Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2021, par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour " étranger malade ", lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.
Par un jugement n° 2104830 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 8 juillet 2021, lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ainsi que de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 2 juin 2023 et le 15 janvier 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Il soutient que l'arrêté attaqué n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 26 décembre 2023 et le 30 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Sarasqueta conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la suppression, sur le fondement de L. 741-2 du code de justice administrative, du passage en p. 1 du mémoire en réplique du préfet de la Haute-Garonne commençant par " Si Monsieur A... fait valoir " et terminant par " transmis à l'OFII " ;
3°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a censuré l'erreur d'appréciation commise par le préfet dans l'application de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de sorte que le moyen soulevé par le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé ;
- la décision lui refusant le renouvellement de son titre de séjour a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que le médecin rapporteur n'a pas pu établir son rapport au vu de son entière situation médicale et que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'est prononcé sur la base d'un rapport erroné ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale car fondée sur un refus de titre lui-même illégal ;
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale car fondée sur un refus de titre et une obligation de quitter le territoire français eux-mêmes illégaux ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le passage en p. 1 du mémoire en réplique du préfet commençant par " Si Monsieur A... fait valoir " et terminant par " transmis à l'OFII " est diffamatoire et doit être supprimé sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 31 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 11 mars 2024.
M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 décembre 2023.
II. Par une requête enregistrée le 2 juin 2023 sous le n° 23TL01289, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 17 mai 2023 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que l'arrêté attaqué avait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ce moyen, sérieux, est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions en annulation présentées par l'intéressé.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Sarasqueta, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que le moyen invoqué par le préfet de la Haute-Garonne au soutien de sa demande de sursis à exécution du jugement n'est pas fondé.
Par une ordonnance du 27 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 janvier 2024 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
M. A... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fougères,
- les observations de Me Francos, substituant Me Sarasqueta, avocat représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen entré en France à l'aide d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant " le 10 août 2016, à l'âge de vingt-quatre ans, a bénéficié jusqu'en 2019 de titres de séjour portant la mention " étudiant ", puis a obtenu le changement de son statut par la délivrance d'une carte de séjour en qualité d'étranger malade, valable du 31 mars 2020 au 30 mars 2021. Par arrêté du 8 juillet 2021, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. Par un jugement du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 23TL01288, le préfet relève appel de ce jugement et, par la requête n° 23TL01289, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant présentées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur la requête n° 2301288 :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux du docteur B..., psychiatre en charge du suivi de l'intéressé, que M. A... souffre depuis plusieurs années d'une psychose dissociative chronique, diagnostiquée en 2017 et traitée par des séances de psychothérapie et un traitement médicamenteux permanent associant deux antidépresseurs (la sertraline et la miansérine), un antipsychotique (la cyamémazine) et un neuroleptique atypique (l'amisulpride, utilisé dans le traitement de la schizophrénie). D'une part, il est constant que l'interruption de ce traitement pourrait avoir pour l'intimé des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ce qui ressort tant de l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que des autres éléments médicaux versés au dossier. D'autre part, si ce collège a estimé, au demeurant sur la base d'un dossier médical incomplet, qu'il pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, il ressort des différents éléments versés au dossier par le seul intimé, notamment les listes des médicaments essentiels des années 2012, 2016 et 2021, que les médicaments dispensés à M. A... ne sont pas disponibles en Guinée. Alors que tant son médecin traitant que le docteur B... ont souligné un risque suicidaire en cas de rupture thérapeutique, ce dernier indique, dans un courriel du 8 décembre 2023, s'agissant de l'éventualité d'une substitution, que " les produits mentionnés [sur la liste des médicaments essentiels] ne peuvent pas, à mon avis, avoir un effet équivalent au plan pharmacologique, du fait de leur relatif éloignement chimique avec les molécules que j'ai prescrites, ainsi que de leur inadaptation à des doses et des modalités d'administration similaires à ce qu'il recevait et qui contribuaient à l'apaiser ". En outre, à supposer une telle substitution possible, celle-ci ne pourrait être effectuée que sous la surveillance rapprochée de professionnels de santé et en complément d'un suivi psychothérapeutique régulier. Or, il ressort de la documentation versée au dossier, notamment de la fiche OMS " Mental Health Atlas 2020 ", que la Guinée ne compte que cinq psychiatres, tous affectés au centre hospitalier de Conakry, qui ne comporte qu'une trentaine de lits, et un seul psychologue pour les 12 millions d'habitants que compte le pays, soit 0,05 pour 100 000 habitants. S'il ressort d'un article du PanAfrican Medical Journal qu'une expérimentation d'intégration de la santé mentale en première ligne de soin a été conduite dans cinq centres de santé de proximité au cours des années 2012 à 2017, il ressort des pièces du dossier, à supposer cette expérimentation pérennisée, que l'accès aux soins psychiatriques et à la psychothérapie sont extrêmement limités en Guinée, où de fréquents retards d'approvisionnement affectent les livraisons de médicaments psychotropes et où ni ceux-ci, ni les consultations médicales de psychothérapie ne sont pris en charge par un système de sécurité sociale. En se bornant à s'appuyer sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et sur des références jurisprudentielles pour la plupart inappropriées, le préfet de la Haute-Garonne ne remet pas sérieusement en cause les éléments nombreux, précis et concordants produits par l'intimé et qui avaient emporté la conviction des premiers juges, qui n'étaient pas tenus de solliciter la production du rapport du médecin rapporteur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Dès lors, le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de ce que l'arrêté du 8 juillet 2021 était entaché d'une erreur d'appréciation dans l'application de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 8 juillet 2021 refusant à M. A... la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire et a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.
En ce qui concerne la demande de suppression des passages injurieux ou diffamatoires :
5. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les cours administratives d'appel peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.
6. Le passage dont la suppression est demandée par M. A... n'excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas un caractère diffamatoire. Les conclusions tendant à sa suppression doivent par suite être rejetées.
Sur la requête n° 23TL01289 :
7. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2104830 du tribunal administratif de Toulouse du 17 mai 2023, les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
8. M. A... a obtenu le maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Sarasqueta d'une somme globale de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 2301289 du préfet de la Haute-Garonne.
Article 2 : La requête n° 2301288 du préfet de la Haute-Garonne est rejetée.
Article 3 : L'État versera à Me Sarasqueta une somme globale de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... A... et à Me Fanny Sarasqueta.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Nicolas Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024.
La rapporteure,
A. Fougères
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23TL01288,23TL01289