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15/10/2024 | FRANCE | N°22TL22228

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 15 octobre 2024, 22TL22228


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée PPMPP a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Grisolles sur sa demande, présentée par une lettre du 13 janvier 2021, d'alignement individuel de la parcelle cadastrée section ... au droit de la voirie communale.

Par un jugement n° 2122570 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier, auquel le jugement de l'affaire a été

attribué par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'État n° 462...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée PPMPP a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de Grisolles sur sa demande, présentée par une lettre du 13 janvier 2021, d'alignement individuel de la parcelle cadastrée section ... au droit de la voirie communale.

Par un jugement n° 2122570 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Montpellier, auquel le jugement de l'affaire a été attribué par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'État n° 462171 du 4 avril 2022, a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 14 novembre 2022 et les 30 mai et 30 novembre 2023, la société PPMPP, représentée par Me Hercé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2022 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler la décision du 4 mai 2021 par laquelle le maire de Grisolles a expressément rejeté la demande d'alignement individuel de la parcelle cadastrée section ... au droit de la voirie communale présentée par une lettre du 13 janvier 2021 ;

3°) d'enjoindre à la commune de Grisolles, d'une part, de réintégrer la voie réalisée sur la parcelle cadastrée section ..., d'une longueur de 50 mètres et d'une largeur de 10 mètres, dans le domaine public communal dès la notification de l'arrêt à intervenir, et, d'autre part, de faire procéder à l'alignement de la parcelle cadastrée section ... au droit du domaine public routier communal, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Grisolles la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il écarte l'appartenance de la voie en litige à la voirie communale sans rechercher, ainsi que cela était demandé, si cette voie ne constituait pas un bien de retour en vertu de l'article 24 de la convention d'études et de concession pour la réalisation de la zone d'aménagement concerté Saint-Jean conclue en 1990 entre la commune et la société SEMATEG ;

- le tribunal a statué au-delà de son office en se prononçant sur l'état d'enclavement de la parcelle cadastrée section ... au regard des exigences de l'article 682 du code civil alors qu'elle ne s'était pas prévalue d'un tel moyen qui procède d'une dénaturation de ses écritures ;

En ce qui concerne le fond :

- contrairement à ce que soutient la commune de Grisolles, le litige n'est pas d'ordre privé mais porte sur la délimitation de son domaine public routier ;

- si la commune de Grisolles soutient avoir répondu à sa demande d'alignement individuel par une décision du 4 mai 2021 notifiée le 11 mai suivant, cette décision est postérieure au délai de deux mois dans lequel la décision implicite de rejet en litige est intervenue ;

- la décision en litige méconnaît l'article L. 112-4 du code de la voirie routière dès lors que le maire de Grisolles était tenu de procéder à la délimitation du domaine public communal situé au droit de la parcelle cadastrée section ... et qu'il ne pouvait s'abstenir de répondre à sa demande d'alignement individuel alors que sa propriété est riveraine d'une voie d'accès constituant une dépendance du domaine public communal ;

- la voie desservant sa propriété est devenue une dépendance du domaine public routier communal dès lors qu'elle relève des voiries et réseaux constitutifs de biens de retour devant revenir au concédant dès leur achèvement, conformément à l'article 24 de la concession d'aménagement conclue pour la réalisation de la zone d'aménagement concerté Saint-Jean ;

- cette voie, intégrée à tort à la parcelle cadastrée section ..., relève du domaine public communal dès lors, d'une part, qu'elle appartient à la commune de Grisolles, et, d'autre part, qu'elle est affectée aux besoins de la circulation terrestre et se trouve reliée à d'autres voies, notamment la route départementale RD 94 bis, conformément aux articles L. 2111-3 et L. 2111-14 du code général de la propriété des personnes publiques, et, enfin, qu'elle a fait l'objet d'un classement dans le domaine public communal en vertu d'une délibération du conseil municipal de Grisolles du 21 décembre 1990 approuvant le cahier des charges de cession des terrains et décidant du classement de toutes les voies internes à la zone d'aménagement concerté dans le domaine public communal ;

- le tribunal a entaché son jugement de contradiction de motifs en jugeant que la voie en litige a été réalisée dans le cadre des travaux de la zone d'aménagement concerté Saint-Jean et qu'elle se trouve empruntée par tous depuis l'origine, tout en écartant le moyen tiré de ce que cette voie serait la propriété publique de la commune ; à ce jour, la société 2C Promotion a intégralement réalisé les travaux de voirie permettant l'accès à la zone d'aménagement concerté Saint-Jean selon les prescriptions techniques prévues dans la notice descriptive du règlement technique de cette zone.

- la circonstance que la voie d'accès en litige ait eu, à l'origine, un caractère provisoire ne permet pas d'écarter son caractère public, cette voie ayant perduré et étant restée inchangée depuis l'année 1991 ; libre d'accès, cette voie doit être regardée comme étant une voie d'accès définitive à la zone d'aménagement concerté soumise, dès lors, au régime des biens de retour au plus tard à la date de son ouverture au public, en l'absence d'acte de déclassement ;

- la société 2C Promotion s'est comportée comme le gestionnaire de la voirie communale pour les besoins de son projet alors même que la voie desservant sa propriété est une dépendance du domaine public routier communal qui n'a jamais fait l'objet de déclassement ni de désaffectation préalables ;

- elle a obtenu, par une ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Montauban du 1er juillet 2021, le rétablissement de l'accès à sa propriété auquel la société 2C Promotion, qui n'a jamais exercé d'action en revendication de cette voie d'accès, a tenté de mettre fin ;

- le plan cadastral est insuffisant pour déterminer l'alignement de sa propriété avec le domaine public routier communal ;

- l'argumentation de la commune de Grisolles fondée sur l'article 682 du code civil et l'absence d'état d'enclavement de sa parcelle est inopérante, le litige portant sur une question de domanialité publique ; contrairement à ce que soutient cette commune, sa parcelle est enclavée, le passage busé situé au droit de la route départementale, qui n'est ni aménagé ni adapté à son activité, ne constitue pas une voie de desserte ;

- le permis de construire délivré le 7 janvier 1991 à la société Stockalliance, précédente propriétaire de la parcelle cadastrée section ..., comportait une prescription selon laquelle l'accès à ce terrain se fera obligatoirement par l'intermédiaire de la future voie de la zone artisanale, le pétitionnaire devant solliciter une permission de voirie ; de même, le permis d'aménager délivré à la société 2C Promotion le 27 juin 2019 qualifie la voie Serge Granié de " voie communale débouchant sur la route départementale 94 bis " ; enfin, l'arrêté préfectoral du 9 mai 2014 autorisant l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement prévoit que les secours ont la possibilité d'accéder au site par le chemin des Molles, ce qui conforte l'appartenance de cette voie au domaine public routier communal, conformément à l'article L. 141-1 du code de la voirie routière.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 16 février, 20 novembre et 11 décembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Grisolles, représentée par Me Izembard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société PPMPP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- n'étant pas compétente pour procéder à l'alignement entre deux parcelles privées, le litige dont est saisie la cour constitue un litige purement privé devant se régler par l'établissement d'une servitude amiable ou judiciaire ;

- le jugement attaqué est suffisamment motivé dès lors qu'il expose les raisons pour lesquelles la parcelle cadastrée section ... ne relève pas du domaine public communal ;

- les premiers juges n'ont pas méconnu leur office en se prononçant sur l'état d'enclavement de la propriété de la société appelante sans en être saisis ; l'article 682 du code civil ne fonde pas le rejet de la demande dont était saisi le tribunal, ce dernier ayant seulement pris en considération l'état d'enclavement dont se prévalait elle-même la société appelante dans sa requête ;

- c'est de manière contradictoire que la société appelante conclut à l'annulation de la décision par laquelle elle a refusé de procéder à l'alignement individuel en litige tout en demandant à la cour de lui ordonner de réintégrer la voie de desserte située sur la parcelle cadastrée section ... ;

- le maire était tenu de rejeter la demande d'alignement individuel dès lors qu'aucune voie publique ne longe la parcelle cadastrée section ... et que la voie d'accès en litige est implantée dans l'assiette de cette parcelle ;

- elle n'a pas méconnu l'article L. 112-4 du code de la voirie routière ; postérieurement à la décision implicite de rejet opposée à la demande d'alignement individuel en litige, elle a, par une décision du 4 mai 2021, invité la société appelante à saisir le conseil départemental pour procéder à l'alignement de sa propriété située au droit de la route départementale 94 bis, seule voie publique la desservant ;

- la voie d'accès située sur la parcelle cadastrée section ... n'ayant pas fait l'objet d'un transfert de propriété à son bénéfice, elle n'est pas entrée dans le domaine public et demeure la propriété de la société 2C Promotion qui en a fait l'acquisition en février 2014 ;

- les conditions permettant le transfert de propriété des voies desservant la zone d'aménagement concerté Saint-Jean prévues par l'article 24 de la concession d'aménagement n'étant pas remplies, en l'absence d'achèvement des travaux et d'acte authentique opérant le transfert de propriété du terrain d'assiette des voies, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'une contradiction de motifs ;

- la voie d'accès en litige n'appartient pas au domaine public de la commune ;

- la parcelle détenue par la société appelante, qui dispose d'un accès depuis la route départementale, n'est pas enclavée au sens de l'article 682 du code civil ; un éventuel état d'enclave, à le supposer établi, n'est pas de nature à établir l'appartenance du publique ou privée du fonds voisin ;

- il ne lui appartient pas de procéder à l'alignement d'une parcelle privée avec une autre parcelle privée utilisée comme voie d'accès ; la société 2C Promotion ayant fait l'acquisition de la parcelle cadastrée section ... par un acte authentique du 25 février 2014 ;

- les circonstances selon lesquelles, d'une part, les parcelles cadastrées section AM n°s 23 et 24 relevaient initialement du périmètre de la zone d'aménagement concerté Saint-Jean et, d'autre part, un accès provisoire a été aménagé au droit de la route départementale 94 bis ne permettent pas de déduire l'appartenance au domaine public ou privé communal de la voie de desserte en litige, la concession d'aménagement ayant été résiliée le 13 juin 1996, soit à une date à laquelle les travaux de voirie, consistant en l'aménagement d'un carrefour giratoire sur la route nationale 20 - route nationale 113 n'avaient pas été réalisés ; la voie d'accès en litige n'étant jamais entrée dans le domaine public communal, aucun déclassement ni procédure de désaffectation préalable n'étaient nécessaires ;

- le classement des voies internes de la zone d'aménagement concertée dans le domaine public communal décidé par la délibération du 21 décembre 1990 était subordonné à leur réalisation, laquelle n'est jamais intervenue de sorte que la voie d'accès en litige, restée à l'état de chemin, n'a jamais été affectée aux besoins de la circulation terrestre.

Par des mémoires en défense, enregistré les 11 mars et 20 novembre 2023, la société à responsabilité limitée 2C Promotion, représentée par Me Thibaud, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société PPMPP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé et les premiers juges n'ont pas statué au-delà de leur office ;

- elle est propriétaire de l'intégralité de la parcelle cadastrée section ... qui n'est grevée d'aucune servitude de passage ainsi qu'en attestent un acte de propriété du 25 février 2014 et le procès-verbal de bornage cosigné avec la mairie de Grisolles et la société Enedis ;

- la société appelante, qui ne bénéficie pas de servitude conventionnelle sur son fonds mais d'une simple tolérance à laquelle elle souhaite mettre fin, dispose d'un accès direct à sa parcelle à partir de la route départementale 94 bis au moyen d'un pont busé de sorte que seul le département de Tarn-et-Garonne est compétent pour lui délivrer un arrêté d'alignement individuel ;

- la parcelle cadastrée section ... n'a jamais été incorporée au domaine public communal : la première tranche du projet de zone d'aménagement concerté n'a pas été menée à son terme en raison de la résiliation de la convention de concession d'aménagement le 13 juin 1996 alors même que les travaux de voirie n'avaient pas débuté ; les travaux de voirie depuis réalisés sur cette parcelle résultent du permis d'aménager qui lui a été délivré le 27 juin 2019 et n'ont été achevés que le 7 avril 2022, soit postérieurement à la résiliation de la concession d'aménagement.

Par une ordonnance du 21 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 12 décembre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de la voirie routière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;

- les observations de Me Otal, représentant la société PPMPP, et celles de Me Izembard, représentant la commune de Grisolles.

Considérant ce qui suit :

1. La société PPMPP est propriétaire d'un terrain cadastré section ... à Grisolles (Tarn-et-Garonne), cette parcelle supportant un ensemble immobilier à usage d'entrepôt de stockage de produits phytosanitaires et de bureaux. Invitée à participer aux opérations de bornage contradictoire engagées par la société 2C Promotion, propriétaire de la parcelle mitoyenne cadastrée section ..., la société PPMPP a refusé de signer le procès-verbal de bornage dressé le 9 décembre 2020. Souhaitant faire délimiter sa parcelle au droit de la voirie routière communale, la société PPMPP a saisi la commune de Grisolles d'une demande d'alignement individuel, par une lettre du 13 janvier 2021, reçue le 15 janvier. Après avoir gardé le silence sur cette demande, la commune a, par une décision du 4 mai 2021, expressément rejeté cette demande et invité la société PPMPP à présenter sa demande d'alignement individuel au département de Tarn-et-Garonne, propriétaire de la route départementale n° 94 bis qui borde la parcelle cadastrée section ... côté sud. La société PPMPP relève appel du jugement du 27 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du maire de la commune de Grisolles du 4 mai 2021 rejetant sa demande d'alignement individuel, laquelle s'est substituée à la décision née du silence gardé sur sa demande du 13 janvier 2021.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort des points 5 à 8 du jugement attaqué que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu de manière suffisamment circonstanciée au moyen tiré de l'appartenance de la portion de voie en litige aux biens de retour prévus par la concession d'aménagement conclue en 1990 pour la création de la zone d'aménagement concerté Saint-Jean. Après avoir cité, notamment, les délibérations du conseil municipal de Grisolles des 30 mars et 21 décembre 1990 approuvant le choix du concessionnaire de la zone d'aménagement concerté, les stipulations pertinentes de la concession d'aménagement, le règlement technique et la notice descriptive du programme des équipements publics, le tribunal a jugé que la bande goudronnée en litige n'était pas entrée dans le domaine public routier communal dès lors que les travaux de voirie avaient été partiellement réalisés par le concessionnaire et qu'aucun acte authentique constatant le transfert de propriété des voies et réseaux n'était intervenu conformément à l'article 24 de la concession d'aménagement. Par suite, le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé sur ce point, n'est pas irrégulier.

3. En second lieu, il ressort de la procédure devant le tribunal, en particulier de la demande de la société PPMPP, que la société PMPP s'est elle-même prévalue de l'enclavement de sa parcelle au soutien de ses prétentions. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient excédé leur office en répondant à un moyen tiré de l'état d'enclavement de sa parcelle sur le fondement de l'article 682 du code civil, ce moyen étant, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité d'une décision répondant à une demande d'alignement, laquelle n'a ni pour effet ni pour objet de se prononcer sur la propriété d'un terrain ou sur son état d'enclavement au regard des dispositions de l'article 682 du code civil.

Sur la légalité de la décision rejetant la demande d'alignement individuel :

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2111-14 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public routier comprend l'ensemble des biens appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1 et affectés aux besoins de la circulation terrestre, à l'exception des voies ferrées ". Selon le premier alinéa de l'article L. 141-1 du code de la voirie routière : " Les voies qui font partie du domaine public routier communal sont dénommées voies communales (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière : " L'alignement est la détermination par l'autorité administrative de la limite du domaine public routier au droit des propriétés riveraines. Il est fixé soit par un plan d'alignement, soit par un alignement individuel. / Le plan d'alignement, auquel est joint un plan parcellaire, détermine après enquête publique ouverte par l'autorité exécutive de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale, propriétaire de la voie, et organisée conformément aux dispositions du code des relations entre le public et l'administration la limite entre voie publique et propriétés riveraines. / L'alignement individuel est délivré au propriétaire conformément au plan d'alignement s'il en existe un. En l'absence d'un tel plan, il constate la limite de la voie publique au droit de la propriété riveraine ". L'article L. 112-3 du même code dispose que : " L'alignement individuel est délivré par le représentant de l'État dans le département, le président du conseil départemental ou le maire, selon qu'il s'agit d'une route nationale, d'une route départementale ou d'une voie communale (...). Et aux termes de l'article L. 112-2 de ce code : " La publication d'un plan d'alignement attribue de plein droit à la collectivité propriétaire de la voie publique le sol des propriétés non bâties dans les limites qu'il détermine. / Le sol des propriétés bâties à la date de publication du plan d'alignement est attribué à la collectivité propriétaire de la voie dès la destruction du bâtiment. / Lors du transfert de propriété, l'indemnité est, à défaut d'accord amiable, fixée et payée comme en matière d'expropriation ".

6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière qu'un arrêté d'alignement, qui, en l'absence de plan d'alignement, se borne à constater les limites d'une voie publique en bordure des propriétés riveraines, et constitue ainsi un acte purement déclaratif sans effet sur les droits des propriétaires riverains, ne peut être fixé qu'en fonction des limites actuelles de la voie publique en bordure des propriétés riveraines, éventuels empiètements inclus. Un arrêté d'alignement se bornant à constater les limites d'une voie publique en bordure des propriétés riveraines, une contestation relative à la propriété des immeubles riverains de la voie publique, sur laquelle il n'appartiendrait qu'à l'autorité judiciaire de statuer, ne peut, dès lors, être utilement soulevée à l'appui de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un tel arrêté. En revanche, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision prise sur une demande d'alignement, de vérifier si l'arrêté d'alignement attaqué se borne ou non à constater les limites actuelles de la voie publique en bordure des propriétés riveraines.

7. Il résulte de ces mêmes dispositions que la procédure d'alignement ne s'applique qu'aux voies ayant le caractère de voies publiques.

8. Il est constant que, par des délibérations des 30 août et 21 décembre 1990, la commune de Grisolles a conclu avec la société d'économie mixte d'aménagement de Tarn-et-Garonne une convention de concession d'aménagement portant sur la réalisation d'une zone d'aménagement concerté dite " Saint-Jean " dans le secteur des Molles, dont l'emprise foncière inclut les parcelles cadastrées section AM n°s 23 et 24 concernées par le présent litige, lesquelles ont été acquises depuis par, respectivement, les sociétés PPMPP et 2C Promotion. Par cette même délibération, la commune a autorisé le concessionnaire à engager la réalisation de la première tranche de la zone d'aménagement concerté et décidé de classer toutes les voies internes à cette zone dans le domaine public communal.

9. Aux termes du règlement technique de l'opération et de l'article 24 de la concession d'aménagement, la commune est chargée de la voirie principale, les acquéreurs de l'accès à leurs lots ou parcelles à partir de cette voirie principale, et le concessionnaire de réaliser les équipements secondaires de la zone destinés à être remis au concédant. Aux termes de l'article 1.3 du programme des équipements publics relatif aux dessertes de la zone d'aménagement concerté Saint-Jean : " En ce qui concerne la voirie, la desserte de la zone et de l'ensemble des lots qui la composeront sera assurée à terme par le giratoire à créer sur la RN 20 - RN 113. / Néanmoins, l'aménagement d'un accès provisoire sur la RD 94 bis permettra de desservir la première tranche située au Nord-Ouest de la RN 113 ". Il ressort des pièces du dossier qu'en l'absence de réalisation du carrefour giratoire initialement prévu, l'accès provisoire réalisé à partir de la route départementale n° 94 bis est devenu la voie d'accès commune aux parcelles cadastrées section ... et 24 en litige et doit, dès lors, être regardé comme constituant la voirie qui aurait dû desservir la première tranche de la zone d'aménagement concerté.

10. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'en dépit des prévisions initiales du contrat de concession et de la délibération du conseil municipal de Grisolles du 21 décembre 1990 décidant du classement de toutes les voies internes incluses dans la zone d'aménagement concerté dans le domaine public communal, le projet de concession d'aménagement pour la réalisation de la zone d'activités Saint-Jean n'a pas été mené à son terme, la concession d'aménagement ayant été résiliée par une convention du 13 juin 1996, ainsi que la mesure d'instruction ordonnée par la cour a permis de le confirmer, sans que les ouvrages et les équipements mis à la charge du concessionnaire aient été réalisés.

11. Sur ce point, il ressort des pièces du dossier, en particulier des délibérations du conseil municipal du 1er juillet 2006 et du 28 juin 2007, que la commune de Grisolles n'a pas été en mesure de verser au concessionnaire la somme de 227 415,47 euros en règlement des conséquences financières de la résiliation de la convention de concession, telle que prévue par l'article 3 de la convention de résiliation du 13 juin 1996, et que le transfert de propriété des terrains, situés dans le périmètre de l'opération d'aménagement, n'est pas intervenu. Cette circonstance a conduit la commune intimée à conclure, le 4 juillet 2006, un avenant à la convention de résiliation du 13 juin 1996, dont la signature a été approuvée par une délibération du conseil municipal du 1er juillet de la même année, par lequel elle renonce au transfert de propriété des immeubles inclus dans le périmètre de l'ancienne concession en contrepartie de l'annulation de l'indemnité qu'elle devait au concessionnaire au titre de la résiliation du contrat de concession d'aménagement.

12. Par suite, le régime des biens relevant du périmètre de la concession n'est pas régi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, par les stipulations de l'article 24 de la convention relatives au retour et à la remise des ouvrages exécutés relevant des biens de retour, mais par les stipulations spécifiques des articles 32 et 33 du contrat de concession relatives aux conséquences juridiques et financières en cas de résiliation, et celles de l'article 2 de la convention de résiliation du 13 juin 1996. Selon ces dernières stipulations, en cas de résiliation, le concédant est subrogé dans les droits et obligations du concessionnaire sur l'ensemble des biens de la concession et, notamment, sur l'ensemble des terrains et ouvrages destinés à être cédés aux tiers et sur l'ensemble des équipements devant revenir au concédant à leur achèvement et devient, dans le cadre de son droit de reprise, automatiquement propriétaire de l'ensemble des biens dépendant de la concession, les parties ne pouvant refuser de signer un acte constatant que ce transfert de propriété est intervenu. Ces mêmes stipulations prévoient qu'il est établi un arrêté des comptes de l'opération et que le concédant est tenu de verser une indemnité au concessionnaire.

13. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment des actes authentiques des 13 février 2004 et 25 février 2014, que la parcelle désormais cadastrée section ..., devenue propriété de la société 2C Promotion, et que la parcelle cadastrée section ..., devenue propriété de la société PPMPP, appartenaient, à l'origine, à la société d'économie mixte d'aménagement de Tarn-et-Garonne, ancien concessionnaire de la zone.

14. Il s'évince de ce qui précède que les voiries et réseaux initialement prévus dans le cadre du projet de zone d'aménagement concerté, en ce compris la voie d'accès en litige, n'ont pas été réalisés en exécution du contrat de concession et que la voie concernée n'a été réalisée que postérieurement, par la société 2C Promotion, titulaire d'un permis d'aménager un lotissement à vocation artisanale, industrielle et commerciale composé de 24 lots sur les parcelles cadastrées section AM n°s 35 et 1920 délivré le 27 juin 2019. En l'absence de transfert de propriété en faveur de la commune de Grisolles, la voie d'accès en litige ne peut être regardée comme une propriété publique relevant du domaine public routier de la commune de Grisolles alors même que des tiers peuvent être amenés à y circuler. Dès lors que la demande dont il était saisi ne tendait pas à fixer la limite du domaine public routier au droit d'une propriété privée riveraine, ce qui est, du reste, attesté par le tableau de classement des voies communales versé au dossier, le maire de Grisolles était tenu de rejeter la demande d'alignement individuel présentée par la société PPMPP.

15. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 112-4 du code de la voirie routière : " L'alignement individuel ne peut être refusé au propriétaire qui en fait la demande ".

16. D'autre part, lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, les conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde. Il en résulte que les conclusions de la requête, dirigées contre la décision implicite par laquelle le maire de Grisolles a rejeté la demande d'alignement individuel présentée par la société PPMPP doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 4 mai 2021 par laquelle le maire a explicitement rejeté cette demande.

17. Dès lors que le maire de Grisolles s'est expressément prononcé sur la demande d'alignement individuel présentée par la société PPMPP et qu'il était, au regard de ce qui a été dit au point 14, tenu de la rejeter, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 112-4 du code de la voirie routière ne peut, dès lors, qu'être écarté.

18. En troisième lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 8 à 14, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait entaché son jugement d'une contradiction de motifs en jugeant que la voie d'accès en litige ne relève pas du domaine public de la commune de Grisolles ne peut qu'être écarté.

19. En quatrième lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la société PPMPP ne peut utilement se prévaloir ni des prescriptions contenues dans le permis de construire délivré le 7 janvier 1991 à la société Stockalliance, précédente propriétaire de la parcelle cadastrée section ..., selon lesquelles l'accès à ce terrain se fera obligatoirement par l'intermédiaire de la future voie de la zone artisanale, le pétitionnaire devant solliciter une permission de voirie, ni des mentions erronées contenues dans le permis d'aménager délivré à la société 2C Promotion le 27 juin 2019 qualifiant la voie Serge Granié de " voie communale débouchant sur la route départementale 94bis ", pas plus qu'elle ne peut se prévaloir des mentions contenues dans l'arrêté préfectoral du 9 mai 2014 autorisant l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement et selon lesquelles les secours ont la possibilité d'accéder au site par le chemin goudronné en litige, ces différentes autorisations ayant été délivrées en vertu de législations distinctes de celle en litige.

20. En cinquième et dernier lieu, dès lors que, ainsi qu'il a été rappelé au point 6, l'alignement individuel est un acte purement déclaratif destiné à établir les limites du domaine public routier et n'a pas pour objet de trancher une contestation relative à la propriété des immeubles riverains de la voie publique sur laquelle il n'appartiendrait qu'à l'autorité judiciaire de statuer, la société appelante ne peut utilement se prévaloir ni des mentions contenues dans le plan cadastral, document de nature fiscale, ni de l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Montauban du 1er juillet 2021 rétablissant l'accès à sa propriété au moyen de la voie de desserte en litige. Pour les mêmes motifs, la circonstance selon laquelle la parcelle détenue par la société appelante se trouverait en situation d'enclavement au sens de l'article 682 du code civil est inopérante, étant rappelé qu'il lui est au demeurant loisible, si elle s'y croit fondée, de saisir l'autorité judiciaire d'une telle demande.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la société PPMPP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

22. Le présent arrêt, qui confirme le rejet de la demande de la société PPMPP par le tribunal, n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par l'appelante doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Grisolles qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société PPMPP demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société PPMPP une somme de 1 000 euros à verser chacune à la commune de Grisolles et à la société 2C Promotion au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de la société PPMPP est rejetée.

Article 2 : La société PPMPP versera à la commune de Grisolles et à la société 2C Promotion chacune une somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée PPMPP, à la commune de Grisolles et à la société à responsabilité limitée 2C Promotion.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL22228


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22228
Date de la décision : 15/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

71-02-02-01 Voirie. - Régime juridique de la voirie. - Alignements. - Arrêtés individuels d'alignement.


Composition du Tribunal
Président : M. Faïck
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : SCP BOUYSSOU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-15;22tl22228 ?
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