Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de renouveler la carte de séjour pluriannuelle dont il était titulaire, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'enjoindre à ce préfet de renouveler cette carte de séjour pluriannuelle et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour et de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2403223 du 10 septembre 2024, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer la situation de M. D..., et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'État la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 7 octobre 2024 sous le n° 24TL02568, et un mémoire, enregistré le 28 mars 2025, le préfet de l'Hérault demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 septembre 2024 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande de M. D....
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en raison de ce que deux mémoires de M. D..., ceux des 22 et 29 août 2024, ne lui ont pas été communiqués, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en retenant le moyen tiré du défaut de consultation de la commission du titre de séjour ; en effet, le renouvellement des cartes de séjour pluriannuelles n'est pas soumis à cette consultation, en dehors du cas visé par le 5° de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, hypothèse ne correspondant pas à celle de l'espèce ;
- la présence en France de M. D... constitue une menace pour l'ordre public ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues par l'arrêté en litige, eu égard à la menace pour l'ordre représentée par l'intéressé, aux circonstances qu'il est célibataire et sans charge de famille ;
- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas davantage été méconnues, en tout état de cause, l'obligation de quitter le territoire français ayant été exécutée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 28 novembre 2024 et le 22 avril 2025, M. D..., représenté par Me Mazas, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés ;
- la décision de refus de renouvellement de son titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;
- elle aurait dû être précédée de la consultation de la commission du titre de séjour, eu égard tant au fait qu'il sollicitait le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle qu'en raison de ce qu'il remplissait les conditions de ce renouvellement de ce titre portant la mention " vie privée et familiale " ;
- la menace à l'ordre public n'est pas établie ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 13 de la même convention ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi n'a pas été précédée d'un examen de sa situation ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 13 de la même convention et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité des décisions de refus de renouvellement de titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire.
II. Par une requête, enregistrée le 7 octobre 2024 sous le n° 24TL02569, et un mémoire, enregistré le 28 mars 2025, le préfet de l'Hérault demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2403223 du 10 septembre 2024 du tribunal administratif de Montpellier, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens d'annulation soulevés dans sa requête au fond présentent un caractère sérieux et sont de nature à justifier le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le tribunal.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 28 novembre 2024 et le 22 avril 2025, M. D..., représenté par Me Mazas, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de l'Hérault sont dépourvus de caractère sérieux et ne sont pas de nature à justifier le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le tribunal.
Vu les autres pièces de ces deux dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. H...,
- et les observations de Me Mazas, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant russe d'origine tchétchène, est entré en France en septembre 2002 avec sa mère et ses frères et sœurs. Il a bénéficié d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 16 janvier 2019 au 15 janvier 2020, puis d'une carte de séjour pluriannuelle portant la même mention, valable du 16 janvier 2020 au 15 janvier 2024, en tant qu'étranger ayant résidé habituellement en France avec un de ses parents avant l'âge de treize ans. Le 28 décembre 2023 il a sollicité le renouvellement de ce titre de séjour mais, par arrêté du 29 mai 2024, le préfet de l'Hérault a refusé ce renouvellement, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.
2. Par la requête n° 24TL02568, le préfet de l'Hérault fait appel du jugement du 10 septembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et mis à la charge de l'État la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
3. Par la requête n° 24TL02569, le préfet de l'Hérault demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.
4. Les requêtes n° 24TL02568 et n° 24TL02569 présentées par le préfet de l'Hérault étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 24TL02568 :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...) Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".
6. Si le préfet soutient que le principe du contradictoire aurait été méconnu par les premiers juges en ce que deux mémoires de M. D..., enregistrés les 22 et 29 août 2024, ne lui ont pas été communiqués, il ressort des pièces du dossier de première instance, d'une part, que le second de ces mémoires a été produit après la clôture d'instruction intervenue le 23 août 2024 et que cette production ne contenait pas l'exposé d'un élément de droit ou une circonstance de fait dont le demandeur n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et, d'autre part, que le premier de ces mémoires ne comportait aucun élément nouveau sur lequel les premiers juges se seraient fondés pour rendre leur décision. Par suite, le tribunal, qui les a dûment visés, n'avait pas l'obligation de communiquer ces mémoires à peine d'irrégularité de son jugement.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
7. D'une part, aux termes de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui justifie par tout moyen avoir résidé habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans avec au moins un de ses parents se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour (...) "
9. Enfin, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles (...) L. 423-21 (...) à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; / (...) / 5° Lorsqu'elle envisage de refuser le renouvellement ou de retirer une carte de séjour pluriannuelle ou une carte de résident dans le cas prévu à l'article L. 412-10 ".
10. Si le préfet n'est tenu de saisir la commission que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues par les textes visés au point précédent auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non de celui de tous les étrangers qui s'en prévalent, la circonstance que la présence de l'étranger constituerait une menace à l'ordre public ne le dispense pas de son obligation de saisine de la commission. Il en va, en particulier, ainsi du cas de l'étranger qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour pluriannuelle obtenue sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire et pour lequel l'autorité administrative envisage de refuser de renouveler son titre de séjour en lui opposant la réserve liée à l'ordre public prévue à l'article L. 412-5 précité.
11. Par l'arrêté cité au point 1, le préfet a refusé de renouveler la carte de séjour pluriannuelle de M. D..., après avoir estimé que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public. Il est constant qu'il n'a pas saisi la commission de titre de séjour avant de prendre cette décision de refus de renouvellement. Par ailleurs, il est également constant que l'intimé a résidé habituellement en France avec sa mère depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. En conséquence, il remplissait les conditions de délivrance du titre de séjour prévu par les dispositions précitées de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si une telle circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le préfet de l'Hérault refusât de faire droit à sa demande de renouvellement de titre de séjour en se fondant sur la circonstance que son comportement constituerait une menace à l'ordre public, il était néanmoins tenu, en application des dispositions précitées, de saisir pour avis la commission du titre de séjour, préalablement à l'intervention de la décision portant refus de séjour et des décisions qui lui sont accessoires. Par conséquent, c'est à bon droit, contrairement à ce que soutient le préfet, que les premiers juges ont annulé l'arrêté en cause sur le fondement du vice de procédure constitué par l'absence de saisine de la commission du titre de séjour.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Hérault n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a estimé que la décision de refus de renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle de M. D... méconnaissait l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a annulé, pour ce motif, l'arrêté du 29 mai 2024 refusant ce renouvellement, faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur la requête n° 24TL02569 :
13. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2403223 du 10 septembre 2024 du tribunal administratif de Montpellier, les conclusions du préfet de l'Hérault tendant au sursis à exécution de ce même jugement sont devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'État la somme demandée par M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête n° 24TL02568 du préfet de l'Hérault est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24TL02569 du préfet de l'Hérault tendant au sursis à exécution du jugement n° 2403223 du 10 septembre 2024 du tribunal administratif de Montpellier.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... D....
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 19 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. H..., président,
M. C..., président-assesseur,
Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2025.
Le président-rapporteur,
A... H...
Le président-assesseur,
B... C...
Le greffier,
G...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24TL02568, 24TL02569