Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015.
Par un jugement n° 2100338 du 16 juin 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2023, Mme B..., représentée par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée MBA et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 juin 2023 ;
2°) de prononcer la décharge des suppléments d'impositions contestés ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'acte anormal de gestion n'est pas démontré, dès lors que c'est à tort que l'administration, pour évaluer la valeur du fonds de commerce cédé, a utilisé pour partie la méthode patrimoniale, seule la méthode par capitalisation de l'excédent brut d'exploitation étant adaptée à une telle évaluation, que, s'agissant de cette seconde méthode, un coefficient de 5 aurait dû être retenu eu égard à la rentabilité de l'officine inférieure à la moyenne et à l'absence d'environnement favorable, que l'écart obtenu n'est pas significatif et que l'élément intentionnel n'est pas démontré ;
- les pénalités pour manquement délibéré sont infondées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
La clôture immédiate de l'instruction est intervenue le 20 février 2025 par ordonnance du même jour en application des dispositions des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fougères,
- et les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 juillet 2015, la société en nom collectif Pharmacie d'Estanove, qui exploitait une officine de pharmacie à Montpellier (Hérault), a cédé ce fonds de commerce à la société à responsabilité limitée Pharmacie d'Estanove pour un montant de 1,5 million d'euros. Les deux sociétés ont fait l'objet de vérifications de comptabilité au cours des années 2017 et 2018, à l'issue desquelles le service a estimé que ce prix de cession avait été significativement minoré et a évalué à 446 666 euros la plus-value professionnelle à long terme dégagée à l'occasion de cette cession au profit de la société en nom collectif. En conséquence, elle a imposé entre les mains des associées de cette société, dont Mme B... faisait partie, la fraction de cette plus-value correspondant à leurs participations respectives au sein de la société. Mme B... relève appel du jugement du 20 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi mis à sa charge au titre de l'année 2015.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
2. En vertu de l'article 38 du code général des impôts, le bénéfice industriel et commercial imposable à l'impôt sur le revenu est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
3. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.
4. Ainsi que dit au point 1, le fonds de commerce détenu par la société en nom collectif Pharmacie d'Estanove a été cédé pour un montant de 1,5 million d'euros, dont 1 455 000 euros au titre des éléments incorporels du fonds et 45 000 euros au titre de ses éléments corporels. Pour qualifier la cession du fonds de commerce détenu par la société en nom collectif Pharmacie d'Estanove d'acte anormal de gestion, le service a estimé que la société ne justifiait pas avoir recouru, avant de procéder à la cession du fonds, à une méthodologie rigoureuse de valorisation du fonds de commerce, et a procédé lui-même à l'évaluation des éléments incorporels de celui-ci par la combinaison de deux méthodes.
5. Ainsi, le service a d'abord employé la méthode patrimoniale en déterminant un rapport entre le montant de la cession et le chiffre d'affaires moyen réalisé, obtenu par voie de comparaison avec six cessions d'officines réalisées entre 2012 et 2015, dont trois portant sur des officines situées dans la ville de Montpellier et présentant un prix de cession similaire, et trois portant sur des officines situées dans le Gard et présentant des chiffres d'affaires comparables à celui de la société, obtenant un ratio moyen de 88 %, lui-même comparé au ratio moyen de 82 % réalisé sur l'ensemble du territoire national publié par le cabinet Interfimo pour l'année 2015. Un ratio de 85 % a été retenu, conduisant ainsi, eu égard au chiffre d'affaires moyen de 2 505 890 euros réalisé par la société au cours des trois années précédant la cession, à évaluer le prix de cession des éléments incorporels à 2 130 007 euros. Le service a ensuite employé la méthode par capitalisation de l'excédent brut d'exploitation, consistant à appliquer un coefficient multiplicateur à cet excédent brut d'exploitation, évalué à 298 808 euros. Le coefficient, initialement fixé à 6,2 par la vérificatrice, sur la base du coefficient moyen constaté au sein de la région Occitanie par le cabinet Interfimo, a été abaissé à 5,6 pour tenir compte de l'avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires, conduisant à une évaluation du prix de cession à 1 673 325 euros. La moyenne des résultats de ces deux méthodes conduit à une évaluation des éléments incorporels à 1 901 666 euros, auquel s'ajoute les 45 000 euros d'éléments corporels, soit un prix de cession du fonds à hauteur de 1 946 666 euros, de sorte que le prix de cession est inférieur de près de 23 % à la valeur vénale du fonds calculée par le service.
6. En premier lieu, d'une part, Mme B... critique le recours à la méthode patrimoniale, qu'elle estime dépassée et insuffisamment probante au regard de la méthode par capitalisation de l'excédent brut d'exploitation, seule à même d'évaluer la capacité de remboursement d'un emprunt. Toutefois, en se bornant à produire quelques articles économiques publiés dans des revues spécialisées privilégiant la méthode par capitalisation de l'excédent brut d'exploitation, l'intéressée ne conteste pas que la méthode patrimoniale est une méthode d'évaluation classique, ce qu'elle relève d'ailleurs, privilégiée au regard de la comparaison qu'elle permet avec les prix réels du marché et toujours utilisée non seulement par l'administration fiscale mais également par les cabinets d'expertise tels que le cabinet Interfimo, dont les travaux ont servi de base à la discussion entre les parties. L'administration pouvait, de plus, à bon droit combiner plusieurs méthodes d'évaluation pour affiner son analyse, afin que le prix retenu fût le plus proche possible de celui issu du jeu de l'offre et de la demande. Dès lors qu'elle ne remet en cause ni le caractère analogue des termes de comparaison retenus, ni le ratio finalement retenu de 85 %, ni enfin la pondération entre les deux méthodes d'évaluation, dont le service a fait la moyenne, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que seule l'évaluation par capitalisation de l'excédent brut d'exploitation devrait être retenue.
7. D'autre part, s'agissant de cette seconde méthode d'évaluation, Mme B... estime qu'un coefficient de 5, au lieu de celui de 5,6 retenu par l'administration, est justifié eu égard à la stagnation du chiffre d'affaires de l'officine, à sa moindre rentabilité et à son environnement qui n'est pas aussi favorable que le soutient l'administration. Toutefois, s'il est vrai que le chiffre d'affaires de l'officine, après avoir augmenté de 87 % entre l'achat du fonds en 1997 et l'année 2009, avait légèrement diminué durant les années ayant précédé la cession, l'intéressée ne justifie ni, par les seuls éléments statistiques qu'elle produit, que la rentabilité de l'officine était sensiblement inférieure à la moyenne des officines de la région, s'agissant en particulier d'une société soumise à l'impôt sur le revenu, ni que la réforme de la rémunération des pharmaciens intervenue le 1er janvier 2015 était davantage susceptible d'affecter sa rentabilité que celle des autres officines. En outre, la pharmacie d'Estanove est située au cœur d'un quartier résidentiel comportant de grands immeubles et au sein d'un centre commercial de proximité, comportant de nombreux commerces ainsi qu'un parking et situé à proximité immédiate de nombreux professionnels de santé prescripteurs, en particulier des praticiens du centre médical d'Estanove, situé à moins de 200 mètres de l'officine. En tout état de cause, à supposer même établies les affirmations de l'appelante sur la faible évolution de sa rentabilité et de son chiffre d'affaires ainsi que les circonstances que la démographie du quartier, désormais ancien, n'était plus susceptible d'évolution importante, que le centre commercial commençait à montrer des signes de vétusté et que certains des professionnels de santé du quartier n'avaient pas été remplacés à leur départ en retraite, l'administration fiscale a accepté, à la suite de l'avis rendu par la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires et alors même que le coefficient de 6,2 avait été retenu par la société elle-même, d'abaisser ce coefficient à 5,6 pour tenir compte des observations présentées par la contribuable. De plus, la concurrence évoquée de quatre autres officines à proximité est à nuancer, deux de celles-ci étant situées dans d'autres quartiers, à plus d'un kilomètre de la pharmacie d'Estanove, et les deux autres étant déjà implantées dans le quartier lors de l'achat de l'officine en 1997. Enfin, les travaux évoqués de la ligne 5 du tramway, outre qu'ils ont fait l'objet d'un moratoire avant la cession en litige, étaient certes susceptibles de perturber à court terme l'officine mais, du fait de la création d'un arrêt à proximité immédiate de celle-ci, étaient également susceptibles d'accroître sa clientèle à long terme. Pour toutes ces raisons, Mme B... ne justifie pas qu'un abaissement supplémentaire de ce coefficient, déjà inférieur à la moyenne régionale, serait plus conforme à la réalité du marché.
8. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant l'existence d'un écart significatif entre le prix évalué et le prix de cession pratiqué par la société en nom collectif Pharmacie d'Estanove, inférieur d'environ 23 % au premier. En se bornant à soutenir que le prix de cession a été fixé prudemment après l'échec de la revente des parts de Mme A..., dont elle ne justifie pas et sur lequel elle n'apporte aucun élément précis, Mme B... ne justifie ni de l'existence d'une contrepartie à cette minoration, ni de ce que l'entreprise se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix. Dès lors, le service doit être regardé comme apportant la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion, sans qu'il soit besoin d'établir l'intention libérale de la société vendeuse. En tout état de cause, cette intention libérale peut être regardée comme établie par la seule circonstance que deux des associées de la société en nom collectif Pharmacie d'Estanove, disposant à elles-deux de la majorité des parts de la société, sont également les deux associées de la société acheteuse.
En ce qui concerne les pénalités :
9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
10. Ainsi que dit précédemment, l'administration établit l'existence d'un écart significatif entre le prix de cession pratiqué par la société et celui évalué par l'administration, ainsi que d'une collusion d'intérêts entre la société vendeuse et la société acquéreuse, laquelle a pour associées les deux associées de la première disposant ensemble des deux tiers de ses parts. En outre, l'appelante ne conteste pas les affirmations du service selon lesquelles la société, bien qu'accompagnée de son expert-comptable et de son avocat, n'a pas établi d'étude rigoureuse permettant de valoriser le fonds de commerce, alors que cette situation de collusion d'intérêts devait particulièrement inciter à la prudence et que l'évaluation du prix fixé, à peine supérieur à celui qu'elle avait acquitté lors de l'achat du bien en 1997, était peu vraisemblable. Elle ne conteste pas non plus, et reconnait du reste, que le prix a été fixé avant tout sur la base de la capacité de remboursement de l'emprunt par l'acquéreuse, donc par les associées restantes, circonstance sans incidence sur la fixation du prix qu'il n'était pas dans l'intérêt de la société vendeuse, qui cessait son activité, de minorer. Mme B..., qui échappait ainsi au paiement de la plus-value dont elle était redevable, ne pouvait ignorer ces circonstances. Dès lors, l'administration justifie de l'infliction des pénalités pour manquement délibéré.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Ces dispositions s'opposent à ce que l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à Mme B... une somme au titre des frais qu'elle a exposés en lien avec la présente instance et non compris dans les dépens. Ces conclusions doivent, dès lors, être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Occitanie.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2025.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01718