Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2304897 du 24 octobre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet précité de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 250 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 novembre 2023 et le 20 juin 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 octobre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse.
2°) de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé qu'une erreur manifeste d'appréciation a été commise ;
- en effet, l'intéressé n'a jamais été en mesure de justifier de son identité, de sorte qu'il ne saurait se prévaloir de la présence en France de membres de sa famille ;
- de plus et à supposer établie son identité, il a vécu séparé de ces derniers jusqu'en 2022 et son retour dans son pays d'origine n'est pas de nature à mettre fin aux liens entretenus avec eux ;
- enfin, il ne justifie ni de la réalité actuelle de sa relation avec la mère de l'enfant dont il prétend être le père ni contribuer à l'éduction et à l'entretien de celle-ci ni même que cette dernière et sa mère seraient encore sur le territoire français, malgré la décision de transfert vers l'Italie prise à l'encontre de celle-ci.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2024, M. A... conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement des articles L.761-1 du livre des procédures fiscales et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 1er mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Rey-Bèthbéder a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant kazakh né le 25 septembre 1996, déclare être entré sur le territoire français depuis le 2 février 2022. Il a sollicité son admission au bénéfice de l'asile le 10 février 2022. Par une décision du 28 avril 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté cette demande. Par une décision du 16 mai 2023, la Cour nationale du droit d'asile a confirmé ce rejet. Par un arrêté du 27 juillet 2023, le préfet de la Haute-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
2. Le préfet de la Haute-Garonne relève appel du jugement du 24 octobre 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté précité, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 250 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le moyen retenu par le jugement attaqué :
3. Il ressort des pièces du dossier que si M. A..., à supposer établie son identité, qui n'est entré sur le territoire français que très récemment, le 2 février 2022, justifie de liens familiaux en France, en particulier avec sa grand-mère, sa mère et sa sœur, toutes trois bénéficiaires de la protection subsidiaire, ainsi qu'avec son frère et ses deux sœurs mineures, bénéficiaires de documents de circulation pour étranger mineur, il a vécu séparé des membres de sa famille durant de nombreuses années, alors même qu'ils ont toujours été en contact régulier. Par ailleurs s'il a eu une fille, née le 8 juillet 2023, avec une ressortissante russe, il ne justifie pas, en tout état de cause, d'une vie commune avec celle-ci à la date de l'arrêté litigieux alors, de plus, que celle-ci a fait l'objet d'un arrêté portant transfert aux autorités italiennes le 25 juillet 2022 qu'elle n'a pas exécuté et qu'elle a été déclarée en fuite jusqu'au 9 décembre 2023. En outre, la seule circonstance qu'il soit de nationalité kazakhe alors que la mère de son enfant est russe ne fait pas obstacle à ce qu'il constitue une cellule familiale dans l'un ou l'autre de leurs pays d'origine. Il suit de ce qui vient d'être exposé que c'est à tort que le premier juge a estimé que la décision du préfet l'obligeant à quitter le territoire français était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de M. A....
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance au soutien de sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2023.
Sur les autres moyens présentés par M. A... en première instance :
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté litigieux :
5. En premier lieu et aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
6. Lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de sa charte des droits fondamentaux. Ce droit n'implique toutefois pas l'obligation, pour le préfet, d'entendre l'étranger spécifiquement au sujet de l'obligation de quitter le territoire français qu'il envisage de prendre après avoir statué sur le droit au séjour à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu. Il ne ressort des pièces du dossier ni que, dans le cadre de l'instruction de sa demande d'asile, M. A... n'aurait pas été mis en mesure de présenter des observations, écrites ou orales, en complément de cette demande ni qu'il aurait sollicité, en vain, un entretien avec les services préfectoraux. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que les nouveaux éléments auxquels il se réfère auraient conduit le préfet à prendre une décision différente. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
7. En second lieu, tant la décision portant obligation de quitter le territoire français que celle fixant le pays de renvoi, qui comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui les fondent, notamment des éléments précis et non stéréotypés concernant la situation personnelle de M. A... et notamment la présence en France de sa mère, sont suffisamment motivées.
8. Il découle également de la rédaction de l'arrêté en litige que le moyen tiré d'un défaut d'examen réel et sérieux de la situation de l'intéressé doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté litigieux :
9. En premier lieu et aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " (...) Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci ".
10. En application des dispositions législatives précitées, le droit de l'intimé de se maintenir sur le territoire français a expiré le 16 mai 2023, date à laquelle est intervenue la décision de la Cour nationale du droit d'asile citée au point 1 du présent arrêt. Par suite et eu égard à la circonstance que l'arrêté critiqué a été pris le 27 juillet 2023, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont plus en vigueur depuis le 1er mai 2021, selon lesquelles le droit de se maintenir sur le territoire français ne prenait fin qu'à la date de la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
11. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, tant en ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français que celle fixant le pays de renvoi.
12. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que rien ne fait obstacle, à supposer établie l'existence d'une vie commune de l'intéressé avec la mère de son enfant et ce dernier, que la cellule familiale se reconstitue en Russie ou au Kazakhstan. En conséquence, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté, tant en ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français que celle fixant le pays de renvoi.
13. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré du défaut de base légale de la décision fixant le pays de renvoi en raison de l'illégalité de celle portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
14. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Et aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
15. Si l'intimé fait valoir ne pouvoir retourner au Kazakhstan sans risque pour sa sécurité, en raison de ce qu'il a été contraint de fuir ce pays après y avoir participé à des manifestations contre le régime et y avoir, ensuite, subi des sévices de la part des forces de l'ordre, il n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il serait personnellement exposé à subir des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine, ce qu'ont d'ailleurs estimé tant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que la Cour nationale du droit d'asile.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 27 juillet 2023, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'État le paiement d'une somme de 1 250 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions d'appel de M. A... relatives à l'application de ces dernières dispositions ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1 : Le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 24 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de M. A... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2025.
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
Le président-assesseur,
N. Lafon
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL02810