Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis au tribunal administratif de Nîmes, en application de l'article R. 351- 8 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 24 décembre 2019 au greffe du tribunal administratif de Toulouse, présentée par M. A... B....
M. A... B... a demandé, d'une part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 453 240 euros en réparation de ses préjudices moral et matériel subis en raison de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de la non-comptabilisation des réductions de peine auxquelles il estimait avoir droit.
Par un jugement n° 1927500 du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Nîmes a, d'une part, rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions indemnitaires de M. B... présentées au titre de l'absence de comptabilisation des réductions de peine et, d'autre part, condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 1 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices consécutifs à ses conditions de détention.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 août 2023, M. B..., représenté par Me Montamat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 juin 2023 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de condamner l'Etat, au titre des conditions dans lesquelles il a été détenu à la prison de Toulouse-Seysses, à lui verser la somme de 453 240 euros en réparation de son préjudice moral et matériel avec intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable du 6 février 2020 et les intérêts capitalisés ;
3°) de condamner l'Etat, au titre de l'absence de comptabilisation des réductions de peine auxquelles il avait droit, à lui verser la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts avec les intérêts légaux et capitalisés ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à titre principal, une somme 2 000 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat, à titre subsidiaire, en cas de rejet de la demande d'aide juridictionnelle, une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il appartient bien à la juridiction administrative de connaître de ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat pour absence de comptabilisation des réductions de peine auxquelles il avait droit ; ce manquement de l'Etat à ses obligations a allongé illégalement sa durée de détention en méconnaissance des articles 5 et 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la prescription quadriennale n'est pas opposable à la créance dont il se prévaut à l'encontre l'Etat, du fait de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, pour la période antérieure au 1er janvier 2015 ;
- ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse Seysses, entre le 17 novembre 2010 et le 10 mars 2021, ont porté atteinte à sa dignité, ce qui constitue une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, aujourd'hui codifié aux articles L.6 et L.7 du code pénitentiaire ; la responsabilité de l'Etat est, dès lors, engagée sur le terrain de la faute ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, ses conditions de détention n'ont pas été indignes pendant une période de 162 jours seulement mais l'ont été tout au long de son incarcération entre novembre 2010 et mars 2021 ; il a partagé une cellule exiguë avec d'autres codétenus avec un mobilier manquant ou dégradé ; il a été contraint de dormir sur un matelas posé à même le sol ; la cellule ne comportait pas de toilettes cloisonnées ; les conditions d'hygiène étaient déplorables ; il a été contraint de partager sa cellule avec des codétenus fumeurs alors qu'il présente des antécédents médicaux sérieux, ayant souffert d'un cancer de la gorge ;
- le tribunal a manifestement sous-évalué le montant de ses préjudices en lui octroyant seulement une somme de 1 200 euros à titre de dommages et intérêts ; il convient de les évaluer en tenant compte du fait que le préjudice subi par un détenu présente un caractère continu et s'aggrave avec le temps de manière exponentielle ; compte tenu de la durée de son incarcération, les préjudices qu'il a subis à raison de ses conditions de détention indignes doit être évalué à la somme de 453 240 euros ; celui qu'il a subi en raison de l'omission de l'Etat de comptabiliser ses réductions de peines doit être évalué à 150 000 euros.
Par une décision du 17 mai 2024, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. B....
Par une ordonnance du 22 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 août 2024 à 12h00.
Le ministre de la justice a présenté un mémoire en défense le 7 février 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Faïck, président rapporteur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
- et les observations de Me Montamat représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né en 1951, a été incarcéré au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses à compter du 17 novembre 2010 jusqu'au 10 mars 2021, date de son transfert à la maison centrale de Poissy. Le 24 décembre 2019, il a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande de condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estimait subir en raison de l'indignité de ses conditions de détention. Les 6 février 2020 et 1er août 2022, il a saisi le ministre de la justice d'une demande préalable d'indemnisation de ces mêmes préjudices, ainsi que du préjudice que lui a causé l'absence de comptabilisation, dans le calcul de sa durée de détention, de réductions de peine auxquelles il estimait avoir droit. Ces demandes ont fait l'objet de décisions implicites de rejet. Par un jugement du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Nîmes, auquel la demande de M. B... avait été transmise par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a, d'une part, rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions indemnitaires fondées sur l'absence de prise en compte des réductions de peine et, d'autre part, condamné l'Etat à verser une indemnité de 1 200 euros à M. B... au motif que ce dernier avait subi des conditions de détention indignes sur une période cumulée de 162 jours entre mai 2019 et avril 2020. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître de ses conclusions fondées sur l'absence de comptabilisation de ses réductions de peine et limité à 1 200 euros le montant de la réparation due à raison des conditions de détention qu'il a supportées.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des litiges relatifs aux limites d'une peine infligée par une juridiction de l'ordre judiciaire. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nîmes a, par le jugement attaqué, rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser M. B... des préjudices que ce dernier soutient avoir subis, faute d'avoir bénéficié de réductions de peine.
Sur le fond :
En ce qui concerne la prescription quadriennale :
3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
4. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 précité, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.
5. Le préjudice moral subi par un détenu à raison de conditions de détention attentatoires à la dignité humaine revêt un caractère continu et évolutif. Par ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que ce préjudice soit mesuré dès qu'il a été subi. Il s'ensuit que la créance indemnitaire qui résulte de ce préjudice doit être rattachée, dans la mesure où il s'y rapporte, à chacune des années au cours desquelles il a été subi.
6. M. B... a sollicité la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il soutient avoir subis du fait de ses conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses entre le 17 novembre 2010 et le 10 mars 2021. Ainsi, le délai de prescription quadriennale des créances dont se prévaut M. B... pour la période du 17 novembre 2010 au 31 décembre 2010, du 1er janvier au 31 décembre 2011, du 1er janvier au 31 décembre 2012, du 1er janvier au 31 décembre 2013, du 1er janvier au 31 décembre 2014, du 1er janvier au 31 décembre 2015, du 1er janvier au 31 décembre 2016, du 1er janvier au 31 décembre 2017, du 1er janvier au 31 décembre 2018, du 1er janvier au 31 décembre 2019, du 1er janvier au 31 décembre 2020 et du 1er janvier au 10 mars 2021, a couru, pour chacune de ces années, à compter du 1er janvier de l'année suivante pour expirer le 31 décembre de la quatrième année suivante.
7. Il s'ensuit qu'au 24 décembre 2019, date à laquelle M. B... a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande indemnitaire dirigée contre l'Etat, la prescription quadriennale était acquise pour les années de détention antérieures au 1er janvier 2015. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Nîmes a accueilli l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre pour la période du 17 novembre 2010 au 31 décembre 2014 durant laquelle M. B... a été incarcéré au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses.
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
8. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 6 du code pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de chaque personne détenue ". Aux termes de l'article R. 321-1 du même code : " Chaque personne est détenue dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle (...) ".
9. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la suroccupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.
10. S'il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l'existence de faits de nature à caractériser une faute, il en va différemment, s'agissant d'une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C'est alors à l'administration qu'il revient d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.
11. Les premiers juges ont estimé, au regard des éléments qui leur avaient été soumis, que M. B... avait effectivement subi des conditions de détention indignes durant une période cumulée de 162 jours entre le 31 mai 2019 et le 9 avril 2020. M. B... soutient en appel avoir supporté de telles conditions durant la totalité de sa période d'incarcération au centre pénitentiaire de Toulous-Seysses soit, s'agissant de la période non couverte par la prescription quadriennale, du 1er janvier 2015 au 10 mars 2021. Il allègue à cet égard avoir été détenu dans une cellule collective de 9 m² avec un matelas au sol, sans intimité y compris lors de l'utilisation des sanitaires, sans mobilier pour le rangement de ses affaires personnelles qu'il a dû entasser dans des pochettes plastiques posées sur le sol. M. B... reproche également à l'administration pénitentiaire de ne pas avoir remédié aux problèmes d'hygiène rencontrés par les détenus, notamment en leur fournissant des produits d'hygiène corporelle, et de l'avoir contraint à partager sa cellule avec des détenus fumeurs alors qu'il aurait souffert, par le passé, d'un cancer de la gorge.
12. Il résulte de l'instruction que le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses a fait l'objet, en juin 2017, d'une visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté dont le rapport a relevé que le droit à l'encellulement individuel n'était pas respecté et que la promiscuité résultant de l'occupation d'une cellule par deux voire trois détenus entraînait des graves atteintes à la dignité des personnes. A cet égard, le rapport a dénombré la présence de 134 matelas au sol en 2016, puis 121 en avril 2017, tandis que le taux d'occupation était de 138 % en 2015, puis de 149,8 % en 2016. De même, le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses a, entre les 31 mai et 11 juin 2021, fait l'objet d'une nouvelle visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté dont le rapport, remis le 28 juin 2021, a constaté, depuis la précédente visite, une aggravation de la situation des détenus dans l'établissement, lequel présentait alors un taux d'occupation de 186 %, obligeant de nombreux détenus à dormir sur un matelas au sol, dans des cellules collectives petites et insalubres. Par ailleurs, saisi par la section française de l'observatoire international des prisons et l'ordre des avocats au barreau de Toulouse sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, par une ordonnance du 4 octobre 2021, a enjoint à l'administration pénitentiaire de prendre toute une série de mesures nécessaires à l'amélioration des conditions de détention des personnes détenues dans cet établissement.
13. En ce qui concerne la période du 1er janvier 2015 à septembre 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, seul à même de produire des justificatifs quant aux conditions de détention de l'intéressé, n'a apporté, malgré la mesure d'instruction ordonnée sur ce point par la cour, aucune pièce de nature à contredire la description, suffisamment crédible et précise, faite par M. B... de l'indignité de ses conditions de détention. Dans ces conditions, la responsabilité de l'Etat doit être engagée pour la période précitée. Compte tenu de la nature et de la durée des manquements supportés par M. B... et de l'aggravation de l'intensité de son préjudice moral au fil du temps, il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité due par l'État à 1 800 euros pour 2015, à 2 160 euros pour 2016, à 2 760 euros pour 2017 et à 2 610 euros pour la période courant du 1er janvier au 30 septembre 2018, soit au total 9 330 euros.
14. En ce qui concerne la période du 1er octobre 2018 au 30 mai 2020, l'administration a produit au dossier des fiches intitulées " état des lieux des cellules " dont il ressort que les cellules occupées par M. B... sont dotées de toilettes entourées de portes battantes ou au moins d'un drap. De même, le document intitulé " liste du paquetage arrivant remis à la personne détenue " versé à l'instruction corrobore les affirmations du ministre selon lesquelles l'administration pénitentiaire a fourni aux personnes incarcérées des produits d'hygiène corporelle ainsi que des produits de nettoyage. Enfin, si M. B... indique avoir été contraint de partager sa cellule avec des détenus fumeurs alors qu'il a souffert par le passé d'un cancer de la gorge, les courriers qu'il a échangés avec l'administration à ce sujet établissent que cette dernière a été attentive à cette situation en procédant à son changement de cellule lorsque cela lui était possible. En revanche, il résulte de l'instruction, et notamment du document intitulé " historique des affectations en cellule ", produit par le ministre, que M. B... a été incarcéré parfois seul, mais parfois en présence d'un ou deux codétenus entre octobre 2018 et mai 2020. Ainsi que le ministre l'a d'ailleurs lui-même reconnu dans ses écritures de première instance, M. B... a disposé d'un espace individuel inférieur à 3 m2 pendant une durée cumulée de 162 jours de détention au cours de la période précitée. Dans ces conditions, M. B... a subi une réduction de son espace personnel qui ne peut être regardée comme courte, occasionnelle et mineure. Il justifie ainsi avoir été soumis, pendant 162 jours, à des conditions de détention constitutives d'un traitement dégradant prohibé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, cette situation est de nature, malgré les efforts mis en œuvre par l'administration en vue but d'améliorer les conditions de vie des détenus, à engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de M. B... pour la période précitée. Dans les circonstances de l'espèce, en octroyant à M. B... une indemnité de 1 200 euros, alors que ce dernier a disposé d'un espace individuel de moins 3 m2 pendant une durée cumulée de plus de cinq mois, les premiers juges ont fait une évaluation insuffisante du préjudice subi. Il y a lieu de porter à 3 000 euros le montant de la réparation à laquelle M. B... a droit à ce titre.
15. En ce qui concerne la période du 1er juin 2020 au 10 mars 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne produit aucune pièce de nature à contredire la description faite par M. B... de l'indignité de ses conditions de détention. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13, la responsabilité de l'Etat doit être engagée pour la période précitée. Compte tenu de la nature et de la durée des manquements supportés par M. B... et de l'aggravation de l'intensité de son préjudice moral au fil du temps, il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité due par l'État au titre de la période précitée à 4 800 euros.
16. Il résulte de ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser à M. B... une somme de 17 130 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement du tribunal administratif de Nîmes doit ainsi être réformé en ce qu'il a limité à 1 200 euros le montant de la réparation due à M. B....
Sur les intérêts et leur capitalisation :
17. M. B... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 17 130 euros à compter du 6 février 2020, date de sa demande d'indemnisation préalable. Les intérêts échus au 6 février 2021 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais d'instance :
18. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Montamat, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Montamat de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le montant de l'indemnité de 1 200 euros que le tribunal administratif de Nîmes a mise à la charge de l'Etat au bénéfice de M. B... est portée à 17 130 euros. Cette dernière somme sera assortie des intérêts moratoires à compter du 6 février 2020, les intérêts échus au 6 février 2021 étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : L'Etat versera à Me Montamat une somme de 1 200 euros, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Montamat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 27 juin 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus de la demande de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Montamat et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 11 février 2025 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président assesseur,
Mme Karine Beltrami, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2025.
Le président-assesseur,
P. BentolilaLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23TL02065 2