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23/06/2005 | FRANCE | N°03VE03896

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ere chambre, 23 juin 2005, 03VE03896


Vu l'ordonnance en date du 16 août 2004, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 1er septembre 2004, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application du décret n°2004-585 du 22 juin 2004 portant création d'une cour administrative d'appel à Versailles et modifiant les articles R.221-3, R.221-4, R.221-7 et R.221-8 du code de justice administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles la requête présentée pour M. Marc X et Melle Marion X et Melle Karine X, demeurant ..., par Me Garcia ;

Vu

la requête, enregistrée le 1er octobre 2003 au greffe de la Cou...

Vu l'ordonnance en date du 16 août 2004, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 1er septembre 2004, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application du décret n°2004-585 du 22 juin 2004 portant création d'une cour administrative d'appel à Versailles et modifiant les articles R.221-3, R.221-4, R.221-7 et R.221-8 du code de justice administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles la requête présentée pour M. Marc X et Melle Marion X et Melle Karine X, demeurant ..., par Me Garcia ;

Vu la requête, enregistrée le 1er octobre 2003 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, par laquelle M. X et Mlles X demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 juin 2003 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à ce que le département des Yvelines, et subsidiairement le département du Nord, soient condamnés à réparer les conséquences dommageables de l'incendie de leur maison intervenu le 17 juin 1996 ;

2°) de condamner le département des Yvelines ou, à défaut, le département du Nord au paiement de la somme totale de 246 315,21 euros (1 615 721,80 francs), déduction faite de la provision déjà versée de 146 808,40 euros ( 963 000 francs) avec intérêts au taux légal à la date du sinistre et capitalisation des intérêts, soit 118 875,01 euros pour la reconstruction de l'immeuble, 28 043,91 euros pour les dommages mobiliers, 33 539 euros pour la perte de jouissance, 20 121,29 euros pour les frais occasionnés par le relogement, 15 245 euros à chacun des époux X et 47 623 euros pour chacune de leurs filles au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ;

3°) de condamner le département des Yvelines ou, à défaut, le département du Nord au paiement de la somme de 7 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Ils soutiennent que par jugement du 5 juillet 1996 le juge des enfants du tribunal de grande instance de Versailles a ordonné que la garde de l'auteur du sinistre qui a détruit leur maison soit confiée au service de l'aide sociale à l'enfance du département des Yvelines pour une durée de deux années à compter du 13 juin 1995 en application de l'article 375 du code civil ; que le sinistre dont il est responsable est intervenu le 17 juin 1996 ; que, par suite, le département des Yvelines était civilement responsable ; que le jugement du 5 juillet 1996 n'a fait l'objet d'aucune contestation et d'aucun recours de la part du département ; que la responsabilité du département des Yvelines pour faute présumée doit être retenue ; qu'en application de l'article 1384 du code civil le département des Yvelines est réputé avoir eu la qualité de gardien du jeune mineur au moment des faits ; que si la Cour ne retenait pas la responsabilité du département des Yvelines il faudrait retenir celle du département du Nord ; que les services du département du Nord ont démontré un défaut de diligence et de surveillance alors qu'ils connaissaient la personnalité de l'enfant ; que l'expert judiciaire a évalué le coût de la reconstruction de l'immeuble à 118 875,01 euros et les dommages mobiliers à 28 043,91 euros ; qu'il a chiffré la perte de jouissance à 609,80 euros par mois soit 33 539 euros sur 55 mois ; que les frais occasionnés par le sinistre se montent à 20 121,29 euros ; que le préjudice moral subi par M. X et ses deux filles a été considérable ; que pendant trois ans ni les collectivités ni les assureurs n'ont voulu les indemniser ; qu'il ont vécu dans un mobil-home dans des conditions d'inconfort et que leur situation financière a été difficile ; qu'une indemnisation partielle ne leur a été accordée que trois ans après le sinistre, le 22 juin 1999 et que Mme X est décédée le 19 décembre 2000 à l'âge de 45 ans ; qu'au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence une somme de 15 245 euros sera accordée à chacun des époux X et 47 623 euros pour chacune de leurs filles ;

.........................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 juin 2005 :

- le rapport de Mme Belle, premier conseiller ;

- les observations de Me Flechelles, pour le département des Yvelines, et les observations de Me Poulain pour le département du Nord ;

- et les conclusions de Mme Le Montagner, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 17 juin 1996, la maison d'habitation dont M. et Mme X étaient propriétaires à Coutiches (Nord) a été détruite par un incendie d'origine criminelle, dont a été reconnu coupable un mineur placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance du département du Nord jusqu'au 13 juin 1996, puis confié par un jugement du juge des enfants au tribunal de Versailles en date du 5 juillet 1996 aux mêmes services du département des Yvelines, avec effet rétroactif à la date du 13 juin 1996 ; que M. X et ses filles font appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande tendant à ce que le département des Yvelines, à titre principal, ou le département du Nord, à titre subsidiaire, soient déclarés responsables des conséquences dommageables de cet incendie ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger, contrôler la vie du mineur ; qu'en raison des pouvoirs dont un département se trouve investi lorsque le mineur a été confié à un service qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; que cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ; que, dès lors, M. X et ses filles sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur l'absence de faute des services des départements des Yvelines et du Nord pour rejeter leur demande d'indemnisation ;

Sur la détermination de la collectivité responsable :

Considérant qu'il résulte des principes énoncés ci-dessus que le département des Yvelines, à qui la garde de l'enfant a été confiée le 5 juillet 1996 avec effet rétroactif au 13 juin 1996, doit être regardé comme investi de la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur à la date du sinistre, et ce alors même que la garde effective de ce mineur ne lui a été transférée qu'à compter du mois de septembre 1996 ; que si le département fait valoir que la cour d'appel de Versailles, par arrêt rendu le 5 mars 1998, a écarté son appel contre le jugement pénal comme irrecevable, au motif que ce jugement ne l'avait pas déclaré civilement responsable, il ne peut utilement s'en prévaloir, dès lors que le juge administratif se prononce en vertu des règles propres à la responsabilité des personnes publiques ; que, par suite, il y a lieu de déclarer le département des Yvelines responsable des conséquences dommageables de l'incendie ; que si le département des Yvelines invoque la faute qu'auraient commise les époux X en ne souscrivant pas de contrat d'assurance, cette circonstance, n'est pas par elle-même de nature à supprimer, ni même atténuer sa responsabilité ; qu'ainsi, en l'absence de faute commise par M. et Mme X et aucun cas de force majeure n'étant invoqué, le département des Yvelines doit être condamné à réparer l'intégralité du préjudice subi par les membres de la famille X ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant, en premier lieu, que les requérants sont fondés à demander l'indemnisation de leur préjudice immobilier pour la destruction entière de leur maison, ainsi que du préjudice mobilier résultant pour eux de la destruction de l'ensemble des meubles et effets qui s'y trouvaient ; que le préjudice immobilier s'établit à la somme, non contestée par le département des Yvelines, de 118 875,01 euros, qui correspond à la valeur vénale du bien ; que le préjudice mobilier s'élève à la somme de 28 043,91 euros, pas davantage contestée, conformément aux conclusions de l'expertise rendue en octobre 1998 ; que ces sommes doivent être diminuées de la provision déjà perçue par les époux X en application du jugement leur accordant une provision et du protocole passé entre eux et les assureurs du département des Yvelines, du département du Nord et de la maison d'enfants de Lauwin-Planque le 22 juin 1999 ;

Considérant, en deuxième lieu, que les requérants sont également fondés à demander l'indemnisation de leurs frais de relogement occasionnés par le sinistre ; que cette somme est évaluée à la somme non contestée de 20 121,29 euros, une fois déduction faite de la valeur résiduelle des biens utilisés ; qu'il y a lieu de leur allouer cette somme ;

Considérant, en troisième lieu, que les requérants demandent l'indemnisation de la perte de jouissance de leur immeuble d'habitation, évaluée à 55 mois de loyer, soit 33 593 euros ; que, cependant, les intéressés, qui ne louaient pas leur maison, ne sont pas fondés à solliciter une telle indemnisation, mais seulement à demander l'indemnisation de leurs troubles de jouissance ; que M. X et Mme X ainsi que leurs filles ont été éprouvés par l'incendie criminel qui a détruit leur résidence principale ; qu'ils ont connu pendant une période de plus de trois ans, avant qu'il soient en mesure de reconstruire leur maison, des conditions de relogement précaires et inconfortables dans un mobil-home, peu favorable, par son exiguïté, tant à leur vie familiale, fragilisée par le décès de Mme X qui s'est produit à la fin de cette période, qu'à la scolarité des enfants ; que, par suite, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de la réparation du préjudice résultant de la perte de jouissance de leur habitation, des troubles de toute nature dans leurs conditions d'existence et de leur préjudice moral en allouant à M. Marc X la somme de 7 000 euros et la somme de 7 000 euros à chacune de ses filles, outre la somme de 3 500 euros, à laquelle elles peuvent chacune prétendre en intervenant aux droits de leur mère décédée ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant, d'une part, que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur, ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que, par suite, M. X et ses filles ont droit aux intérêts au taux légal afférents aux sommes sollicitées, hors les sommes déjà versées, à compter du 24 février 2001, date à laquelle ils ont saisi le Tribunal administratif de Versailles d'une demande en réparation dirigée contre le département des Yvelines, et non, contrairement à ce qu'ils soutiennent, à compter de la date à laquelle le sinistre est intervenu ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure ; que M. X et ses filles ont demandé dans leur requête en appel le 1er octobre 2003 la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande ;

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'accorder à M. X et à Mlles Marion et Karine X une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1 : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles en date du 5 juin 2003 est annulé.

Article 2 : Le département des Yvelines est condamné à verser à M. Marc X et à Mlles Marion et Karine X les sommes de 118 875,01 euros pour le préjudice immobilier et 28 043,91 euros pour le préjudice mobilier. La provision qui leur a été allouée par l'effet d'un protocole signé le 22 juin 1999 sera déduite de ces sommes.

Article 3 : Le département des Yvelines est condamné à verser à M.Marc X et à Mlles Marion et Karine X la somme de 20 121,29 euros au titre de leurs frais de relogement.

Article 4 : Le département des Yvelines est condamné à verser à M. Marc X la somme de 7 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, et à Mlles Marion et Karine X à chacune la somme de 7 000 euros ainsi qu'à chacune la somme de 3 500 euros au titre du préjudice subi par leur mère dont le droit à réparation est entré dans leur patrimoine.

Article 5 : Les sommes restant dues aux consorts X en vertu des articles 2, 3, et 4 du présent jugement porteront intérêts à compter du 24 février 2001. Les intérêts échus à la date du 1er octobre 2003, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 6 : Le département des Yvelines est condamné à verser à M. Marc X et à Melle Marion X et à Melle Karine X une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

03VE03896 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 03VE03896
Date de la décision : 23/06/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BELAVAL
Rapporteur ?: Mme Laurence BELLE VANDERCRUYSSEN
Rapporteur public ?: Mme LE MONTAGNER
Avocat(s) : GODAT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2005-06-23;03ve03896 ?
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