La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/05/2025 | FRANCE | N°23TL01931

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 27 mai 2025, 23TL01931


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière Le Guichet a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de la décision implicite de rejet née le 16 août 2020 du silence gardé par Toulouse Métropole sur sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait, d'une part, de la pollution de son terrain par la station-service située sur la parcelle cadastrée section BI n° 260 située 62 avenue de Toulouse à Cugnaux, et, d'autre des troubles de jouissance engendrés pa

r les travaux entrepris sur le terrain appartenant à Toulouse Métropole, enfin de condamner...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière Le Guichet a demandé au tribunal administratif de Toulouse l'annulation de la décision implicite de rejet née le 16 août 2020 du silence gardé par Toulouse Métropole sur sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait, d'une part, de la pollution de son terrain par la station-service située sur la parcelle cadastrée section BI n° 260 située 62 avenue de Toulouse à Cugnaux, et, d'autre des troubles de jouissance engendrés par les travaux entrepris sur le terrain appartenant à Toulouse Métropole, enfin de condamner Toulouse Métropole à lui verser la somme totale de 673 681,86 euros, à titre de dommages et intérêts.

Par un jugement n° 2005210 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour le 27 juillet 2023, et deux mémoires des 24 janvier et 10 avril 2025, la société civile immobilière Le Guichet, représentée par Me Rombi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de condamner Toulouse Métropole à lui verser la somme totale de 709 229, 86 euros au titre des préjudices subis du fait, d'une part, de la pollution de son terrain par la station-service située sur la parcelle cadastrée section BI n° 260 au 62 avenue de Toulouse à Cugnaux, et, d'autre part du fait des troubles de jouissance provoqués par les travaux entrepris sur le terrain appartenant à Toulouse Métropole ;

3°) de mettre à la charge de Toulouse Métropole la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société civile immobilière le Guichet soutient que :

- le mémoire en défense présenté par Toulouse Métropole le 17 décembre 2024 est irrecevable dès lors qu'il n'est pas justifié de l'habilitation donnée au président de Toulouse Métropole pour signer ce mémoire ;

- l'exception de prescription quadriennale qui lui a été opposée par Toulouse Métropole dans son mémoire du 6 juillet 2021, et qui a été retenue par les premiers juges était infondée, et le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen qu'elle avait soulevé à cet égard ; en effet, cette exception de prescription quadriennale n'a pas été valablement opposée dès lors qu'elle l'a été par le conseil de Toulouse Métropole dans son mémoire du 6 juillet 2021 et non par l'établissement public lui-même ; par ailleurs, le point de départ de la prescription correspond aux dates auxquelles l'appelante a eu connaissance de la pollution des sous-sols, soit avril et octobre 2015, dates des rapports établis par la société Antea ; c'est donc à tort que les premiers juges ont considéré que la pollution était connue du gérant de la société Le Guichet depuis le 21 août 2006 ; par ailleurs, la saisine par la société le Guichet, conjointement avec d'autres riverains, du tribunal administratif de Toulouse, d'une demande aux fins d'expertise avant que Toulouse Métropole ne procède aux opérations de démolition des infrastructures de l'ancienne station-service, a eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription quadriennale jusqu'au dépôt, le 4 mars 2016, du rapport d'expertise ;

- la responsabilité de Toulouse Métropole doit en premier lieu être engagée en sa qualité de personne publique propriétaire de la parcelle cadastrée section BI n° 52 sur laquelle elle a fait réaliser des travaux de dépollution en vertu des stipulations de l'acte de vente du 14 septembre 2020 ; à cet égard, par un arrêt du 29 juin 2018, n° 400677, le Conseil d'Etat a considéré que le propriétaire était, sur le seul fondement de son acte d'acquisition, débiteur d'une obligation de remise en état au titre de la législation sur les installations classées ; le Conseil d'Etat a considéré qu'il fallait rechercher si l'acte d'acquisition fait peser sur le nouveau propriétaire les obligations en matière de dépollution imparties à l'ancien propriétaire ;

- si Toulouse Métropole a adressé à la société civile immobilière Le Guichet, un projet de convention destinée à la réalisation des travaux de réhabilitation du site, ce projet ne pouvait être accepté, faute d'être conforme à la norme NF 31-620-2 qui impose dans le cadre d'une opération de réhabilitation, le respect d'une prestation globale supposant l'adoption d'un plan de gestion ; elle doit être indemnisée des préjudices de jouissance qu'elle a subis, ainsi que des frais qu'elle a engagés, et de la perte de la valeur vénale de sa propriété ; elle a subi des préjudices inhérents aux opérations de retrait de la cuve d'hydrocarbure, qui ont entraîné la destruction d'une partie du mur séparatif des propriétés et qui lui ont causé un préjudice pouvant être évalué, comme l'estime l'expert, à la somme de 2 666 euros ; les travaux ont, par ailleurs, été la source d'importantes émanations d'hydrocarbures dont les locataires de la société appelante se sont plaints le 25 juillet 2017 ; à la date de la demande du 16 octobre 2020 devant le tribunal administratif, les troubles de jouissance avaient duré 1 235 jours et à la date du jugement, le préjudice de jouissance avait duré 5 317 jours, le préjudice pouvant être évalué à la somme de 175 461 euros sur la base d'un taux journalier de 33 euros ; par ailleurs, son locataire, compte tenu de la pollution et des nuisances, a quitté l'immeuble le 30 juin 2020, et la société n'a trouvé aucun nouveau locataire, ce qui a engendré une perte locative de 4 000 euros mensuels ; la société a également exposé des dépenses liées à la découverte de la pollution, afférentes à des constats d'huissier et à des expertises judiciaires, pour un montant total de 48 130, 20 euros toutes taxes comprises et à des honoraires d'avocat pour un montant total de 99 837, 60 euros toutes taxes comprises ; par ailleurs la valeur vénale de sa propriété est estimée par l'expert à la somme de 1 250 000 euros, et la perte de valeur vénale peut être estimée à la somme de 375 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 décembre 2024 et 24 février 2025, Toulouse Métropole, représentée par Me Izembard, conclut au rejet de la requête de la société civile immobilière le Guichet et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à sa charge sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Toulouse métropole soutient que :

- les conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices liés à l'enlèvement de la cuve doivent être rejetées dès lors que sa responsabilité ne peut être engagée que sur le fondement de la responsabilité contractuelle compte tenu de la convention signée le 18 avril 2018 entre elle et la société civile immobilière Le Guichet, relative à la réalisation des travaux d'enlèvement de la cuve d'hydrocarbures ;

- les créances antérieures à l'année 2016 sont atteintes par la prescription quadriennale, laquelle, contrairement à ce soutient la société appelante, a été valablement opposée par son conseil ;

- les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

Par un courrier du 17 mars 2025, les parties ont été informées en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision de la cour était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que la prescription applicable en l'espèce est une prescription trentenaire.

Par le mémoire susvisé du 10 avril 2025, la société civile immobilière Le Guichet a présenté des observations sur le moyen d'ordre public. Toulouse Métropole en a fait de même par des observations enregistrées le 14 avril 2025.

Par une ordonnance du 10 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 29 avril 2025 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique

- et les observations de Me Rombi pour la société civile immobilière Le Guichet et celles de Me Izembard pour Toulouse métropole.

Une note en délibéré a été enregistrée le 15 mai 2025 pour Toulouse Métropole.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière Le Guichet est propriétaire, sur le territoire de la commune de Cugnaux (Haute-Garonne), 62 avenue de Toulouse, de la parcelle cadastrée section BI n° 260. Sur la parcelle voisine n° 52 a été exploitée, jusqu'au 9 novembre 2010, une station-service déclarée au titre de la rubrique n° 1434-b de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement. Après des démarches effectuées par le gérant de la société Le Guichet auprès du préfet de la Haute-Garonne, les services de l'Etat ont constaté que les parcelles précitées étaient atteintes de pollutions par des hydrocarbures. Aussi le préfet a demandé, le 24 juillet 2007, à l'exploitant de cette station-service de lui communiquer dans un délai d'un mois un échéancier de travaux de dépollution. Ce courrier n'ayant pas été suivi d'effet, le préfet de la Haute-Garonne a prescrit à l'exploitant, par arrêté du 7 novembre 2008, de faire réaliser des travaux de dépollution des sols et des eaux souterraines et de mettre en place un suivi de la qualité de ces eaux. Par arrêté préfectoral du 23 juillet 2010, l'exploitant a été mis en demeure de mettre en place un plan de gestion aux fins de suppression des sources de pollution présentes sur le site, et de procéder aux travaux de dépollution tels que prescrits par l'arrêté du 7 novembre 2008. Le 14 septembre 2010, le terrain où se situe la station-service a été cédé à Toulouse Métropole, l'activité de l'exploitant ayant fait l'objet, pour sa part, d'une radiation le 16 septembre 2010. Par deux arrêtés du 22 avril 2011, le préfet de la Haute-Garonne a mis en demeure l'ancien exploitant d'entamer les travaux de dépollution dans un délai de trois mois et l'a obligé à consigner une somme de 10 000 euros correspondant au coût de la réalisation du plan de gestion de la dépollution du site. Par un courrier du 9 juin 2020, la société Le Guichet a formé auprès de Toulouse Métropole, en sa qualité de propriétaire depuis 2010 du terrain à l'origine de pollutions, une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la tardiveté avec laquelle cette collectivité a fait exécuter la procédure de dépollution de la parcelle n° 52, de la persistance de cette pollution sur son propre terrain pendant plusieurs années, et des diverses nuisances entraînées par la suppression d'une cuve d'hydrocarbures effectuée au cours des travaux de réhabilitation de la parcelle supportant l'ancienne station-service. La société Le Guichet a demandé au tribunal administratif, d'une part, l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par Toulouse Métropole sur sa demande, et, d'autre part, la condamnation de cette collectivité à lui verser la somme globale de 673 681,86 euros, en réparation de ses préjudices.

2. Par un jugement du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande au motif qu'elle était atteinte par la prescription quadriennale en application de la loi du 31 décembre 1968. La société Le Guichet relève appel de ce jugement et demande la condamnation de Toulouse Métropole à lui verser la somme totale de 709 229, 86 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la recevabilité du mémoire en défense de Toulouse Métropole :

3. La société appelante soutient que le mémoire en défense présenté devant la cour par Toulouse Métropole le 17 décembre 2024 est irrecevable dès lors qu'il n'est pas justifié de l'habilitation donnée au président de cette collectivité pour la représenter en justice. Toutefois, Toulouse Métropole a produit, avec son mémoire du 24 février 2025, la délibération de son conseil du 8 décembre 2022 habilitant l'autorité exécutive à la représenter en justice tant en demande qu'en défense. La fin de non-recevoir opposée par la société Le Guichet doit donc être écartée.

Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les préjudices liés aux travaux d'enlèvement de la cuve de la station-service :

4. La société Le Guichet demande la condamnation de Toulouse Métropole à lui verser une somme de 2 666 euros au titre de ses préjudices de jouissance consécutifs aux opérations d'enlèvement de la cuve d'hydrocarbures de l'ancienne station-service, située sous sa propre propriété, réalisés pour le compte de Toulouse Métropole. Comme en première instance, Toulouse Métropole oppose à la société le moyen tiré de ce qu'une telle demande ne peut prospérer que sur le terrain de la responsabilité contractuelle en raison d'une faute qu'elle aurait commise dans l'exécution de la convention, intitulée " convention relative à la réalisation de travaux sur un terrain ... riverain de l'ancienne station-service ", signée entre elles le 18 avril 2018. L'article 2 de cette convention définit, d'une part, les conditions de réalisation des travaux d'enlèvement de la cuve d'hydrocarbures E sur la parcelle propriété de Toulouse Métropole, et, d'autre part, mentionne les opérations à effectuer préalablement à la mise en œuvre de ces travaux. Toutefois, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la seule circonstance que ces travaux aient été réalisés dans le cadre de la convention précitée n'interdit pas, par principe, à la société Le Guichet de se prévaloir de troubles de jouissance subis du fait de ces travaux, à la condition toutefois que celle-ci n'en ait pas exclu expressément la réparation.

5. A cet égard, Toulouse Métropole fait valoir que la convention aurait défini de façon exhaustive les préjudices indemnisables au profit de la société Le Guichet, pouvant résulter de l'exécution des travaux prévus, et que la société appelante ne saurait dès lors présenter des conclusions indemnitaires excédant le montant d'indemnisation contractuellement défini.

6. Toutefois la convention du 18 avril 2018 stipule en son article 1er qu' " il est expressément convenu entre les parties que la présente convention ne concerne pas l'indemnisation des préjudices subis par la société Le Guichet, du fait de la pollution de sa parcelle générée par l'exploitation de la station-service sur la parcelle mitoyenne et/ou des travaux de démolition ainsi que de réhabilitation entrepris ou à entreprendre. La SCI Le Guichet ne renonce en aucune façon à son droit de solliciter une indemnisation au titre de l'ensemble de ses préjudices ". Par ailleurs, dans son article 3 " Indemnisation de la SCI Le Guichet ", la convention prévoit, au titre des troubles de jouissance liés à l'exécution des travaux, lesquels impliquaient que " l'accès (aux) places de stationnement (était) condamné pendant la durée des travaux d'enlèvement de la cuve située en partie sous la parcelle de la SCI Le Guichet ", d'indemniser à ce seul titre la société Le Guichet à hauteur de la somme de 1 200 euros. Ainsi ni l'article 3 ni les autres stipulations de la convention n'ont exclu la possibilité pour la société Le Guichet d'obtenir, le cas échéant, une indemnisation d'autres troubles de jouissance susceptibles d'avoir été provoqués par l'exécution des travaux.

7. La société Le Guichet se réfère au rapport rendu le 9 septembre 2019 par l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse qui a estimé que les travaux de démolition des superstructures du 2 au 4 mars 2016, des dalles et cuves du 20 juin au 5 juillet 2016, du mur arrière de la station du 20 juin 2017, d'enlèvement de la cuve E du 18 au 21 juin 2018 étalés sur 20 jours, avaient créé des troubles de jouissance. L'expert a également estimé les préjudices de jouissance subis à cet égard correspond " aux 2/3 d'un loyer soit 2 666 euros ". Toutefois, si la société appelante demande la condamnation de Toulouse Métropole à lui verser cette dernière somme, elle ne justifie pas avoir perdu des loyers ni en tout état de cause de ce que ses locataires se seraient plaints de troubles de jouissance pendant l'exécution des travaux d'enlèvement de la cuve. Dans ces conditions, la société appelante ne peut demander la condamnation de Toulouse Métropole à l'indemniser du chef de préjudice allégué.

En ce qui concerne les préjudices liés à la pollution du terrain de la société :

S'agissant du débiteur de l'obligation de dépollution des sols :

8. Ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, en vertu des articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, l'obligation de remise en état du site, prescrit par les articles R. 512-39-1 et suivants du même code, pèse sur le dernier exploitant ou son ayant-droit. Le propriétaire du terrain d'assiette de l'exploitation n'est pas, en cette seule qualité, débiteur de cette obligation. Il en va autrement si l'acte par lequel le propriétaire a acquis le terrain d'assiette a eu pour effet, eu égard à son objet et à sa portée, en lui transférant l'ensemble des biens et droits se rapportant à l'exploitation concernée, de le substituer, même sans autorisation préfectorale, à l'exploitant.

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Toulouse Métropole est devenue propriétaire de la parcelle cadastrée section BI n° 52, où était située la station-service, par un acte notarié du 14 septembre 2010 conclu avec l'ancien exploitant de cette installation. Il résulte des mentions portées sur cet acte de vente que Toulouse Métropole était informée de l'existence d'un arrêté préfectoral du 7 novembre 2008 prescrivant la réalisation de travaux de dépollution et la surveillance des eaux souterraines par l'exploitant après des analyses mettant en évidence une pollution des eaux souterraines par des hydrocarbures. Par ce même acte notarié, Toulouse Métropole était également informée de l'arrêté préfectoral du 23 juillet 2010 mettant en demeure l'exploitant de mettre en place un plan de gestion permettant de supprimer les sources de pollution présentes sur le site de la station-service, puis d'effectuer les travaux de dépollution prescrits par l'arrêté du 7 novembre 2008. Surtout, l'acte de vente stipulait que " ... l'acquéreur est pleinement informé de la situation du bien immobilier au regard de la nature, de la localisation, des caractéristiques et de l'importance de la pollution qui affecte son sous-sol et des conséquences qui y sont attachées. L'acquéreur s'engage à prendre personnellement à sa charge l'ensemble des procédures et injonctions de travaux résultant de ce qui vient d'être analysé de sorte que le vendeur ne soit plus aucunement responsable à compter d'aujourd'hui ... ". Ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges et contrairement à ce que persiste à soutenir en défense Toulouse Métropole, cet acte de vente a eu pour effet de lui transférer l'ensemble des obligations attachées à la propriété transférée, en particulier celle tenant à la remise en état du site, et notamment sa dépollution, depuis la cessation d'activité de la station-service.

10. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de Toulouse Métropole est susceptible d'être engagée, en sa qualité de débitrice de l'obligation de dépollution, pour défaut de remise en état du site à compter du 14 septembre 2010, date à laquelle elle en a acquis la propriété.

S'agissant de la période de responsabilité :

11. La société Le Guichet demande la condamnation de Toulouse Métropole à lui verser la somme de 175 461 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis entre le 7 novembre 2008 et le 30 mai 2023. Toutefois, si elle se prévaut de l'inertie fautive de Toulouse Métropole dès le 7 novembre 2008, date à laquelle le préfet de la Haute-Garonne a prescrit la réalisation de travaux de dépollution des sols et des eaux souterraines, la responsabilité de cette collectivité ne serait susceptible d'être retenue qu'à compter, ainsi qu'il est dit aux points 9 et 10 du présent arrêt, du 14 septembre 2010. Et il résulte de l'instruction que cette responsabilité a pris fin le 10 février 2017, date à laquelle Toulouse Métropole a adressé à la société Le Guichet un projet de convention prévoyant la réhabilitation du site par ses services, proposition à laquelle la société n'a pas cependant pas donné suite, sans qu'elle n'ait fait valoir de circonstances particulières pouvant justifier son refus. En outre, il résulte de l'instruction que Toulouse Métropole a proposé la signature d'une nouvelle convention de réhabilitation des sols, que la société a refusée le 7 février 2019 au motif que le mode de réhabilitation proposé ne serait pas conforme à la norme NF 31-620-2, sans pour autant expliquer en quoi cette non-conformité était justifiée.

12. Au regard de ce qui précède, la responsabilité de Toulouse Métropole est susceptible d'être engagée pour la période comprise entre le 14 septembre 2010 et le 10 février 2017.

S'agissant de la prescription quadriennale :

Quant à la personne compétente pour opposer la prescription :

13. Aux termes du 1er alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes (...) et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes du 1er alinéa de l'article 7 de la même loi : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ". Enfin, aux termes de l'article 8 de cette loi : " La juridiction compétente pour connaître de la demande à laquelle la prescription est opposée, en vertu de la présente loi, est compétente pour statuer sur l'exception de prescription "

14. Il résulte de ces dispositions que l'administration ne peut renoncer à opposer la prescription, sauf à en relever le créancier selon la procédure ou pour les motifs qu'elles prévoient. Les dispositions précitées ne déterminent pas l'autorité ayant qualité pour l'opposer ni ne régissent les formes dans lesquelles cette autorité peut l'invoquer devant la juridiction du premier degré. Ni ces dispositions, ni aucun élément tenant à la nature de la prescription ne font obstacle à ce que celle-ci soit opposée par une personne ayant reçu de l'autorité compétente une délégation ou un mandat à cette fin. L'avocat, à qui l'administration a donné mandat pour la représenter en justice et qui, à ce titre, est habilité à opposer pour la défense des intérêts de cette dernière toute fin de non-recevoir et toute exception, doit être regardé comme ayant été également mandaté pour opposer l'exception de prescription aux conclusions du requérant tendant à la condamnation de cette administration à l'indemniser.

15. Dans ces conditions, la société Le Guichet n'est pas fondée à soutenir que le conseil de Toulouse Métropole n'avait pas qualité pour opposer à sa demande, comme il l'a fait dans son mémoire du 6 juillet 2021 devant le tribunal administratif, la prescription quadriennale.

Quant au point de départ de la prescription quadriennale :

16. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point précédent, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

17. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Le Guichet a, du fait de la pollution de son terrain, subi un préjudice de jouissance qui a revêtu un caractère continu en raison de la persistance de cette pollution plusieurs années durant, jusqu'à ce que Toulouse Métropole ait entrepris les actions destinées à y mettre fin. Il résulte de l'instruction que la pollution était cependant connue de la société Le Guichet depuis au moins les années 2004 et 2005, ainsi d'ailleurs qu'elle le reconnaît elle-même dans propres écritures, et en tout cas au moins depuis le 21 août 2006, date à laquelle son gérant a eu connaissance du rapport d'analyse d'échantillons d'eau de son puits, remis à sa demande par le laboratoire départemental de l'eau, concluant à la présence de dérivés du benzène. Cette pollution a été confirmée en 2007 par une nouvelle analyse des eaux de la nappe souterraine. Dès lors, en application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, la pollution en cause étant connue à date certaine en 2006, les créances sur la période de mars 2011 à octobre 2014, pour lesquelles Toulouse Métropole oppose la prescription quadriennale, étaient prescrites respectivement les 31 décembre 2015, 31 décembre 2016, 31 décembre 2017 et 31 décembre 2018. Par suite, au 9 juin 2020, date à laquelle Toulouse Métropole a été saisie d'une demande indemnitaire préalable, la créance de la société Le Guichet au titre des années précitées était prescrite. Et le cours de la prescription quadriennale n'a pas été interrompu par la saisine, le 5 février 2016, du juge du référé-expertise par la société dès lors qu'elle ne portait pas sur la pollution des terrains de la société le Guichet mais sur l'état des immeubles avant la démolition de la station-service. Dès lors, ainsi que l'oppose Toulouse Métropole, les créances invoquées par la société Le Guichet sont, pour la période comprise entre mars 2011 et octobre 2014, atteintes par la prescription quadriennale.

Quant au bien-fondé des conclusions indemnitaires portant sur des périodes non atteintes par la prescription quadriennale :

18. En premier lieu, il résulte des points 11 et 17 que les troubles de jouissance dont la société Le Guichet est susceptible de demander la réparation portent sur la période du 1er janvier 2015 au 10 février 2017. Il résulte de l'instruction, et notamment de la note établie le 19 juillet 2018 à la demande de Toulouse Métropole par le bureau d'études Antéa, faisant suite à des prélèvements et des analyses effectués sur place après les travaux d'enlèvement de la cuve que : " Sur la base des analyses d'eau de nappe, d'air du sol et d'air ambiant extérieur réalisé avant et après l'enlèvement de la cuve, la qualité des eaux souterraines, des gaz du sol et de l'air ambiant extérieur évolue légèrement à la baisse mais les impacts demeurent significatifs. Le fait d'avoir enlevé la cuve ne peut être assimilé à une opération de dépollution du site, même s'il contribue aux opérations de remise en état. En effet, aucun indice de fuite n'a été observé sur la cuve E et les analyses des gaz du sol et de la nappe montrent toujours des concentrations en substances organiques significatives... La pollution véhiculée par la nappe est donc encore présente au droit de la parcelle de la SCI le Guichet, la source principale étant traitée au niveau de l'ancienne station-service. Un complément de travaux de dépollution est donc nécessaire notamment aux abords immédiats du bâtiments. Des mesures d'air ambiant à l'intérieur du bâtiment sont préconisées de façon à s'assurer de l'absence de risque sanitaire pour les personnes travaillant dans l'étude notariale ".

19. Il s'évince de ces conclusions, et des autres éléments de l'instruction, que la pollution a existé avant les travaux d'enlèvement de la cuve, effectués en juin 2018, et qu'elle a persisté après leur exécution. Par ailleurs, le rapport rendu le 9 septembre 2019 par l'expert désigné par le tribunal administratif de Toulouse fait état de troubles de jouissance afférents aux travaux de démolition des superstructures effectués en mars 2016, des dalles et cuves en 2016, du mur arrière de la station en 2017, et d'" émanations d'odeurs d'hydrocarbure comme la pollution des sols et eaux au droit de la parcelle SCI le Guichet (qui) sont avérées depuis au moins le 15 juin 2015 ". Dans ces conditions, les nuisances subies par la société Le Guichet du fait de la pollution de sa parcelle sont établies. L'évaluation faite par la société de son préjudice de jouissance sur la base d'un montant journalier de 33 euros n'est pas justifiée. Néanmoins, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant Toulouse Métropole à verser à la société Le Guichet la somme de 5 000 euros au titre des préjudices de jouissance subis par cette dernière pour la période définie au point 18.

20. En deuxième lieu, faute pour la société appelante d'indiquer de façon précise en quoi la somme qu'elle demande au titre d'études ou de rapports présenterait un intérêt direct pour la solution du présent litige, les conclusions qu'elle présente sur ce point doivent être rejetées.

21. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la société Le Guichet aurait été contrainte de diminuer les loyers perçus de ses locataires à raison des nuisances causées par les travaux de dépollution du site. Dans ces conditions, les pertes de loyer invoquées ne sont pas justifiées, et les conclusions présentées sur ce point par la société appelante doivent être rejetées.

22. En quatrième lieu, la société Le Guichet demande la condamnation de Toulouse Métropole à l'indemniser à hauteur de la somme de 99 837, 60 euros toutes taxes comprises et produit à cet égard un certain nombre de factures d'honoraires émises par différents cabinets d'avocats, sans pour autant établir leur lien direct avec la solution apportée au présent litige. Néanmoins, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant Toulouse Métropole à verser à la société appelante la somme de 3 000 euros au titre de ce chef de préjudice.

23. En cinquième lieu, le rapport réalisé le 16 octobre 2018 à la demande de la société appelante par un expert immobilier ne fait pas état d'une perte de valeur vénale de son bien. Par suite, la société n'est pas fondée à demander à être indemnisée au titre de ce chef de préjudice.

24. Il résulte de tout ce qui précède que la société Le Guichet est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 30 mai 2023 du tribunal administratif de Toulouse a entièrement rejeté sa demande et à demander à ce que Toulouse Métropole soit condamnée à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation des préjudices subis.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Le Guichet qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Toulouse Métropole demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de Toulouse Métropole au bénéfice de la société Le Guichet la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Toulouse Métropole est condamnée à verser à la société civile immobilière Le Guichet la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Article 2 : Le jugement du 30 mai 2023 du tribunal administratif de Toulouse est réformé en ce qu'il est contraire à ce qui précède.

Article 3 : Toulouse Métropole versera à la société Le Guichet la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Le Guichet et à Toulouse Métropole.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2025.

Le rapporteur

P. Bentolila

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23TL01931 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01931
Date de la décision : 27/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Responsabilité.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Pierre Bentolila
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : ROMBI

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-27;23tl01931 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award