Vu l'ordonnance en date du 16 mai 2005 enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 18 mai 2005 sous le n° 05VE00940, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles la requête présentée pour la SA CLINIQUE DES CHARMILLES, dont le siège est situé 12 boulevard Pierre Brossolette à Arpajon (91291) ;
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 18 mai 2005, présentée pour la SA CLINIQUE DES CHARMILLES, par la SCP Courtois-Lebel, avocats au barreau de Paris ; la SA CLINIQUE DES CHARMILLES demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0003477 en date du 16 décembre 2004 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'elle a subi du fait de l'intervention de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale ;
2°) d'annuler la décision du 24 février 1998 par laquelle le ministre chargé de la santé a rejeté sa réclamation et de condamner l'Etat à lui payer, d'une part, la somme de 184 503, 85 euros au titre des créances annulées sur les caisses de sécurité sociale et, d'autre part, celle de 80 378, 79 euros au titre du préjudice financier correspondant, majorées des intérêts au taux légal à compter du 11 février 1998 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 4 573, 47 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que l'article 1er de l'arrêté du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d'opération dans les établissements d'hospitalisation régis par l'article L. 162-22 du code de la sécurité sociale a été annulé par une décision du Conseil d'Etat en date du 4 mars 1996 ; que cette annulation a rouvert le droit qu'elle détient de se faire rembourser la totalité du complément afférent aux frais de salle d'opération, qui s'était trouvé limité aux trois- cinquièmes de la valeur de ces frais ; que la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 du 27 décembre 1996 a, par son article 34, validé rétroactivement les facturations résultant de l'application de l'arrêté du 13 mai 1991, interdisant ainsi toutes procédures de remboursement à l'encontre des caisses de sécurité sociale ; que le Tribunal administratif de Versailles, qu'elle a saisi d'une demande en réparation des préjudices résultant de l'adoption de l'article 34 de cette loi et, subsidiairement, de la faute commise par l'administration, aurait dû, en droit comme en fait, faire droit à cette demande ; que la responsabilité de l'Etat du fait des lois se trouve engagée dès lors que la victime démontre qu'elle subit un préjudice anormal et spécial et que la loi n'a pas entendu exclure l'indemnisation du dommage ; qu'en l'espèce l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 a, d'une part, privé rétroactivement la SA CLINIQUE DES CHARMILLES des créances qu'elle détenait à l'encontre des caisses d'assurance maladie, qui étaient consécutives à une décision passée en force de chose jugée et, d'autre part, permis à l'Etat de modifier a posteriori les règles que le juge devait appliquer ; que c'est seulement dans les cas d'impérieux motifs d'intérêt général qu'une loi peut valider une mesure administrative par une disposition à portée rétroactive, les principes de non rétroactivité de la loi et de protection des biens devant être respectés en vertu des articles 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel ; que le paiement de la créance de la société requérante résultant de la décision du Conseil d'Etat demeure sans incidence directe sur l'équilibre général de la sécurité sociale et sur les objectifs de la loi du 27 décembre 1996 ; que l'article 34 de cette loi ne concerne que les établissements conventionnés au sens de l'article L. 162-22 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire uniquement certains établissements privés à but lucratif ayant vocation à facturer des compléments afférents aux frais de salle d'opération ; que le préjudice que subissent ces établissements présente donc un caractère spécial ; que le préjudice est également anormal, juridiquement en raison de l'atteinte portée au principe du respect des décisions passées en force de chose jugée et également à titre financier dès lors que la perte de la société se chiffre à 240 132, 17 euros ; que l'exclusion d'une indemnisation ne ressort pas de la loi, ni directement ni indirectement ;
que toutes les conditions permettant l'indemnisation de la SA CLINIQUE DES CHARMILLES sur le fondement de la responsabilité de l'Etat du fait des lois sont donc réunies ; que, subsidiairement, la responsabilité de l'Etat se trouve également engagée à raison de la faute du ministre et de celle du législateur ; que le ministre a commis une faute dans l'élaboration de l'arrêté du 13 mai 1991 en ne respectant pas les dispositions de l'article R. 162-10 du code de la sécurité sociale ; qu'une faute a également été commise par le législateur à l'occasion de la discussion parlementaire conduisant à l'adoption de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 ; qu'une nouvelle faute a été commise ultérieurement par le ministre qui, agissant de façon concertée avec les organismes d'assurance maladie à seule fin d'éviter le remboursement des sommes dues aux cliniques avant l'intervention de la disposition de validation, a ajourné les demandes de remboursement en annonçant l'intervention d'un dispositif de régularisation destiné à mettre en oeuvre les mesures permettant qu'il soit procédé à l'exécution de la décision du Conseil d'Etat ; que le ministre a trahi la confiance légitime que la SA CLINIQUE DES CHARMILLES pouvait placer dans l'annonce des mesures de régularisation à intervenir ; que la décision de rejet opposée à la SA CLINIQUE DES CHARMILLES est contraire au droit communautaire et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle viole les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel ;
Vu la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 sur le financement de la sécurité sociale pour 1997 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 mai 2007 :
- le rapport de Mme Barnaba, premier conseiller ;
- les observations de Me Dugast, avocat, pour la SA CLINIQUE DES CHARMILLES ;
- et les conclusions de Mme Colrat, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'arrêté du ministre des affaires sociales et de la solidarité, du ministre délégué au budget et du ministre délégué à la santé en date du 13 mai 1991 a prévu par son article premier que, pour le calcul du complément afférent aux frais de salle d'opération dans les établissements de soins privés régis par l'article L. 162-22 du code de la sécurité sociale alors en vigueur, la cotation des actes d'anesthésie serait affectée d'un coefficient égal aux trois cinquièmes ; que le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'article premier susmentionné par décision du 4 mars 1996 au motif que la commission paritaire nationale de l'hospitalisation privée n'avait pas été consultée avant l'intervention de l'arrêté litigieux, alors qu'une telle consultation était prévue par l'article R. 162-40 du code de la sécurité sociale ; que l'article 34 de la loi susvisée du 27 décembre 1996 sur le financement de la sécurité sociale pour 1997 a validé, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les facturations aux organismes d'assurance maladie, par les établissements de santé privés, du complément afférent aux frais de salle d'opération ainsi que les versements correspondants, effectués en application de cet arrêté ; que la SA CLINIQUE DES CHARMILLES, qui s'estime en droit d'obtenir réparation du préjudice qu'elle impute à la loi de validation susmentionnée en date du 27 décembre 1996, interjette appel du jugement du 16 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en indemnisation ;
Sur la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997 :
Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;
Considérant, en premier lieu, que la SA CLINIQUE DES CHARMILLES ne justifie, en tout état de cause, d'aucun préjudice spécial dès lors que les dispositions critiquées s'appliquent à tous les établissements de santé privés de même nature se trouvant dans la même situation ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien ;fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
Considérant qu'à l'appui de sa demande tendant à la condamnation de l'Etat, la SA CLINIQUE DES CHARMILLES fait valoir que les dispositions de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996, qui valident rétroactivement l'arrêté susmentionné du 13 mai 1991, portent atteinte au principe du droit à un procès équitable énoncé par les stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant toutefois que la mise en cause de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'atteinte à la règle du « procès équitable » au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est subordonnée à la condition notamment que la loi ayant pour objet de valider rétroactivement un acte administratif intervienne au cours d'un procès opposant l'autorité administrative, auteur de l'acte litigieux, au requérant dont la demande est dirigée contre cet acte ;
Considérant qu'à la date de l'entrée en vigueur de la loi susmentionnée du 27 décembre 1996, la SA CLINIQUE DES CHARMILLES n'avait introduit aucun recours contentieux à l'encontre de l'arrêté du 13 mai 1991 relatif aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d'opération ; que les demandes de paiement adressées à diverses caisses d'assurance maladie en conséquence de l'annulation par le Conseil d'Etat de l'arrêté du 13 mai 1991 ne sauraient être regardées comme présentant le caractère d'une instance contentieuse ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à invoquer l'atteinte qui aurait été portée à son droit à un procès équitable et à soutenir que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée à son égard à raison de cette loi ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (…) ».
Considérant que, si ces stipulations ne font en principe pas obstacle à ce qu'une loi de validation remette en cause l'existence de droits antérieurs, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ;
Considérant qu'eu égard à la nécessité, pour l'Etat, de préserver l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, l'atteinte portée aux créances détenues par les établissements de santé privés en ce qui concerne la rémunération du complément afférent aux frais de salle d'opération n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la responsabilité de l'Etat se trouverait engagée à raison de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole par l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 doit être écarté ;
Sur la responsabilité de l'Etat fondée sur la faute :
Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice dont se prévaut la société requérante ait un lien direct de causalité avec l'irrégularité de pure forme entachant l'article 1er de l'arrêté susmentionné du 13 mai 1991, qui a été censurée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 4 mars 1996 ;
Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que le Conseil constitutionnel n'a pas été en mesure de se prononcer sur les griefs invoqués à l'encontre de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996, en raison des conditions dans lesquelles la procédure législative a été conduite, n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant que la SA CLINIQUE DES CHARMILLES soutient, en troisième lieu, que la décision de rejet opposée par le ministre chargé de la santé à sa demande d'indemnisation méconnaît les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en tant que principes généraux du droit communautaire et porte également atteinte aux libertés fondamentales ; que toutefois, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime garantis par le droit communautaire, tels qu'invoqués par la société requérante, ne trouvent à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où sont en cause des situations relevant du droit communautaire ; que la réglementation relative aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d'opération n'a pas pour objet d'assurer en droit interne la mise en oeuvre de règles communautaires ; que, par voie de conséquence, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision de l'autorité administrative rejetant sa demande d'indemnisation aurait été prise en violation des principes susmentionnés ; que cette décision ne porte atteinte à aucune liberté fondamentale ;
Considérant, enfin, qu'en admettant même que le ministre chargé de la santé aurait donné aux organismes d'assurance maladie l'instruction de surseoir aux demandes de paiement d'un complément de rémunération et aurait ainsi laissé les établissements de soins privés espérer l'intervention de mesures de régularisation consécutives à la décision du Conseil d'Etat en date du 13 mai 1991, cette circonstance n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA CLINIQUE DES CHARMILLES n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SA CLINIQUE DES CHARMILLES est rejetée.
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