Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Caraman a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la société Cassonade à lui verser une somme de 7 385 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2021 et de leur capitalisation, en remboursement de l'acompte qu'elle a versé dans le cadre de l'exécution du contrat conclu le 2 août 2019 portant sur la cession des droits d'exploitation du spectacle de l'humoriste Chantal Ladesou intitulé " On the road again ".
Par un jugement n° 2200011 du 9 novembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande et a fait droit aux conclusions reconventionnelles présentées par la société Cassonade en condamnant la commune de Caraman à lui verser la somme de 7 385 euros correspondant au règlement du solde du prix de cession prévu par le contrat.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 janvier et 6 juin 2024, la commune de Caraman, représentée par Me Dupey, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 novembre 2023 ;
2°) de condamner la société Cassonade à lui verser une somme de 7 385 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2021 et de leur capitalisation, en remboursement de l'acompte qu'elle a versé en exécution du contrat conclu le 2 août 2019 portant sur la cession des droits d'exploitation du spectacle de l'humoriste Chantal Ladesou intitulé " On the road again " ;
3°) de rejeter les conclusions reconventionnelles présentées par la société Cassonade devant le tribunal tendant au règlement du solde du prix prévu par le contrat ainsi que ses conclusions d'appel incident ;
4°) de mettre à la charge de la société Cassonade une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions présentées par la société Cassonade :
- les conclusions par lesquelles la société Cassonade demande, à titre subsidiaire, l'indemnisation des frais engagés pour la représentation sont irrecevables en l'absence de demande préalable permettant de lier le contentieux.
En ce qui concerne l'exigibilité de l'acompte et du solde du prix de cession prévu par le contrat :
- le tribunal a fait droit à une demande irrecevable dès lors que la demande reconventionnelle de la société Cassonade tendant au règlement du solde du prix de la cession en litige n'a pas été précédée d'une demande préalable destinée à lier le contentieux ;
- elle est fondée à réclamer le remboursement de l'acompte qu'elle a versé du seul fait que le spectacle n'a pas été joué par l'artiste à la date contractuellement prévue, indépendamment des motifs pour lesquels a été ordonnée la fermeture de la salle de spectacle ; cette circonstance caractérise, à elle-seule, une inexécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles ;
- elle était fondée à résilier le contrat sur le fondement de l'article 9 du contrat prévoyant une annulation de plein droit de la prestation sans indemnité en cas de force majeure, notamment en cas d'épidémie ou de fermeture de salle, et à réclamer le remboursement de l'acompte versé ;
- ainsi qu'il leur était loisible de le faire, les parties ont entendu, à l'article 9 du contrat, définir les cas de force majeure en leur donnant une large acception s'écartant de la définition retenue en droit par le code civil, ce qui conduit à conférer à l'épidémie de Covid-19 le caractère de cas de force majeure ;
- dans un souci de loyauté et de bonne foi, elle a proposé de reporter le spectacle à deux autres dates, mais n'avait aucune obligation de proposer d'autres dates de représentation ;
- en outre, elle était également fondée à résilier le contrat du fait de la perte de son objet, le spectacle en litige intitulé " On the road again ", seul spectacle de l'humoriste Chantal Ladesou, ayant été largement diffusé auprès du grand public sur plusieurs supports durant la période liée à l'épidémie de Covid 19 ; cette large diffusion a eu pour effet de priver ce spectacle humoristique, fondé sur l'effet de surprise sur scène, de son intérêt et, par suite, de rendre sans objet le contrat de représentation scénique prévu à Caraman en le vidant de son originalité et de ses qualités essentielles, ce qui l'a rendu invendable auprès du public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2024, la société par actions simplifiée à associé unique (SASU) Cassonade, représentée par Me Bironne, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de Caraman ;
2°) à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait fait droit à la requête, de condamner la commune de Caraman à lui verser une indemnité de 3 692 euros, à parfaire, au titre des frais qu'elle a engagés à perte en vue d'exécuter le contrat ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Caraman une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée le 4 juillet 2024, à 12 heures.
Vu le jugement attaqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Dupey, représentant la commune de Caraman.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat conclu le 2 août 2019, la société de production Cassonade a cédé à la commune de Caraman (Haute-Garonne) les droits d'exploitation du spectacle de l'humoriste Chantal Ladesou, intitulé " On the road again ", pour un prix de 14 770 euros toutes taxes comprises. Le 24 octobre 2019, la commune de Caraman a versé à la société Cassonade un acompte de 7 385 euros correspondant à la moitié du prix de ce contrat de cession. Toutefois, la représentation, prévue le 21 mars 2020, au centre culturel " Antoine de Saint-Exupéry " de Caraman, n'a pas eu lieu en raison de la fermeture des salles de spectacles décidée dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19. Par une lettre du 26 janvier 2021, la commune de Caraman a décidé de mettre fin au contrat et demandé à la société Cassonade de procéder au remboursement de l'acompte versé sous trente jours. En l'absence de réponse à ce courrier dans le délai qu'elle a fixé, la commune de Caraman a, par une lettre du 29 novembre 2021, mis en demeure la société Cassonade de lui rembourser cet acompte. En réponse, la société Cassonade a, par une lettre du 3 décembre 2021, refusé de rembourser l'acompte de 7 385 euros qu'elle a perçu et sollicité, en outre, le versement du solde du prix de cession prévu par le contrat. La commune de Caraman relève appel du jugement du 9 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande et fait droit aux conclusions reconventionnelles présentées par la société Cassonade en la condamnant à lui verser la somme de 7 385 euros correspondant au solde du prix du contrat de services en litige.
Sur les conclusions tendant au remboursement de l'acompte versé par la commune de Caraman :
2. Aux termes de l'article L. 2195-2 du code de la commande publique : " L'acheteur peut résilier le marché en cas de force majeure ". L'événement de force majeure, qui exonère de sa responsabilité la personne qui l'a subi, suppose l'intervention d'un événement extérieur aux parties, imprévisible dans sa survenance lors de la conclusion du contrat et irrésistible lors de l'exécution du contrat.
3. En application de l'article 7 du contrat, le prix de cession des droits du spectacle en litige a été fixé à la somme totale de 14 770 euros toutes taxes comprises, les parties contractantes ayant convenu que la commune verserait un acompte représentant 50 % de ce montant à la société de production Cassonade lors de la signature du contrat, le solde devant être réglé à l'occasion de la représentation. Aux termes de ce même article, le prix de cession des droits du spectacle est " ferme est définitif pour l'ensemble de la représentation prévue, en aucun cas le producteur aura à justifier ultérieurement des détails. Ce prix est accepté définitivement par l'organisation qui ne pourra s'opposer au paiement ".
4. Aux termes de l'article 9 de ce même contrat : " Le présent contrat se trouverait suspendu ou annulé de plein droit et sans indemnité d'aucune sorte, dans tous les cas reconnus de force majeure (guerre, épidémie, incendie, inondation, calamités publiques, fermeture de la salle, maladie dûment constaté[e] de l'artiste, problèmes de transport ou d'acheminement des personnes ou de leur matériel insurmontable et indépendant de la volonté du producteur). Hormis les cas de force majeure, et si toutes les solutions amiables de report ou de remplacement sont épuisées, et si aucun accord ne survient entre le producteur et l'organisateur, le dédommagement entraînera le remboursement équivalent au prorata de la rémunération globale pour chaque représentation non effectuée. / Si l'annulation est le fait du producteur elle entraînera remboursement du prix de cession de la représentation non effectuée. Si l'annulation est le fait de l'organisateur elle entraînera paiement normal de la représentation correspondante, comme si elle avait eu lieu. / Faute d'exécution de l'une quelconque des stipulations des présentes, et après une mise en demeure restée sans effet dans les 30 jours (...) celles-ci pourront être résolues aux torts et griefs de la partie défaillante si bon semble à l'autre partie, sous réserves de tous dommages et intérêts ".
5. En premier lieu, la commune de Caraman soutient qu'elle était contractuellement fondée à mettre fin au contrat en application de l'article 9 précité du seul fait que l'humoriste Chantal Ladesou n'a pas assuré son spectacle à la date prévue, le 21 mars 2020. En outre, selon la commune appelante, alors même que la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 ne serait pas un évènement imprévisible et irrésistible empêchant toute exécution du contrat, y compris en reportant le spectacle à une date ultérieure, elle constitue un cas de force majeure au sens des stipulations précitées justifiant l'annulation du contrat et le reversement de l'acompte.
6. Contrairement à ce que soutient la commune de Caraman, les parties n'ont pas contractuellement entendu aménager la notion de force majeure telle qu'elle doit être entendue au sens des dispositions précitées de l'article L. 2195-2 du code de la commande publique. S'il est constant que la fermeture des salles de spectacles décidée par le Gouvernement dans le cadre des mesures sanitaires destinées à lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 constituait, à la date à laquelle devait intervenir la représentation en litige, un événement extérieur à la volonté des parties, un tel événement ne présentait pas de caractère irrésistible en l'absence de démonstration, par la commune de Caraman, de l'impossibilité absolue de reporter le spectacle à une date ultérieure en accord avec l'artiste alors que la possibilité d'un tel report est précisément prévue par les stipulations précitées de l'article 9 du contrat. Par ailleurs, il résulte du courrier de la société Cassonade du 3 décembre 2021 que la commune de Caraman a elle-même pris l'initiative de fermer la billetterie du spectacle avant que la fermeture des salles de spectacles ait été décidée par le Gouvernement, soit avant la survenance du cas de force majeure dont elle se prévaut. Si la commune appelante soutient avoir proposé sans succès un report du spectacle au 19 juin 2020 et au 8 janvier 2021, ces dates correspondent toutefois à une période où les salles de spectacles faisaient toujours l'objet de restrictions sanitaires en lien avec la lutte contre la propagation de l'épidémie de Covid-19, tandis qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette dernière aurait proposé de reprogrammer le spectacle à des dates ultérieures dès la réouverture des salles de spectacles comme cela a été le cas pour d'autres représentations, la commune ayant au contraire estimé qu'elle n'était pas tenue de proposer des dates de programmation ultérieures. À l'inverse, il résulte de l'instruction que la société Cassonade a accepté de reporter à deux reprises le spectacle d'une autre humoriste, Elodie Poux, initialement prévu le 6 juin 2020, le 12 mars 2021 puis le 30 octobre suivant, soit plus d'un an après la date initiale. Dans ces conditions, la seule circonstance selon laquelle l'artiste n'a pas pu honorer ces deux dates de report, pour des raisons de surcroît indépendantes de sa volonté, n'est pas de nature à établir que tout report du spectacle était définitivement impossible à l'issue des restrictions sanitaires. Dans ces conditions, l'inexécution du contrat de cession des droits d'exploitation du spectacle en litige ne peut être assimilée à un cas de force majeure et doit être regardée comme étant le seul fait de la commune de Caraman, laquelle ne se prévaut, au surplus, d'aucun motif d'intérêt général justifiant qu'il soit unilatéralement mis fin au contrat. Par suite, en l'absence d'événement ou de situation rendant définitivement impossible l'exécution du contrat dont l'inexécution procède de son seul fait, la commune de Caraman n'est pas fondée à solliciter le remboursement de l'acompte de 7 385 euros, ainsi que l'a jugé le tribunal.
7. En second lieu, il ne résulte pas des stipulations du contrat de cession des droits d'exploitation du spectacle en litige que les parties auraient convenu d'un droit d'exclusivité au bénéfice de la commune de Caraman. Par suite, cette dernière ne peut utilement se prévaloir de la circonstance selon laquelle ce spectacle aurait donné lieu à une large diffusion auprès du public à travers, notamment, une mise en ligne sur la plateforme " YouTube ", une diffusion télévisée, une projection cinématographique et une représentation dans une salle de spectacle toulousaine, pour se soustraire à l'exécution du contrat conclu le 2 août 2019. Le spectacle en litige n'ayant pas perdu son intérêt du seul fait de sa captation audio-visuelle suivie de sa diffusion sur plusieurs supports ou du seul fait des représentations ultérieures données par l'artiste, la commune de Caraman, qui ne disposait d'aucun droit d'exclusivité pour exploiter le spectacle, n'est fondée à se prévaloir ni de la perte d'objet du contrat ni d'une quelconque exception d'inexécution pour solliciter le remboursement de l'acompte en litige.
Sur le règlement du solde du prix prévu par le contrat :
8. Les premiers juges ont fait droit aux conclusions reconventionnelles de la société Cassonade tendant à ce que la commune de Caraman soit condamnée à lui verser le solde du prix en exécution de l'article 9 du contrat conclu le 2 août 2019.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux :
9. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. / Le délai prévu au premier alinéa n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat ".
10. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au paiement d'une somme d'argent est irrecevable.
11. Par une lettre du 3 décembre 2021, notifiée le 7 décembre suivant, la société Cassonade a saisi la commune de Caraman d'une demande tendant au règlement du solde du contrat. Le silence gardé par la commune sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet de nature à lier le contentieux conformément aux dispositions précitées de l'article R. 421-1 du code de justice administrative. Par suite, la commune de Caraman n'est pas fondée à soutenir que le tribunal a fait droit à une demande reconventionnelle irrecevable.
En ce qui concerne le fond :
12. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit aux points 6 et 7, la déprogrammation du spectacle humoristique en litige résulte du seul fait de la commune de Caraman, la société Cassonade était, en application des stipulations précitées de l'article 9 du contrat, fondée à obtenir le règlement du solde du prix de la cession des droits d'exploitation s'élevant à la somme de 7 385 euros toutes taxes comprises, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal.
13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les conclusions présentées à titre subsidiaire par la société Cassonade tendant à l'indemnisation des frais engagés pour l'exécution du contrat, la commune de Caraman n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Cassonade, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Caraman demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Caraman une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Cassonade et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête de la commune de Caraman est rejetée.
Article 2 : La commune de Caraman versera à la société Cassonade une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Caraman et à la société par actions simplifiée à associé unique Cassonade.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24TL00063