amélioration, il appartenait à l'établissement hospitalier, quelles que soient les méthodes thérapeutiques appliquées, d'exercer sur ce malade une surveillance particulière tant que persistait la procédure d'hospitalisation à la demande d'un tiers et alors même que le centre hospitalier ait pu envisager de mettre fin, dans un avenir proche, à la mesure d'hospitalisation prise en application de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique ; que la circonstance que M. Stéphane X ait pu quitter l'établissement librement et à l'insu de l'équipe soignante révèle une faute dans l'organisation du service, le centre hospitalier n'ayant pas été en mesure de mettre en place une surveillance adaptée à l'état du patient ; qu'en outre, l'établissement s'est s'abstenu d'informer immédiatement M. et Mme X de la disparition de leur fils, alors que son directeur indiquait au conseil des requérants, dans une lettre du 12 octobre 2004, que les praticiens du service avaient toujours entretenu des relations de confiance avec la famille du patient ; qu'en raison de la carence du service public hospitalier, les parents de M. Stéphane X n'ont pas été à même d'entreprendre des recherches en vue de retrouver leur fils ;
Considérant qu'eu égard aux conséquences d'un arrêt brutal du traitement médical à compter du 12 août 2002, date de sa fugue, à la possibilité, pour M. Stéphane X, de consommer librement de la drogue à compter de cette date, au bref laps de temps qui s'est écoulé entre la fugue du patient et son décès par absorption excessive de substances toxiques le 3 septembre 2002 et à l'absence de tout soutien familial pour les motifs rappelés ci-dessus, le lien de causalité entre l'insuffisance des mesures de surveillance mises en oeuvre et le décès de M. Stéphane X doit être regardé comme établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la responsabilité de l'établissement public de santé Roger Prévot se trouve engagée à l'égard des CONSORTS X, à raison du défaut de surveillance dont a fait preuve l'établissement, alors que M. Stéphane X faisait l'objet d'une mesure d'hospitalisation à la demande d'un tiers ;
En ce qui concerne la réparation du préjudice :
Considérant qu'en demandant la condamnation de l'établissement public de santé Roger Prévot à verser, d'une part, à M. et Mme X, parents de M. Stéphane X, une indemnité de 15 000 euros et, d'autre part, à M. Sébastien X et à Mlle Angélique X, frère et soeur du défunt, une indemnité de 7 500 euros chacun, les requérants n'ont pas fait une évaluation exagérée du préjudice moral qu'ils ont subi du fait du décès de leur fils et frère ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner l'établissement hospitalier au versement de ces sommes ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant, d'une part, que M. et Mme X ont droit aux intérêts au taux légal de la somme de 15 000 euros à compter du 28 septembre 2004, date de réception de leur réclamation préalable par le centre hospitalier ; que M. Sébastien X et Mlle Angélique X ont droit aux intérêts au taux légal de la somme de 7 500 euros accordée à chacun d'eux à compter de la même date ;
Considérant, d'autre part, que pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que les CONSORTS X ont sollicité la capitalisation des intérêts devant le tribunal dans leur demande enregistrée le 10 février 2005 ; que cette demande prend effet à compter du 28 septembre 2005, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des CONSORTS X, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'établissement public de santé Roger Prévot au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cet établissement le versement, aux CONSORTS X, de la somme de 2 000 euros en application de ces mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 2 mars 2006 est annulé.
Article 2 : L'établissement public de santé Roger Prévot est condamné à verser :
- à M. et Mme X la somme de 15 000 euros ;
- à M. Sébastien X et à Mlle Angélique X la somme de 7 500 euros chacun.
Ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2004. Les intérêts échus le 28 septembre 2005 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'établissement public de santé Roger Prévot versera aux CONSORTS X la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des CONSORTS X est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l'établissement public de santé Roger Prévot tendant à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des CONSORTS X au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 06VE00977 5