Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse suivante :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination de cette mesure.
Par un jugement n° 2304292 du 25 janvier 2024, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 avril 2024, Mme D..., représentée par Me Francos, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement 25 janvier 2024 du tribunal administratif de Toulouse ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 5 juin 2023 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer le certificat de résidence sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; à tout le moins, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour de six mois l'autorisant à travailler dans l'attente du réexamen de sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L.761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient, en ce qui concerne la régularité du jugement, que :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré du défaut de compétence de l'auteur de l'arrêté attaqué ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré du défaut de base légale de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Elle soutient, en ce qui concerne la décision prise dans son ensemble, que :
- cette décision a été signée par une autorité incompétente.
Elle soutient, en ce qui concerne le refus de titre de séjour, que :
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale ; les premiers juges ne pouvaient juger qu'elle avait commis une fraude en vue d'obtenir un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français.
Elle soutient, en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, que :
- cette décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Elle soutient, en ce qui concerne le pays de renvoi, que :
- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 juillet 2024, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une décision du 12 juillet 2024, le président du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Faïck a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante algérienne née le 9 septembre 1995, est entrée sur le territoire français en juin 2018 selon ses déclarations. Le 22 novembre 2021, elle a déposé en préfecture de Haute-Garonne une demande d'admission au séjour en qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 5 juin 2023, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté cette demande et assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la désignation du pays de renvoi. Mme D... relève appel du jugement rendu le 25 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 5 juin 2023.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme D... a soulevé, devant le tribunal administratif de Toulouse, un moyen tiré de l'incompétence de l'auteur du refus de titre de séjour et un moyen tiré du défaut de base légale de l'obligation de quitter le territoire français en raison de l'illégalité du refus de titre. Or, il ressort de la lecture du jugement attaqué que les premiers juges n'ont pas répondu à ces moyens qui n'étaient pas inopérants.
3. Par suite, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en tant qu'il a statué sur les conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français. Il y a lieu de statuer par la voie de l'évocation dans cette mesure et de se prononcer dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des demandes présentées par Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse.
Sur l'arrêté pris dans son ensemble :
4. Par un arrêté du 13 mars 2023 publié le 15 mars 2023 au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 31-2023-099, le préfet de la Haute-Garonne a donné délégation à Mme C..., directrice des migrations et de l'intégration, en matière de police des étrangers, notamment pour signer les décisions relatives au séjour et à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
5. En premier lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté attaqué, ni des pièces du dossier, que le préfet de la Haute-Garonne se serait abstenu de procéder à un examen réel et sérieux de la situation personnelle de Mme D....
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 4) au ressortissant algérien ascendant direct d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il exerce même partiellement l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins. Lorsque la qualité d'ascendant direct d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, le certificat de résidence d'un an n'est délivré au ressortissant algérien que s'il subvient à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an (...).
7. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des stipulations du 4° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée comme en l'espèce, sur le fondement du 4 de l'article 6 de l'accord franco-algérien, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
8. Pour rejeter la demande de titre de séjour de Mme D..., le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé sur la circonstance que la reconnaissance de paternité de son fils né le 29 juillet 2020, effectuée le 30 juillet 2020 par M. A..., ressortissant française, avait pour seul but de permettre à cette dernière d'obtenir un titre de séjour.
9. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu d'entretien mené par le " référent fraude départementale ", dans le cadre de l'enquête administrative dont sa demande de titre de séjour a fait l'objet, ainsi que du procès-verbal établi dans le cadre de sa plainte déposée au commissariat de Toulouse le 8 décembre 2020, que Mme D... a reconnu que le père biologique de son fils était un ressortissant algérien et non M. A.... Dans ces conditions, le préfet pouvait légalement estimer qu'il disposait d'un faisceau d'indices suffisants pour établir que la reconnaissance de paternité opérée par M. A... n'était intervenue que dans le seul but de permettre à Mme D..., qui s'est ainsi frauduleusement prévalue d'une filiation dont elle connaissait l'inexactitude, d'obtenir un titre de séjour. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne a, en refusant la délivrance du titre de séjour sollicité, fait une exacte application des stipulations du 4° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
10. En troisième lieu, Mme D... soutient que le préfet n'a pas tenu compte du fait qu'elle aurait été victime de violences conjugales en vue de régulariser sa situation. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la plainte qu'elle a déposée le 8 décembre 2020 à l'encontre du père déclaré de son enfant aurait connu une suite favorable. Par ailleurs, le compte-rendu effectué le 18 décembre 2020 par un spécialiste de médecine légale indiquant que l'appelante souffre d'une " une symptomatologie anxieuse pouvant être secondaire à des faits de violences chroniques tels que les faits de violences allégués ", ne permet pas, à lui seul, d'établir la réalité de violences conjugales alléguées. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser la situation de l'intéressée ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour n'étant pas entachée des illégalités alléguées, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire français serait dépourvue de sa base légale.
12. En deuxième lieu, aux termes du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : " (...) L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans. ".
13. Ainsi qu'il a été dit aux points 9 et 10, la reconnaissance de paternité dont s'est prévalue Mme D... à l'appui de sa demande de titre présente un caractère frauduleux et a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention par l'intéressée d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par suite, Mme D... ne peut se prévaloir du bénéfice de la protection contre l'éloignement prévue au 5° précité de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. En troisième lieu, en vertu des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
15. Mme D... se prévaut de sa durée de présence en France, de son intégration professionnelle ainsi que de la scolarisation de son enfant mineur. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 9 et 10, la demande de titre de séjour repose sur une fraude, son fils ne possédant pas la nationalité française. Par ailleurs, Mme D... ne justifie d'aucune attache familiale en France et ne démontre pas être dépourvue de liens avec son pays d'origine, dans lequel elle a passé la majeure partie de sa vie et où résident ses parents ainsi que ses frères et sœurs et où elle pourra ainsi se rendre avec son jeune enfant. Par ailleurs, la décision attaquée n'a ni pour objet ni pour effet d'empêcher le jeune enfant de la requérante de bénéficier d'une scolarité dans le pays d'origine de sa mère. Enfin, si l'appelante se prévaut de son intégration professionnelle et produit des contrats de travail ainsi que des bulletins de paie, ces éléments ne suffisent pas à établir son insertion dans la société française. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté. Pour les mêmes motifs, la décision attaquée n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de l'intéressée.
16. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
17. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 15, la décision litigieuse n'a pas pour effet de séparer Mme D... de son fils mineur, qui a vocation à la suivre en Algérie où rien ne s'oppose à ce qu'il y poursuive sa scolarité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
18. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas illégale ainsi qu'il a été dit aux points 11 à 17, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait illégale, par voie de conséquence, doit être écarté.
19. Il résulte de ce qui tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 5 juin 2023. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction et celles relatives à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2304292 du 25 janvier 2024 du tribunal administratif de Toulouse est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français contenus dans l'arrêté du 5 juin 2023.
Article 2 : La demande de Mme D... devant le tribunal administratif de Toulouse dirigée contre le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et à Me Francos.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Nadia El-Gani Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président-rapporteur,
F. Faïck La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°24TL00898 2