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10/04/2025 | FRANCE | N°23TL01651

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 10 avril 2025, 23TL01651


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Générations Futures a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a renouvelé l'autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Touchdown Forêt par la société Syngenta France.



Par un jugement n° 2026224 du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Mo

ntpellier, à qui le dossier a été transféré par une ordonnance du président de la section du content...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Générations Futures a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a renouvelé l'autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Touchdown Forêt par la société Syngenta France.

Par un jugement n° 2026224 du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier, à qui le dossier a été transféré par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'État, a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2023 sous le n° 23TL01651, et un mémoire complémentaire enregistré le 20 mars 2025, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, représentée par Me Holleaux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 mai 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter la demande de l'association Générations Futures ;

3°) de mettre à la charge de l'association Générations Futures une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le règlement d'exécution (UE) n° 2017/2324 du 12 décembre 2017 n'exige pas, sous peine de nullité, une évaluation préalable du risque pour la diversité et l'abondance des arthropodes non ciblés via les interactions trophiques ;

- l'évaluation de ce risque nécessite la mise en place d'une méthodologie au niveau européen ;

- l'évaluation qui a précédé la décision contestée est complète ;

- cette décision ne méconnaît pas le règlement d'exécution (UE) n° 2017/2324 du 12 décembre 2017 ;

- les autres moyens soulevés par l'association intimée devant le tribunal et la cour sont inopérants ou ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2024, l'association Générations Futures, représentée par Me Lafforgue, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé ;

- la décision contestée n'a pas été précédée de la procédure de participation du public prévue à l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement ;

- elle méconnaît l'article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, en l'absence de démonstration de l'absence d'effet nocif du glyphosate sur la santé humaine et de ses effets inacceptables sur l'environnement et à défaut d'évaluation des effets à long terme et cumulés des substances composant le produit en cause.

II - Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2023 sous le n° 23TL01746, et un mémoire complémentaire enregistré le 30 janvier 2025, la société Syngenta France, représentée par Me Ferouelle, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 mai 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter la demande de l'association Générations Futures ;

3°) de mettre à la charge de l'association Générations Futures une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail s'est prononcée sur la base d'un dossier et d'une évaluation complets, compte tenu des données scientifiques fiables disponibles ;

- l'exigence d'attention particulière au risque pour la diversité et l'abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques n'est pas une condition de délivrance de l'autorisation de mise sur le marché et ne repose pas exclusivement sur les éléments fournis par les demandeurs ;

- le jugement est entaché, sur ce point, d'une contradiction de motifs ;

- le principe de précaution n'a pas vocation à s'appliquer, en l'absence d'élément précis et circonstancié de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, et n'a pas été méconnu ;

- le tribunal a renversé la charge de la preuve sur ce point ;

- les autres moyens soulevés par l'association intimée devant le tribunal et la cour sont inopérants ou ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 novembre 2024 et le 13 mars 2025, l'association Générations Futures, représentée par Me Lafforgue, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Syngenta France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé ;

- la décision contestée n'a pas été précédée de la procédure de participation du public prévue à l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement ;

- elle méconnaît l'article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, en l'absence de démonstration de l'absence d'effet nocif du glyphosate sur la santé humaine et de ses effets inacceptables sur l'environnement et à défaut d'évaluation des effets à long terme et cumulés des substances composant le produit en cause.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

- le règlement (UE) n° 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011 ;

- le règlement (UE) n° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 2017/2324 de la Commission du 12 décembre 2017 ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,

- les observations de Me Le Gall, substituant Me Holleaux, pour l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail,

- les observations de Me Ferouelle pour la société Syngenta France,

- et les observations de Me Baron pour l'association Générations Futures.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé, à la demande de l'association Générations Futures, la décision du 30 septembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a renouvelé l'autorisation, délivrée en 2007 à la société Syngenta France, de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Touchdown Forêt comprenant du glyphosate comme substance active. Par les requêtes n° 23TL01651 et n° 23TL01746, présentées respectivement par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et la société Syngenta France, ces dernières font appel de ce jugement.

2. Les requêtes n° 23TL01651 et n° 23TL01746 étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Il résulte des dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques que la commercialisation et l'utilisation de tels produits, sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne, n'est possible qu'après approbation des substances actives, phytoprotecteurs et synergistes qu'ils contiennent par la Commission européenne, au regard du projet de rapport d'évaluation établi par l'État membre rapporteur et des conclusions adoptées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, et après autorisation de mise sur le marché et utilisation par l'autorité compétente de l'État membre concerné. Aux termes du 4. de l'article 1er de ce règlement : " Les dispositions du présent règlement se fondent sur le principe de précaution afin d'éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l'environnement. En particulier, les États membres ne sont pas empêchés d'appliquer le principe de précaution lorsqu'il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l'environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire ". Le 3. de l'article 4 de ce règlement dispose que : " Un produit phytopharmaceutique, dans des conditions d'application conformes aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d'utilisation, satisfait aux conditions suivantes : / (...) / b) il n'a pas d'effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale (...) / (...) / e) il n'a pas d'effet inacceptable sur l'environnement, compte tenu particulièrement des éléments suivants, lorsque les méthodes d'évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l'Autorité, sont disponibles : / (...) / ii) son effet sur les espèces non visées, notamment sur le comportement persistant de ces espèces ; / iii) son effet sur la biodiversité et l'écosystème ". L'article 29 du même règlement dispose que : " 1. Sans préjudice de l'article 50, un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que si, selon les principes uniformes visés au paragraphe 6, il satisfait aux exigences suivantes : / a) ses substances actives, phytoprotecteurs et synergistes ont été approuvés ; / (...) / e) dans l'état actuel des connaissances scientifiques et techniques, il satisfait aux conditions prévues à l'article 4, paragraphe 3 (...) / 2. Le demandeur est tenu de prouver le respect des exigences énoncées au paragraphe 1, points a) à h). / 3. Le respect des exigences énumérées au paragraphe 1, point b) et points e) à h), est assuré par des essais et des analyses officiels ou officiellement reconnus, dans des conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales correspondant à l'emploi du produit phytopharmaceutique en question et représentatives des conditions prévalant dans la zone où le produit est destiné à être utilisé. / (...) / 6. Des principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques comprennent les exigences énoncées à l'annexe VI de la directive 91/414/CEE et sont définis dans des règlements adoptés selon la procédure consultative visée à l'article 79, paragraphe 2, sans modifications substantielles. Les modifications ultérieures apportées à ces règlements sont adoptées en vertu de l'article 78, paragraphe 1, point c). / En vertu de ces principes, l'interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants doit être prise en compte lors de l'évaluation des produits phytopharmaceutiques ". Aux termes de l'article 36 du même règlement : " 1. L'État membre examinant la demande procède à une évaluation indépendante, objective et transparente, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles en utilisant les documents d'orientation disponibles au moment de la demande. (...) / Il applique les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques visés à l'article 29, paragraphe 6, pour déterminer, dans la mesure du possible, si le produit phytopharmaceutique satisfait aux exigences prévues à l'article 29 dans la même zone, lorsqu'il est utilisé conformément à l'article 55 et dans des conditions réalistes d'emploi (...) ". Aux termes enfin de l'annexe 1 au règlement d'exécution (UE) n° 2017/2324 du 12 décembre 2017 renouvelant l'approbation de la substance active " glyphosate " : " (...) Pour la mise en œuvre des principes uniformes visés à l'article 29, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 1107/2009, il est tenu compte des conclusions du rapport d'examen sur le glyphosate, et notamment de ses annexes I et II. / Dans le cadre de cette évaluation générale, les États membres doivent accorder une attention particulière : / (...) / - au risque pour la diversité et l'abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques / (...) / Les conditions d'utilisation doivent comprendre, s'il y a lieu, des mesures d'atténuation des risques (...) ".

4. En vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de ses arrêts National Farmers' Union et autres du 5 mai 1998, C 157/96, Royaume-Uni c. Commission du 5 mai 1998, C-180/96 et Commission c. France du 28 janvier 2010, C-333/08, il découle du principe de précaution consacré par les stipulations précitées que, lorsque des incertitudes subsistent sur l'existence ou la portée de risques, des mesures de protection peuvent être prises sans attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Une application correcte de ce principe présuppose l'identification des conséquences potentiellement négatives d'un produit et une évaluation complète du risque fondée sur les données scientifiques les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale. Lorsqu'il s'avère impossible de déterminer avec certitude l'existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d'un dommage réel persiste dans l'hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l'adoption de mesures restrictives.

5. Un produit phytopharmaceutique qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché. Il appartient dès lors à l'autorité compétente, saisie d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d'une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d'autre part, à l'intérêt du produit, les mesures de précaution dont l'autorisation est assortie afin d'éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives. Il appartient au juge, saisi de conclusions dirigées contre l'autorisation de mise sur le marché et au vu de l'argumentation dont il est saisi, de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée, puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution.

6. Il ressort des pièces du dossier que le produit phytopharmaceutique Touchdown Forêt est un herbicide à usage professionnel dont la substance active est le glyphosate, dosé à 360 grammes par litre et se présentant sous la forme d'un concentré soluble, appliqué par pulvérisation. Cette substance active a été approuvée par les autorités communautaires, alors jusqu'au 15 décembre 2022, par le règlement d'exécution n° 2017/2324 de la Commission du 12 décembre 2017 pour une durée de cinq ans. Cette dernière circonstance ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit prise en compte pour apprécier l'existence d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, justifiant l'application du principe de précaution.

7. À la suite des constatations, publiées le 20 mars 2015, du Centre international de recherche sur le cancer, placé auprès de l'Organisation mondiale de la santé, quant au potentiel cancérogène du glyphosate, l'Autorité européenne de sécurité des aliments a été chargée d'examiner les informations sous-jacentes et d'inclure ces constatations dans ses propres conclusions. Elle a relevé, dans ses conclusions du 7 septembre 2017, appuyées sur une base de données complète disponible dans le domaine de la toxicologie, que le glyphosate ne présente pas de propriétés de perturbation endocrinienne par voie œstrogénique, androgénique, thyroïdienne ou stéroïdogénique. Le comité d'évaluation des risques de l'Agence européenne des produits chimiques a, par ailleurs, émis un avis, le 15 mars 2017, aux termes duquel il a conclu par consensus que, sur la base des informations alors disponibles, aucune classification de danger en ce qui concerne la cancérogénicité n'est justifiée pour le glyphosate. Ce sont ces éléments qui ont conduit la Commission à renouveler, par le règlement d'exécution (UE) n° 2017/2324 du 12 décembre 2017, l'approbation du glyphosate comme substance active. Enfin, saisie de l'étude du Centre international de recherche sur le cancer et après instruction par un groupe d'expertise collective d'urgence fondée sur une analyse des études alors disponibles, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a, dans un avis du 9 février 2016, estimé que le niveau de preuve de la cancérogénicité du glyphosate, notamment d'un risque de lymphomes non-hodgkiniens chez l'homme, était limité et qu'il est peu probable que le glyphosate ait un effet potentiel de perturbateur endocrinien. Elle en a conclu que cette substance active ne pouvait être classée comme cancérogène avéré ou présumé pour l'être humain. Il ressort, par ailleurs, des conclusions de l'évaluation du 21 septembre 2020, que l'Agence a estimé, en se fondant notamment sur deux tests de génotoxicité et en respectant les principes uniformes d'évaluation définis par le règlement (UE) 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011 portant application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques, lesquels n'excluent au demeurant pas une analyse par extrapolation, que les caractéristiques physico-chimiques du produit phytopharmaceutique Touchdown Forêt étaient conformes et que son niveau d'efficacité était satisfaisant pour l'ensemble des usages revendiqués. Dans ces conditions, en se bornant à évoquer plusieurs études scientifiques concluant à la nocivité du glyphosate pour la santé humaine et à se prévaloir, sans d'ailleurs l'établir, de ce que les évaluations du produit Touchdown Forêt seraient insuffisantes, obsolètes ou inadaptées, l'association intimée n'apporte aucun élément précis et circonstancié de nature à accréditer l'hypothèse, en l'état des données disponibles à la date de la décision contestée, d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, que comporterait ce produit, compte tenu des conditions d'emploi prescrites. Pour ce seul motif, alors au demeurant que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'évaluation des risques, pour les abeilles et autres insectes pollinisateurs, liés aux doses d'application supérieures à 2,28 kilogrammes de glyphosate par hectare, qui n'a pas été finalisée pour les usages par pulvérisation basse en plein et sur le rang, n'était pas utile, dans la mesure où la plus forte dose autorisée est de 6 litres de produit par hectare, représentant 2,16 kilogrammes de glyphosate, le principe de précaution garanti par le droit de l'Union européenne doit être regardé comme n'ayant pas été méconnu.

8. Il résulte de ce qui précède que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution garanti par le droit de l'Union européenne. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association Générations Futures devant le tribunal administratif et devant la cour.

9. Il ressort des pièces du dossier, notamment des conclusions de l'évaluation du 21 septembre 2020, que la société Syngenta France n'a fourni aucune information permettant d'évaluer le risque que représente le produit phytopharmaceutique Touchdown Forêt pour la diversité et l'abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques. Ces conclusions ne sont pas remises en cause par le contenu du " Registration Report " (rapport d'inscription) établi pour ce produit en novembre 2019, y compris sa partie B9 intitulée " Ecotoxicology " (écotoxicologie), qui se borne à évoquer sur ce point des considérations générales et à évaluer le risque sur le terrain du glyphosate pour les arthropodes non ciblés. Si ces conclusions précisent que cette information ne paraît pas nécessaire pour certains usages sur des zones fortement anthropisées, telles que des voies ferrées ou des sites industriels, et que le demandeur a proposé une analyse de sensibilité pour les abeilles et certains autres insectes pollinisateurs, la décision contestée ne repose donc sur aucune analyse globale du risque en cause. Elle n'a prévu, sur ce point, aucune condition d'emploi du produit phytopharmaceutique autorisé, mais seulement, au titre des exigences complémentaires post-autorisation, de " fournir des éléments relatifs à l'impact potentiel sur la biodiversité et l'abondance des vertébrés et arthropodes terrestres non ciblés via des interactions trophiques, dès lors qu'une méthodologie appropriée aura été validée au niveau européen ". Dans ces conditions, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail doit être regardée comme n'ayant pas accordé, dans le cadre de l'évaluation qu'elle a menée, une attention particulière à ce risque, laquelle est expressément exigée par le règlement d'exécution (UE) n° 2017/2324 du 12 décembre 2017 et n'est subordonnée, par aucun texte, à la validation d'une méthodologie au niveau européen.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et la société Syngenta France ne sont pas fondées se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 30 septembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association Générations Futures, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et de la société Syngenta France le versement à l'association Générations Futures de la somme de 500 euros chacune en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et de la société Syngenta France sont rejetées.

Article 2 : L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et la société Syngenta France verseront, chacune, à l'association Générations Futures la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, à la société anonyme Syngenta France et à l'association Générations Futures.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, où siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2025.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23TL01651, 23TL01746


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01651
Date de la décision : 10/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Agriculture et forêts.

Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES;TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES;SELARL ALTANA

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-10;23tl01651 ?
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