Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision du 24 novembre 2021 par laquelle le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé le concours de la force publique pour procéder à son expulsion du logement qu'elle occupe, situé ...à Conat (Pyrénées-Orientales).
Par un jugement n° 2201202 du 19 septembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 novembre 2023 et le 30 octobre 2024, Mme C..., représentée par Me Balaguer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 septembre 2023 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler la décision du 24 novembre 2021 par laquelle le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé le concours de la force publique pour procéder à son expulsion du logement qu'elle occupe ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme C... soutient que :
- la décision accordant le concours de la force publique est intervenue au terme d'une procédure irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de présenter ses observations écrites ou orales, ce qui l'a privée d'une garantie ;
- la décision accordant le concours de la force publique n'est pas suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration alors qu'il s'agit d'une décision individuelle défavorable constituant une mesure de police et restreignant l'exercice des libertés publiques et qu'elle porte atteinte au droit au logement et au principe de dignité de la personne humaine ; en outre, le préfet dispose d'une marge d'appréciation pour accorder ou non le concours de la force publique à la suite de la décision de justice ordonnant l'expulsion de l'occupant ; la décision du 24 novembre 2021 est donc entachée d'une insuffisance de motivation au regard des éléments de fait ainsi qu'au regard des éléments de droit qui la fondent, faute sur ce dernier point de mentionner les textes applicables ;
- la procédure civile d'exécution prévue par les articles L 153-1 et R 153-1 du code des procédures civiles n'a pas été respectée dans la mesure où le jugement du 6 janvier 2016 du tribunal d'instance de Perpignan ordonnant son expulsion ne lui a pas été signifié par le propriétaire, contrairement à ce qu'impose l'article L 411-1 du code des procédures civiles d'exécution ; cette signification n'est au demeurant pas mentionnée par ce jugement ; contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, cette absence de signification n'a pas été régularisée par la signification de l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 13 novembre 2018 compte tenu de ce que comme l'exige la jurisprudence de la Cour de cassation, par un arrêt du 30 juin 2022, doit intervenir une double signification du jugement et de l'arrêt, pour l'exécution forcée d'un jugement ; la décision judiciaire d'expulsion n'est donc pas exécutoire et le bail dont elle dispose continue donc à produire des effets ;
- par ailleurs, elle a contesté la procédure d'adjudication au terme de laquelle la société civile immobilière Tossut I Tremblant est devenue propriétaire du bien immobilier dont elle est locataire, et le préfet a donc été conduit à exécuter une décision d'expulsion, au bénéfice d'une personne morale qui devra être privée de la propriété de ce bien ;
- la procédure est viciée dès lors que le commandement de quitter les lieux a été pris au vu d'un jugement non exécutoire ;
- les démarches opérées auprès de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives ne sont pas non plus mentionnées alors qu'elles sont obligatoires lorsque le locataire, comme c'est son cas, fait l'objet d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ; le bail signé avec M. B... demeure donc toujours en vigueur ;
- il n'est pas fait mention des diligences opérées par l'huissier pour obtenir son expulsion ni de la réquisition qu'il devait nécessairement lui transmettre en application de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution afin de l'éclairer sur sa situation et des risques encourus par son expulsion ;
- les articles L 153-1 et R 153-1 du code des procédures civiles d'exécution n'ont pas été respectés ; le préfet, qui n'a pas été saisi par une réquisition comportant l'ensemble des mentions requises par l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, n'a pas été éclairé sur sa situation, et elle doit être regardée à cet égard comme ayant été privée d'une garantie ;
- il ne lui est pas possible de déterminer si le délai de deux mois à compter de la réquisition ne s'était pas écoulé au moment où la décision d'octroi de la force publique a été prise ;
- la décision d'octroi de la force publique ne comporte pas, par ailleurs, de référence cadastrale de la parcelle sur laquelle se trouve la construction concernée par l'expulsion sollicitée alors que deux autres constructions se trouvent sur cette même parcelle ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle et de celle de ses quatre enfants au regard de l'ordre public et de la question de l'atteinte à la dignité de la personne humaine ; en particulier, il n'a pas été tenu compte de la reconnaissance de son handicap ;
- des motifs d'ordre public et des motifs tirés de la précarité de la situation sociale d'une personne peuvent justifier qu'un refus de la force publique soit prononcé ; elle est dans une situation de particulière précarité dès lors qu'elle est isolée, handicapée et en difficulté financière ainsi que l'établit son avis d'imposition sur les revenus de l'année 2000 et qu'elle n'est pas imposable en 2021 ; en cas d'expulsion, elle serait, elle et ses quatre enfants, privée du logement qu'elle occupe depuis quinze ans ; du fait de la défaillance du propriétaire, elle a été contrainte de procéder, pour son logement, à des investissements notamment pour obtenir des branchements en eau ; cette expulsion la priverait de la possibilité de continuer à exploiter les terres agricoles et le potager, ce qui lui permet de se nourrir à moindre frais ; compte tenu de son état physique et financier, elle ne serait pas en mesure de trouver un lieu de vie et de travail aussi adapté à sa situation ;
- aucune solution de relogement ne lui a été proposée, compte tenu de ce que la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives n'a pas été saisie ;
- par ailleurs, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'état du logement ne peut justifier la décision d'octroi du concours de la force publique alors qu'elle a sollicité du propriétaire la réalisation de travaux et qu'elle a elle-même fait effectuer des travaux pour le raccordement au réseau d'eau et pour bénéficier d'eau potable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2024, le préfet des Pyrénées-Orientales conclut au rejet de la requête de Mme C....
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 28 octobre 2024, la société civile immobilière Tossut I Tremblant, représentée par Me Tribillac, conclut au rejet de la requête de Mme C... et à ce que soit mise à sa charge la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 30 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2024 à 12h00.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau de l'aide juridictionnelle du 15 novembre 2024.
Vu :
- le code de procédure civile ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bentolila, président assesseur,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Maillard, substituant Me Balaguer, pour la requérante.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de l'arrêté du 24 novembre 2021 par laquelle le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé le concours de la force publique pour procéder à son expulsion du logement qu'elle occupe, situé ..., sur le territoire de la commune de Conat (Pyrénées-Orientales) en exécution du jugement rendu le 6 janvier 2016 par le tribunal d'instance de Perpignan, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 13 novembre 2018, au bénéfice de la société civile immobilière Tossut I Tremblant, propriétaire du logement.
2. Mme C... relève appel du jugement du 19 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. Les modalités d'évaluation de la réparation due au propriétaire en cas de refus du concours de la force publique afin d'exécuter une mesure d'expulsion sont précisées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 153-1 du même code : " Si l'huissier de justice est dans l'obligation de requérir le concours de la force publique, il s'adresse au préfet. La réquisition contient une copie du dispositif du titre exécutoire (...) ". Aux termes de L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux. ". Selon l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés. Aux termes de l'article 654 du code de procédure civile : " La signification doit être faite à personne (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que l'Etat ne peut légalement accorder le concours de la force publique que pour l'exécution d'une décision de justice ayant force exécutoire. Le préfet saisi d'une demande de concours de la force publique doit s'assurer, au vu notamment des indications circonstanciées qu'il appartient à l'huissier de justice de lui fournir, que ce jugement est devenu exécutoire en tant qu'il autorise l'expulsion. A cet égard, l'exécution forcée des condamnations résultant d'un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l'arrêt et du jugement.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 13 novembre 2018, confirmant le jugement du 6 janvier 2016 par lequel le tribunal d'instance de Perpignan a autorisé le propriétaire du logement à faire procéder à l'expulsion de Mme C..., a été signifié à cette dernière par un huissier de justice le 5 décembre 2018. Toutefois, en dépit de la mesure d'instruction ordonnée sur ce point par la cour, il n'a pas été établi que le jugement du 6 janvier 2016, qui autorise l'expulsion, ait été signifié à Mme C.... Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir que la décision du 24 novembre 2021, par laquelle le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé le concours de la force publique pour procéder à son expulsion du logement qu'elle occupait, ne reposait pas sur une décision de justice ayant force exécutoire. Dès lors, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Montpellier, Mme C... est fondée à demander l'annulation de l'arrêté en litige du 24 novembre 2021, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête.
6. Il résulte de ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 septembre 2023 et l'arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 24 novembre 2021 doivent être annulés.
Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
7. Compte tenu de ce que Mme C... n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées à son encontre par la société civile immobilière Tossut I Tremblant doivent être rejetées, en tout état de cause.
8. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Balaguer, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Balaguer de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2201202 du 19 septembre 2023 du tribunal administratif de Montpellier, et l'arrêté du 24 novembre 2021 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion de Mme C... du logement qu'elle occupe, sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Me Balaguer une somme de 1 200 euros, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Balaguer renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société civile immobilière Tossut I Tremblant sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre de l'intérieur et à la société civile immobilière Tossut I Tremblant.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré prolongé après l'audience du 19 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.
Le rapporteur
P. Bentolila
Le président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23TL02707 2