Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision du 10 novembre 2020 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de la loi du 5 janvier 2010, relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, de condamner ce comité à lui verser la somme de 215 399 euros en réparation de ses préjudices, et, dans l'hypothèse de l'intervention d'un jugement avant-dire-droit ordonnant la réalisation d'une expertise, de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser une provision de 10 000 euros et de mettre à sa charge les frais d'expertise.
Par un jugement avant-dire-droit n° 2100079 du 9 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 10 novembre 2020 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté sa demande d'indemnisation, a condamné le comité d'indemnisation à verser à M. C... la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnité réparant ses préjudices, et, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires, a ordonné une expertise médicale.
Par un jugement n° 2100079 du 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser à M. C... la somme de 6 001,80 euros sous déduction de la provision de 2 000 euros éventuellement versée à M. C..., et a mis à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la somme de 284 euros en remboursement des frais de déplacement de M. C... aux opérations d'expertise, ainsi que la somme de 2 000 euros au titre des frais d'expertise.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée au greffe de la cour le 12 octobre 2023 et un mémoire du 22 février 2024, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) demande à la cour :
1°) d'annuler ces jugements des 9 mars et 14 septembre 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter les demandes de M. C....
Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation et d'interprétation des résultats des examens anthropo-radiométriques subis par M. C... dont les résultats, suivant une méthodologie dont la fiabilité est reconnue, permettaient d'écarter l'hypothèse d'une contamination interne de ce dernier ;
- par ailleurs, en se fondant, pour ce qui est de la contamination externe, sur l'absence de données comparatives avec le personnel exposé à une telle contamination dans des conditions de lieu et de date similaires à M. C..., le tribunal administratif a mal interprété la méthodologie du comité d'indemnisation, laquelle considère qu'en l'absence de mesures de surveillance et de données relatives au cas de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, de telles mesures auraient été nécessaires ;
- en l'espèce, les postes de travail occupés par M.C..., à Mururoa, Fangataufa, entre le 29 mars 1995 et le 15 avril 1997, ne présentaient pas de risque d'exposition externe aux rayons ionisants ; les mesures individuelles de surveillance ne se justifiaient donc pas compte tenu de l'affectation de M. C... ; le comité était donc en droit de s'appuyer sur les résultats des mesures dosimétriques de zones (dosimétrie d'ambiance) pour déterminer si l'exposition de M. C... avait ou non dépassé le seuil de 1m Sv ; par ailleurs, il a bénéficié d'une surveillance de la contamination interne dès lors que trois examens anthroporadiométriques et trois examens radiotoxicologiques ont été réalisés, ces examens étant en adéquation avec ses conditions concrètes d'exposition alors que, pendant la période comprise entre le 29 mars 1995 et le 15 avril 1997, au cours de laquelle M. C... a été affecté à Mururoa et à Fangataufa, il y a eu cinq essais nucléaires souterrains ; l'absence de contamination interne est donc établie ;
- pour ce qui est de la période de présence de M. C... à Papeete en dehors des sites des zones d'essai du centre d'expérimentation, les conséquences des retombées radioactives pour les essais atmosphériques sont appréciées au regard de la dose efficace engagée qui prend en compte tant l'exposition externe qu'interne et qui est calculée selon des méthodes et références adoptées au plan international ; en l'espèce, à compter de 1982 les doses efficaces engagées se sont élevées à 0, 045 m A... seulement.
Par un mémoire, enregistré le 23 janvier 2024, M. C..., représenté par Me Labrunie, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ;
2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a limité le montant de la condamnation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ;
3°) de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme totale de 43 308 euros au titre des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2019 et de la capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre les frais d'expertise à la charge du comité d'indemnisation, et de le condamner à lui verser la somme de 284 euros au titre des frais de déplacement exposés pour se rendre aux opérations d'expertise ;
5°) de mettre à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... soutient que :
- il doit bénéficier d'une présomption de causalité entre son exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie, cette présomption ne pouvant être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants due aux essais nucléaires reçue a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants, laquelle est fixée, par le 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an ;
- contrairement à ce que fait valoir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, le tribunal administratif a examiné les conditions concrètes de son séjour à Mururoa, Fangataufa ainsi qu'à Papeete, entre le 29 mars 1995 et le 15 avril 1997 ; au cours de cette période, plusieurs essais nucléaires souterrains ont eu lieu à Mururoa et Fangataufa ; la loi du 5 janvier 2010 a admis que le risque de contamination existait y compris pour des personnes qui n'étaient pas affectées en zone contrôlée ; l'Etat, qui n'a pas mis en place de mesures de contrôle, ne renverse pas la présomption de causalité ; lors de son séjour sur le site d'expérimentation de Mururoa, il a transporté du matériel nucléaire jusqu'à la plateforme d'essai ; lors de différents essais, des rejets de gaz et d'iode ont été constatés ; lors de son séjour, il a été soumis à une contamination interne par inhalation et ingestion de poussières de gaz radioactifs émises lors des essais ; ces conditions nécessitaient une surveillance médicale ; les examens anthroporadiométriques dont il a fait l'objet ne sont pas probants dès lors qu'ils n'ont pas été mis en œuvre rapidement après la suspicion de contamination ; de plus, les examens pratiqués ne détectent pas les rayons alpha et bêta ; par ailleurs, les examens anthroporadiométriques sont moins précis et moins fiables que les examens radiobiologiques des urines et des selles, ainsi que le prouvent différents dossiers d'autres militaires ; le Conseil d'Etat, par un arrêt du 6 novembre 2020 (n° 439003), a par ailleurs considéré qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, de telles mesures auraient été nécessaires ; les mesures de sécurité qui ont été prises sont aléatoires et insuffisantes ; les expositions externes aux rayons Gamma nécessitaient la mise en place d'appareils dosimétriques ; pour ce qui est de la contamination radioactive interne, l'anthropogammamétrie ne mesure que les rayonnements gamma, seule la radiotoxicologie permettant de rechercher les émissions de rayons alpha et bêta ; les retombées radioactives dans l'atmosphère lors des essais ont été importantes, en particulier du fait des conditions météorologiques.
- en ce qui concerne la réparation des préjudices, il demande, au titre des dépenses de santé et frais divers, la condamnation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 3 087 euros, la somme de 308 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 10 000 euros au titre des souffrances temporaires endurées, estimées à 1 sur 7 par l'expert, la somme de 8 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, la somme de 50 00 euros au titre du préjudice esthétique permanent, la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral, soit la somme totale de 43 308 euros ainsi que les frais de déplacement pour se rendre aux opérations d'expertise, s'élevant à la somme de 284 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C... a été affecté en Polynésie française, en qualité de légionnaire au 5e régiment étranger, du 29 mars 1995 au 15 avril 1997, période pendant laquelle ont eu lieu des essais nucléaires. Il a adressé, le 30 juin 2020, une demande d'indemnisation au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires en raison de cancers cutanés récidivants dont le premier lui a été diagnostiqué en 2017. Par une décision du 10 novembre 2020, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a rejeté cette demande. M. C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de cette décision, la condamnation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme de 215 399 euros en réparation des préjudices subis, et dans hypothèse où le tribunal déciderait d'une expertise aux fins d'évaluer ses préjudices, de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser une provision de 10 000 euros.
2. Par un jugement avant-dire droit n° 2100079 du 9 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision précitée du 10 novembre 2020, a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser à M. C... la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnité réparant ses préjudices, et, avant de statuer sur ses conclusions indemnitaires, a ordonné une expertise médicale.
3. Par un jugement n° 2100079 du 14 septembre 2023, rendu après expertise, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser à M. C... la somme de 6 001,80 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2020 et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 janvier 2021, sous déduction de la somme de 2 000 euros éventuellement versée à l'intéressé à titre de provision à valoir sur l'indemnité réparant ses préjudices. Le tribunal a également mis à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la somme de 284 euros en remboursement des frais de déplacement de M. C... aux opérations d'expertise et la somme de 2 000 euros au titre des frais d'expertise.
4. Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires relève appel des jugements des 9 mars et 14 septembre 2023. M. C..., par la voie de l'appel incident, demande la réformation du jugement en ce qu'il a limité à 6 001,80 euros le montant de sa réparation, et demande la condamnation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à lui verser la somme totale de 43 308 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices.
Sur l'appel principal du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires :
5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / II. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) " En vertu du V du même article 4 : " V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité (...) ". Le V de l'article 4, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, dispose : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ". Aux termes de l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " I. - Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an (...) ".
6. L'annexe au décret du 15 septembre 2014, relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, procède à l'énumération des maladies radio-induites mentionnées à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 précité : " Leucémies (sauf leucémie lymphoïde chronique car considérée comme non radio-induite). Myélodysplasies. Cancer du sein. Cancer du corps thyroïde pour une exposition pendant la période de croissance. Cancer cutané sauf mélanome malin. Cancer du poumon. Cancer du côlon. Cancer des glandes salivaires. Cancer de l'œsophage. Cancer de l'estomac. Cancer du foie. Cancer de la vessie. Cancer de l'ovaire. Cancer du cerveau et système nerveux central. Cancer des os et du tissu conjonctif. Cancer de l'utérus. Cancer de l'intestin grêle. Cancer du rectum. Cancer du rein. Cancer de la vésicule biliaire. Cancer des voies biliaires. Lymphomes non hodgkiniens. Myélomes ".
7. Il résulte des dispositions législatives et règlementaires précitées que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée, dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an. Si, pour le calcul de cette dose, l'administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé. En l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.
8. Il est constant que M. C... remplit les conditions de lieu, de temps et de maladie fixées par les dispositions précitées et qu'il bénéficie ainsi d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux cinq essais nucléaires français, réalisés à Mururoa et Fangataufa entre le 29 mars 1995 et le 15 avril 1997, et la survenue de sa maladie, en l'espèce un cancer cutané sur l'arête du nez et le sommet du crâne, diagnostiqué en 2017.
9. Pour écarter cette présomption de causalité, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires oppose tout d'abord à M. C... la circonstance qu'à Papeete les doses efficaces engagées mesurant l'exposition externe et la contamination interne étaient inférieures à 1mSv sur douze mois consécutifs selon l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. S'agissant de l'affectation de M. C... à Mururoa et Fangataufa, où il a été procédé à des essais nucléaires souterrains, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires écarte l'hypothèse selon laquelle M. C... aurait fait l'objet d'une contamination au motif qu'il n'aurait pas participé à des opérations de nettoyage des sites ni été conduit à travailler dans des zones exposées à des rayonnements ionisants, de sorte qu'il n'était pas nécessaire d'équiper ce dernier d'un dosimètre individuel externe. Enfin, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires écarte l'hypothèse d'une contamination interne de M. C... au motif que les résultats des examens anthroporadiométriques, réalisés les 6 avril 1995, 21 septembre 1995 et 10 septembre 1996, étaient normaux, de même que les examens radiotoxicologiques réalisés en avril, mai et septembre 1995.
10. S'agissant des périodes au cours desquelles M. C... était affecté à Mururoa et Fangataufa, l'hypothèse d'une contamination interne doit être écartée compte tenu des résultats des examens pratiqués. Toutefois, il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que lors de son affectation à Mururoa, M. C... a transporté du matériel nucléaire jusqu'à la plateforme d'essai. Il résulte également de l'instruction que des incidents ont été recensés lors des essais pratiqués durant la période d'affectation de M. C... sous forme d'échappement de gaz (essai Phégée du 21 novembre 2015) et de rejets d'iode (essais Thetis du 5 septembre 1995, Aepytos du 27 octobre 1995, Phégée du 21 novembre 1995 et Themistos du 27 décembre 1995). Dans ces conditions, compte tenu des conditions concrètes d'exposition de M. C..., qui était à proximité des zones d'essais nucléaires, bien qu'il n'ait pas pénétré ces zones et n'ait pas directement participé aux essais, et en l'absence de présentation de données relatives à des personnes se trouvant dans une situation comparable, des mesures de surveillance de la contamination externe de l'intéressé étaient nécessaires. En l'absence de telles mesures, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires n'apporte pas les éléments de nature à considérer que M. C... aurait reçu une dose inférieure à 1 mSv et ne remet donc pas en cause la présomption de causalité dont bénéficie ce dernier.
11. Il résulte de ce qui précède que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués des 9 mars et 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé sa décision du 10 novembre 2020 rejetant la demande d'indemnisation présentée par M. C..., a ordonné une expertise médicale puis l'a condamné à indemniser ce dernier de ses préjudices.
Sur l'appel incident de M. C... :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
12. En premier lieu, la somme de 115 euros que les premiers juges ont accordée à M. C... au titre de ses dépenses de santé exposées pour l'achat de produits dermatologiques et autres frais divers, avant la consolidation de son état de santé fixée par l'expert au 14 avril 2018, n'est pas contestée en appel.
13. En second lieu, le tribunal administratif a accordé à M. C..., au titre des mêmes dépenses, la somme de 575 euros pour la période allant du 14 avril 2018 jusqu'à la date du jugement du 14 septembre 2023. Pour la période postérieure, le tribunal a alloué à M. C... la somme de 2 093,80 euros sous forme d'un capital déterminé par application du montant de l'euro de rente.
14. M. C... ne conteste pas sérieusement l'évaluation de ces chefs de préjudice effectuée par les premiers juges, qui, s'agissant en particulier des dépenses futures, ont tenu compte de son âge (66 ans) et retenu un point de rente d'un montant égal à 18,207 correspondant au barème publié par la Gazette du Palais en 2022. Les conclusions présentées sur ce point par M. C... doivent dès lors être rejetées.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
S'agissant des préjudices temporaires :
15. En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire correspondant à l'incapacité fonctionnelle totale et partielle subie jusqu'à la consolidation intervenue le 14 avril 2018, M. C... demande la somme de 308 euros au lieu des 218 euros accordés par les premiers juges. Toutefois, la contestation de M. C... ne porte pas sur les périodes d'incapacité temporaire retenues par les premiers juges, qui ont repris sur ce point les conclusions de l'expertise, mais sur l'application du barème journalier d'indemnisation. Ses conclusions doivent être rejetées sur ce point dès lors que les premiers juges ont retenu à bon droit un barème journalier de 25 euros de nature à réparer les préjudices précités.
S'agissant des souffrances physiques :
16. Les souffrances physiques endurées par M. C... ont été évaluées par l'expert à 1 sur une échelle allant jusqu'à 7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué qui a fixé à 1 000 euros le montant de l'indemnité allouée à M. C... au titre de ce chef de préjudice, et au demeurant non contesté par ailleurs par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées par M. C... demandant que l'indemnisation de ce chef de préjudice soit portée à 10 000 euros.
S'agissant du préjudice esthétique temporaire :
17. En qui concerne la réparation du préjudice esthétique temporaire avant consolidation, il résulte du rapport d'expertise que M. C... a présenté une " cicatrice de 2 cm sur le crâne peu visible ". Il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait subi à ce titre un préjudice indemnisable. Par suite, M. C..., qui demande comme en première instance la somme de 8 000 euros, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande sur ce point.
18. En ce qui concerne la réparation du préjudice esthétique permanent, les premiers juges ont fait droit à la demande de M. C... à hauteur de la somme de 2 000 euros en raison de la persistance d'une cicatrice de 10 cm rendue visible par une calvitie partielle. Si M. C..., par la voie de l'appel incident, demande à bénéficier d'une indemnisation à hauteur de la somme de 8 000 euros, il ne conteste pas les conclusions de l'expert qui évalue à 2 sur 7 seulement le préjudice subi. Dans ces conditions, les premiers juges ont fait une juste évaluation de chef de préjudice en octroyant à M. C... la somme de 2 000 euros.
S'agissant du préjudice moral :
19. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. C... doit être regardé comme subissant un préjudice moral provoqué par la crainte légitime qu'il ressent du fait des conséquences de sa maladie et du risque de récidive qu'elle présente. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires à verser à M. C... la somme de 5 000 euros au titre de ce chef de préjudice et de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. C... tendant à l'indemnisation de son préjudice moral.
20. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires doit être rejetée et que M. C... est fondé à demander, par la voie de l'appel incident, que la somme de 6 001,80 euros que lui ont octroyée les premiers juges soit portée à 11 001,80 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2020 et de la capitalisation des intérêts à compter du 30 juin 2021. Enfin, c'est à bon droit que les premiers juges ont mis les frais d'expertise, d'un montant de 2 000 euros, à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Sur les frais liés au litige :
21. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires la somme de 1 500 euros au bénéfice de M. C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires est rejetée.
Article 2 : La somme que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a été condamné à verser à M. C... est portée à 11 001, 80 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2020 et de la capitalisation des intérêts à compter du 30 juin 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif du 14 septembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire avec l'article 1er.
Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 000 euros sont mis à la charge définitive du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Article 5 : Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires versera la somme de 1 500 euros à M. C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions incidentes de M. C... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, à M. B... C..., et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025
Le rapporteur
P. Bentolila
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C.Lanoux
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL02428 2