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28/01/2025 | FRANCE | N°24TL00171

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 28 janvier 2025, 24TL00171


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2306163 du 18 décembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 15 sept

embre 2023 du préfet de la Haute-Garonne en tant qu'il fixe le pays de destination et a rejeté le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination pour l'exécution de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2306163 du 18 décembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 15 septembre 2023 du préfet de la Haute-Garonne en tant qu'il fixe le pays de destination et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement du 18 décembre 2023 du tribunal administratif de Toulouse en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi.

Il soutient que :

- M. A... ne produit ni élément probant susceptible de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la décision litigieuse était mise à exécution, il serait exposé à des risques réels, personnels et actuels de se voir infliger des traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le juge de première instance ne pouvait se fonder sur un jugement du tribunal spécial de Noakhali du 2 novembre 2022, non authentifié et produit tardivement, de sorte qu'il n'a pu être apprécié par la Cour nationale du droit d'asile ; ce jugement ne prouve pas que l'intéressé serait exposé à des traitements inhumains et dégradants ;

- l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas pour objet d'empêcher l'exécution d'une peine de prison dans le pays de l'intéressé, et dont rien ne permet de supposer que cette peine serait illégitime ;

- par ailleurs, M. A... ne démontre pas être dans l'impossibilité de faire appel aux autorités de son pays pour apprécier le différend privé qui l'opposerait à la famille de son ancienne compagne ; en tout état de cause, la décision litigieuse n'empêche pas l'intéressé de s'installer dans une autre province du Bangladesh éloignée de la famille de sa défunte compagne;

- la décision fixant le pays de renvoi n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de M. A....

Par une ordonnance du 3 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 décembre 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M.Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant bangladais né le 3 février 1986, déclare être entré sur le territoire français le 10 janvier 2022. Il a sollicité son admission au bénéfice de l'asile le 25 juillet 2022. Par une décision du 25 novembre 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté cette demande. Par une ordonnance du 9 juin 2023, la Cour nationale du droit d'asile a confirmé ce rejet en l'absence d'éléments sérieux apportés par M. A.... Par un arrêté du 15 septembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de renvoi. A la demande de M. A..., le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a, par jugement du 18 décembre 2023, annulé l'arrêté du 15 septembre 2023 en tant qu'il a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et rejeté le surplus de la demande. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi contenue dans l'arrêté précité.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Ces textes font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un État pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet État, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'État de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée. Il appartient, dans ces circonstances, à l'étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Devant le tribunal administratif de Toulouse, M. A... a soutenu qu'il serait exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à des traitements inhumains et dégradants en précisant être originaire d'un village du district de Noakhali où il aurait eu une relation sentimentale avec une jeune femme dont le frère l'aurait agressé en janvier 2020 après la découverte de cette relation. M. A... a également soutenu avoir été accusé à tort d'être responsable du décès de sa compagne, qui se serait donné la mort, ce qui aurait contraint ses parents à fuir leur domicile en janvier 2023 après avoir été attaqués par le frère de la défunte. Au soutien de ses allégations, M. A... a produit une traduction certifiée conforme, datée du 11 avril 2023, d'une copie, présentée comme émanant du greffier en chef du tribunal du District de Noakhali, d'un jugement du tribunal de Noakhali, du 2 novembre 2022, le condamnant à une peine d'emprisonnement pour avoir incité sa compagne à se suicider. M. A... a également produit à l'instance une traduction, certifiée conforme le 11 avril 2023, d'une attestation qui émanerait d'un avocat bangladais confirmant cette condamnation.

4. Toutefois, l'authenticité des documents présentés comme un jugement et une attestation d'avocat, qui ne saurait se déduire de la seule traduction dont ces documents ont fait l'objet, n'est pas suffisamment établie au dossier alors qu'elle est contestée par le préfet. En outre, M. A... n'a pas produit devant les instances chargées de sa demande d'asile le jugement précité du 2 novembre 2022. Par ailleurs, à supposer que M. A... aurait été condamné pénalement dans son pays, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mise à exécution du jugement l'exposerait directement, par lui-même, à des risques réels, personnels et actuels d'être soumis à des traitements inhumains et dégradants. Si M. A... soutient encore que son retour au Bangladesh le conduirait à être victime d'actes de violence et de maltraitance par la famille de son ancienne compagne, ses allégations sont insuffisamment probantes pour permettre d'estimer qu'il serait exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Au demeurant, sa demande d'asile, fondée sur l'existence de tels risques, a été rejetée tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté en litige en tant qu'il fixe le pays de renvoi.

6. Il appartient à la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A... à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi.

Sur les autres moyens de première instance :

7. En premier lieu, par un arrêté du 13 mars 2023, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 15 mars suivant, le préfet de la Haute-Garonne a donné à la directrice des migrations et de l'intégration délégation à l'effet de signer les décisions d'éloignement en matière de police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté.

8. En second lieu, en précisant que M. A... n'établissait pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine, le préfet, qui a en outre rappelé que la demande d'asile de l'intéressé avait été rejetée, a suffisamment motivé la décision fixant le pays de renvoi.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté en litige en tant qu'il fixe le pays à destination duquel M. A... doit être renvoyé. Dès lors, les articles 2 et 3 du jugement attaqué doivent être annulés et la demande présentée en première instance par M. A..., à l'encontre de l'arrêté en litige en tant qu'il fixe le pays de renvoi, doit être rejetée.

DÉCIDE:

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2306163 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse du 18 décembre 2023 sont annulés.

Article 2 : La demande de première instance de M. A... dirigée contre l'arrêté du 15 septembre 2023 en tant qu'il fixe le pays de renvoi est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A.... Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.

L'assesseur,

P. BentolilaLe président-rapporteur,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24TL00171


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00171
Date de la décision : 28/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: M. Frédéric Faïck
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-28;24tl00171 ?
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