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14/11/2024 | FRANCE | N°23TL02281

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 14 novembre 2024, 23TL02281


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a décidé sa remise aux autorités espagnoles, lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a assignée à résidence.



Par un jugement n° 2302423 du 3 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d

e Montpellier a renvoyé ses conclusions dirigées contre la décision portant refus de séjour à une formation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 29 mars 2023 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a décidé sa remise aux autorités espagnoles, lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2302423 du 3 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier a renvoyé ses conclusions dirigées contre la décision portant refus de séjour à une formation collégiale du tribunal et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Akdag, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler les décisions portant remise aux autorités espagnoles et interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an, contenues dans l'arrêté du 29 mars 2023 du préfet des Pyrénées-Orientales ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de remise aux autorités espagnoles méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français est privée de base légale ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 622-2 et L. 622-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est disproportionnée ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2024, le préfet des Pyrénées-Orientales, représenté par Me Joubes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 30 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 octobre 2024.

Par une lettre du 17 octobre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que l'article L. 621-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être substitué à l'article L. 621-2 du même code comme base légale de la décision de remise aux autorités espagnoles.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- et les observations de Me Bellamy, substituant Me Joubes, pour le préfet des Pyrénées-Orientales.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 29 mars 2023, le préfet des Pyrénées-Orientales a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme A..., de nationalité marocaine, a décidé sa remise aux autorités espagnoles, lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a assignée à résidence. Mme A... fait appel du jugement du 3 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier qui a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation des décisions, contenues dans cet arrêté, portant remise aux autorités espagnoles et interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Sur la décision de remise aux autorités espagnoles :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre État prévue à l'article L. 615-1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7 (...) ". L'article L. 621-2 du même code dispose que : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un État membre de l'Union européenne (...) l'étranger qui, admis à entrer ou à séjourner sur le territoire de cet État, a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 311-1, L. 311-2 et L. 411-1, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec cet État, en vigueur au 13 janvier 2009 ". Aux termes enfin de l'article L. 621-4 du même code : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un État membre de l'Union européenne l'étranger, détenteur d'un titre de résident de longue durée - UE en cours de validité accordé par cet État, en séjour irrégulier sur le territoire français (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... était titulaire, à la date de l'arrêté attaqué, d'un titre de résident de longue durée - UE délivré par les autorités espagnoles le 3 septembre 2019 et valable jusqu'au 19 juin 2024. Il en résulte que le préfet des Pyrénées-Orientales ne pouvait décider sa remise aux autorités espagnoles sur le fondement de l'article L. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

5. En l'espèce, la décision portant remise aux autorités espagnoles trouve son fondement légal dans les dispositions de l'article L. 621-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui peuvent être substituées à celles de l'article L. 621-2 du même code dès lors, en premier lieu, que Mme A... se trouvait dans la situation correspondant au cas prévu par les dispositions de l'article L. 621-4, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressée d'aucune garantie et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.

6. En deuxième lieu, Mme A..., qui est née le 29 septembre 1974, déclare résider en France depuis 2012. Son fils mineur, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elle a la charge, est né en Espagne le 28 septembre 2009 et possède la nationalité espagnole. Elle ne justifie pas d'une intégration particulière dans la société française et n'est pas dépourvue d'attaches familiales en Espagne, où elle retourne fréquemment et où résident notamment sa fille majeure. Dans ces conditions, les seules circonstances tirées de l'ancienneté de la présence sur le territoire national de Mme A..., de l'exercice, d'ailleurs sans autorisation, de plusieurs activités professionnelles et de la scolarisation en France de son fils depuis 2012 sont insuffisantes pour estimer que la décision portant remise aux autorités espagnoles a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En troisième lieu, il résulte des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Si Mme A... fait valoir que son fils mineur est scolarisé en France depuis l'âge de trois ans, soit depuis le mois de septembre 2012, il n'est pas démontré qu'il ne pourrait pas poursuivre, du fait notamment de l'obstacle de la langue, sa scolarité en Espagne. En outre, rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue dans cet État, dont le fils de Mme A... a la nationalité et où cette dernière disposait, à la date de l'arrêté attaqué, d'un droit au séjour. Le père de son fils y réside, d'ailleurs. Dans ces conditions, alors même qu'une attestation d'une psychologue clinicienne fait état de ce que cet enfant présente des symptômes d'anxiété sévères, liés à l'intervention de la décision contestée, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que l'intérêt supérieur de son enfant n'aurait pas été suffisamment pris en compte.

Sur la décision portant interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an :

8. Aux termes de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 622-2, l'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision de remise prise en application de l'article L. 621-1 à l'encontre d'un étranger titulaire d'un titre de séjour dans l'État aux autorités duquel il doit être remis, d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ". L'article L. 622-2 du même code précise que : " L'interdiction de circulation sur le territoire français ne peut assortir la décision de remise prise dans les cas prévus aux articles L. 621-4, L. 621-5, L. 621-6 et L. 621-7 que lorsque le séjour en France de l'étranger constitue un abus de droit ou si le comportement personnel de l'étranger représente, au regard de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ". Aux termes enfin de l'article L. 622-3 du même code : " L'édiction et la durée de l'interdiction de circulation prévue à l'article L. 622-1 sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 5 que la décision de remise de Mme A... aux autorités espagnoles ne pouvait avoir pour fondement légal l'article L. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais l'article L. 621-4 du même code. Cette décision ne pouvait donc, en application des dispositions de l'article L. 622-2 de ce code, être assortie d'une interdiction de circulation sur le territoire français que si son séjour en France constituait un abus de droit ou si son comportement personnel représentait, au regard de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Le préfet des Pyrénées-Orientales, qui a fondé la décision interdisant à Mme A... de circuler sur le territoire français sur les seules dispositions de l'article L. 622-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'apporte aucun élément permettant de justifier qu'elle entrait dans le champ de l'article L. 622-2. Dans ces conditions, il ne pouvait prononcer une telle décision, qui est donc entachée d'illégalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre la décision portant interdiction de circuler sur le territoire français, que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier n'a pas annulé cette décision.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge, d'une part, de l'État, d'autre part, de Mme A... une somme à verser au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2302423 du 3 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme A... dirigées contre la décision portant interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Article 2 : L'arrêté du 29 mars 2023 du préfet des Pyrénées-Orientales est annulé en tant qu'il interdit à Mme A... de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions du préfet des Pyrénées-Orientales présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Sevki Akdag et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, où siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président-assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23TL02281


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL02281
Date de la décision : 14/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : AKDAG

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-14;23tl02281 ?
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