Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C..., veuve B..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Tournefeuille à lui verser la somme de 13 805 euros en réparation des désordres affectant son mur de clôture, assortie des intérêts de retard et de leur capitalisation. Elle a également demandé au tribunal administratif d'enjoindre à la commune d'élaguer les arbres dont le feuillage surplombe sa propriété et de procéder ensuite à leur abattage.
Par un jugement n° 2104641 du 2 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Tournefeuille à verser à Mme B... une indemnité de 2 857,25 euros, augmentée des intérêts de retard à compter du 12 juillet 2021 et de leur capitalisation. Il a également enjoint à cette collectivité publique d'élaguer les tilleuls dont les branchages surplombent le fonds de Mme B... dans les deux mois à compter de la notification du jugement, puis à échéance régulière. Ce tribunal a enfin rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2023, et un mémoire, enregistré le 13 mai 2024, Mme C..., veuve B..., représentée par Me Dupey, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 2 novembre 2023 en tant que la somme que la commune de Tournefeuille a été condamnée à lui verser a été limitée à 2 857,25 euros ;
2°) de condamner cette commune à lui verser la somme de 13 805 euros, assortie des intérêts de retard et de leur capitalisation, en réparation des désordres affectant son mur de clôture ;
3°) d'enjoindre à cette commune de procéder à l'élagage puis à l'abattage des tilleuls dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité sans faute de la commune de Tournefeuille est engagée du fait de l'existence et du fonctionnement de l'ouvrage public que constituent les racines des tilleuls implantés sur le domaine public à 50 centimètres de son mur de clôture ; elle a la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage public ;
- elle apporte la preuve du lien de causalité entre cet ouvrage public et les désordres qui affectent son mur et du caractère grave et spécial des désordres subis ;
- la commune de Tournefeuille n'établit ni que les arbres litigieux auraient été plantés avant l'acquisition de son immeuble en 1991 ni qu'elle avait connaissance du risque auquel elle s'exposait à cette époque ;
- la commune à laquelle incombe l'entretien des voies communales en application de l'article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales, n'a pas procédé à un entretien régulier des arbres pour empêcher leur développement racinaire et que les branchages surplombent sa propriété ;
- la commune doit être reconnue entièrement responsable des désordres affectant le mur de clôture dès lors que le mur n'est affecté d'aucun vice de construction ; si la cour devait retenir une circonstance exonérant la commune de sa responsabilité, cette exonération ne pourrait excéder 50 % du montant des dommages ainsi que la commune l'avait elle-même reconnu dans ses écritures de première instance ;
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit prescrit à la commune de procéder à l'abattage des arbres alors que celui-ci avait été préconisé par l'expert et qu'il se justifie par le caractère évolutif du dommage.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 avril et 17 mai 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Tournefeuille, représentée par Me Phelip, doit être regardée comme concluant :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à verser à Mme C..., veuve B..., une somme de 2 857,25 euros sur le fondement de sa responsabilité sans faute du fait de l'ouvrage public ;
3°) et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme C..., veuve B... la somme de 1 400 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- sa responsabilité sans faute du fait de l'ouvrage public ne peut être engagée dès lors que Mme B... ne pouvait ignorer les risques auxquels elle s'exposait lorsqu'elle a acquis son habitation puisque les tilleuls en litige avaient déjà été plantés le long du mur de clôture de sa propriété par le lotisseur avant son acquisition et le classement de la rue dans la voirie communale ;
- le rapport d'expertise a mis en évidence le fait que les désordres en litige n'ont pas comme seule origine la poussée des racines des tilleuls mais un défaut de conception du mur ; dans ces conditions, seule la moitié des conséquences dommageables de cette situation pourrait être mise à sa charge.
Par une ordonnance du 14 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 juin 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Beltrami, première conseillère,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dupey, représentant Mme C... veuve B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., veuve B..., est propriétaire d'une maison d'habitation située au ..., sur le territoire de la commune de Tournefeuille (Haute-Garonne). En raison de fissurations observées depuis 2015 sur le mur de clôture de sa propriété, elle a souscrit une déclaration de sinistre auprès de son assureur, qui a par la suite mandaté un expert. Une expertise amiable contradictoire a été réalisée le 17 février 2021 en présence de la commune et le procès-verbal de constatations relatif aux causes, aux circonstances et à l'évaluation des dommages, établi le 25 mars 2021, a en partie imputé la cause des désordres à la poussée racinaire exercée par les tilleuls bordant la propriété de Mme B... implanté sur le domaine public communal. Le 27 mai 2021, l'assureur de Mme C..., veuve B..., a présenté une demande préalable indemnitaire auprès de l'assureur de la commune, qui l'a rejetée le 25 juin 2021. Mme B... a alors directement saisi la commune de Tournefeuille d'une demande indemnitaire préalable datée du
7 juillet 2021, en portant la somme réclamée à un montant de 13 805 euros et en sollicitant l'élagage des arbres puis leur abattage. Le 29 juillet 2021, la commune de Tournefeuille, par l'intermédiaire de son assureur, a maintenu son refus. Mme C..., veuve B..., a alors recherché devant le tribunal administratif de Toulouse la responsabilité sans faute de la commune de Tournefeuille du fait de dommages causés par un ouvrage public à un tiers et a demandé au tribunal, en outre, d'enjoindre à la commune de Tournefeuille d'élaguer les arbres dont les feuillages débordent sur sa propriété et de procéder ensuite à leur abattage. Mme C..., veuve B..., relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 2 novembre 2023 en tant que la somme que la commune de Tournefeuille a été condamnée à lui verser a été limitée à 2 857,25 euros. Par la voie de l'appel incident, la commune de Tournefeuille demande la réformation de ce même jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à Mme C..., veuve B..., une somme de 2 857,25 euros sur le fondement de sa responsabilité sans faute du fait de l'ouvrage public.
Sur l'appel principal de Mme C..., veuve B..., et l'appel incident de la commune de Tournefeuille :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune de Tournefeuille du fait de l'ouvrage public :
2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.
3. Les arbres, plantés sur le trottoir longeant le mur de clôture de la propriété de l'appelante, constituent un accessoire de la rue de la Bruyère dont il est constant qu'elle est une voie publique communale et à l'agrément de laquelle ils contribuent. Mme C..., veuve B..., a la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage public. Le dommage dont elle se prévaut étant inhérent à l'existence même de ces arbres, il lui appartient de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'elle subit.
4. Il ressort du procès-verbal de constatations relatives aux causes et à l'évaluation des dommages, établi contradictoirement le 25 mars 2021 entre les parties et leurs assureurs respectifs, que, selon les experts de ces assureurs, les fissurations des murs de clôture de l'habitation de l'appelante proviennent d'une poussée exercée par les racines des arbres de grande hauteur plantés à une moyenne de 50 centimètres du mur et de défauts constructifs de cet ouvrage dépourvu de joints de fractionnement, voire de raidisseurs, ainsi que d'une insuffisance de portance du sol d'assise des fondations. Si l'appelante conteste les défauts constructifs de son mur et d'assise de cet ouvrage, pourtant relevés par les conclusions concordantes de ces experts, elle n'apporte cependant aucun élément technique de nature à les remettre en cause en se bornant à faire état des opinions contraires de son fils, qualifié en génie civil, et en produisant une photographie d'une portion de mur intégrant, selon elle, des raidisseurs, lesquelles ne permettent ni de localiser leur emplacement ni d'attester de leur fonction de renforcement du mur. Il résulte ainsi de l'instruction que la poussée des racines des arbres longeant le mur de clôture de l'appelante ne constitue pas la cause exclusive des désordres affectant ce mur. De plus, l'appelante n'apporte aucun élément de nature à démontrer que ces désordres devraient, le cas échéant, être regardés comme imputables pour moitié aux défauts constructifs et d'assise de son mur de clôture. Par suite, c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'espèce que le tribunal administratif de Toulouse a jugé que la poussée exercée par les racines des tilleuls devait être regardée comme contribuant aux désordres en litige à hauteur de 25 % de leurs conséquences dommageables.
En ce qui concerne l'exception de risque accepté :
5. Lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était à cette date en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, lié à la présence ou au fonctionnement d'un ouvrage public, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou raisonnablement prévisible.
6. Il résulte de l'instruction, et en particulier de l'acte d'achat du 12 juillet 1990, que le terrain alors acquis par l'appelante formait le lot numéro (ANO)huit(/ANO) du lotissement " Résidence Le Parc de la Ramée ", autorisé par arrêté préfectoral du 7 mars 1984. La commune de Tournefeuille soutient ne pas avoir procédé à la plantation d'arbres sur le trottoir bordant la rue de la Bruyère, depuis son incorporation au domaine public, et que les tilleuls situés le long du mur de clôture de la propriété de Mme C..., veuve B..., ont nécessairement été plantés par le lotisseur avant que cette dernière ait acquis son bien. L'appelante, qui réfute cette affirmation, ne fournit cependant aucune précision sur la date et les circonstances de la plantation des tilleuls bordant son mur de clôture. Alors que l'appelante est la mieux à même d'apporter des éléments de nature à étayer ses allégations et que la commune ne peut fournir une preuve pour l'établissement d'un fait négatif, les tilleuls litigieux doivent être regardés comme ayant été plantés par le lotisseur au moment de l'aménagement du lotissement, soit avant l'acquisition par l'appelante de son terrain. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que Mme C..., veuve B..., ait eu connaissance, à la date d'acquisition de son terrain, des inconvénients pouvant résulter de la proximité de ces tilleuls et notamment du risque présenté par leur développement racinaire, lesquels ont commencé à se manifester plus de trente ans après qu'elle a acheté sa propriété. Dans ces circonstances, l'exception de risque accepté soulevée par la commune de Tournefeuille ne peut qu'être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C..., épouse B..., n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Tournefeuille à lui verser une indemnité de 2 857,25 euros, augmentée des intérêts de retard à compter du 12 juillet 2021 et de leur capitalisation à compter du 12 juillet 2022, laquelle représente 25 % du montant des travaux de confortation du mur évalué dans le rapport d'expertise. La commune de Tournefeuille n'est pas non plus fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse l'a condamnée à verser à Mme C..., veuve B..., une indemnité de 2 857,25 euros.
Sur les conclusions en injonction :
8. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.
9. Comme l'ont indiqué à juste titre les premiers juges au point 11 de leur jugement, il ne résulte pas de l'instruction que le mur de clôture de l'habitation de Mme C..., veuve B..., alors que l'indemnité allouée est de nature à remédier aux désordres qui l'affectent eu égard au partage de responsabilité, ne pourrait pas être conçu de manière à ne pas être affecté par la présence des tilleuls qui bordent sa propriété. De plus, compte tenu, en particulier, de l'agrément et de l'effet de rafraîchissement que procure l'ombrage de ces arbres en milieu urbain aux usagers des voies publiques, l'abattage de ces arbres constituerait une mesure contraire à l'intérêt général par rapport au préjudice subi par l'appelante. Par suite, les conclusions en injonction de l'appelante, tendant à l'abattage de l'ensemble des tilleuls bordant sa propriété, ne peuvent qu'être rejetées.
10. Par ailleurs, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les branchages des tilleuls seraient à l'origine des désordres subis par le mur de clôture de l'appelante, lesquels résultent de la poussée racinaire des arbres, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a prescrit à la commune de Tournefeuille de procéder à l'élagage régulier des tilleuls situés au droit de la propriété de Mme C... veuve B.... L'article 2 du jugement attaqué, qui prescrit cette injonction, doit, dès lors, être annulé.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des parties une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de Mme C..., veuve B... est rejetée.
Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 2 novembre 2023 est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel incident de la commune de Tournefeuille, ainsi que ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., veuve B..., et à la commune de Tournefeuille.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2025 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL02874