Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Sod Invest a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 mars 2014, 2015 et 2016.
Par un jugement n° 2022236 du 20 janvier 2023, le tribunal administratif de Nîmes, à qui le dossier a été transféré par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'État, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 mars 2023, la société Sod Invest, représentée par Me Rodriguez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 janvier 2023 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 mars 2014, 2015 et 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'invocation des stipulations du paragraphe 4 de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, éclairées par celles du point IX du protocole additionnel à cette convention ;
- c'est à tort que le service a pris en compte le taux de l'impôt qui a été appliqué à l'ensemble du bénéfice de la société Indomed et non celui auquel avaient été soumis les seuls intérêts qu'elle avait reçus ;
- il ne pouvait se référer à la notion de " taux effectif " d'imposition contenue dans l'instruction provisoire référencée BOI-IS-BASE-30-50 du 15 avril 2014 pour établir l'imposition supplémentaire relative à l'exercice clos le 31 mars 2014 ;
- l'administration a méconnu la doctrine référencée BOI-IS-BASE-30-50, dont les paragraphes 60, 80 et 90 font référence aux notions de " niveau d'imposition du produit brut " et de " taux d'imposition effectif des intérêts " et à la nécessité de tenir " compte des règles d'assiette propres aux intérêts " et " non des charges de toute nature qui viennent par ailleurs diminuer le résultat imposable de la créancière " ou " l'imposition globale de l'entreprise prêteuse " et qui est confirmée par un rescrit BOI-RES-000041 du 4 septembre 2019 ;
- l'administration ne pouvait réintégrer la totalité des intérêts en cause, dès lors que l'article 212 du code général des impôts méconnaît la clause de non-discrimination contenue au paragraphe 4 de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, complété par les stipulations du point IX du protocole additionnel à cette convention.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 8 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- l'accord conclu le 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lafon,
- les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rodriguez pour la société Sod Invest.
Considérant ce qui suit :
1. La société Sod Invest, qui est une holding ayant pour objet la gestion d'un portefeuille de titres de participation et qui est détenue par la société de droit suisse Indomed, fait appel du jugement du 20 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 mars 2014, 2015 et 2016. Ces impositions procèdent notamment de la réintégration dans ses résultats imposables des exercices clos en 2014 et 2016 des intérêts versés à la société Indomed en rémunération d'avances en compte courant.
Sur la régularité du jugement :
2. À l'appui de sa demande, la société Sod Invest soutenait notamment que l'administration ne pouvait réintégrer la totalité des intérêts en cause, dès lors que l'article 212 du code général des impôts méconnaît la clause de non-discrimination contenue au paragraphe 4 de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966, complété par les stipulations du point IX du protocole additionnel à cette convention. Le tribunal, qui indique, au point 10 de son jugement, qu'il écarte l'ensemble des moyens soulevés au titre de l'application et de l'interprétation administrative de la loi fiscale " sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré des stipulations du point IX du protocole additionnel à la convention Franco-Suisse du 9 septembre 1966 et son protocole additionnel ", ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Sod Invest devant le tribunal administratif de Nîmes.
Sur les conclusions en décharge :
4. Une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
En ce qui concerne l'application de la loi française :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 212 du code général des impôts, dans sa version applicable au présent litige : " I.- Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39, sont déductibles : / a) Dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 du même article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ; / b) Et, sous réserve que l'entreprise débitrice démontre, à la demande de l'administration, que l'entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l'exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun. / Dans l'hypothèse où l'entreprise prêteuse est domiciliée ou établie à l'étranger, l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun s'entend de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été domiciliée ou établie (...) ".
6. L'article 68 de la loi fédérale suisse sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 dispose que " L'impôt sur le bénéfice des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est de 8,5 % du bénéfice net ". L'article 59 de la même loi précise toutefois que les impôts fédéraux, cantonaux et communaux sont compris dans les charges justifiées par l'usage commercial. Il en résulte que le taux de 8,5 % constitue un taux appliqué au montant du résultat déterminé après impôt et que la société Indomed a été assujettie à raison des intérêts versés par la société Sod Invest à un taux d'imposition effectif de 7,83 %. Dès lors que ce taux est inférieur au quart du taux de droit commun français, c'est à bon droit que l'administration fiscale a estimé que la condition prévue au b) du I. de l'article 212 du code général des impôts n'était pas remplie et a en conséquence refusé la déduction des intérêts en cause sur le fondement de la loi fiscale.
7. En second lieu, aux termes de la doctrine référencée BOI-IS-BASE-35-50 du 15 avril 2014 : " (...) 60. Le taux minimal d'imposition constitue le taux de référence pour apprécier le niveau d'imposition du produit brut correspondant aux charges financières versées par la société débitrice. / Le produit en cause ne doit donc pas nécessairement donner lieu au versement effectif d'un impôt sur les bénéfices ou sur les revenus. Il n'est tenu compte que de son régime d'imposition et non des charges de toute nature qui viennent par ailleurs diminuer le résultat imposable de la créancière. (...) / 70. Par conséquent, n'est pas susceptible de rendre non déductibles les charges financières le seul fait que l'entreprise créancière ait un résultat nul ou déficitaire. (...) / 80. En application du deuxième alinéa du b du I de l'article 212 du CGI, dans l'hypothèse où l'entreprise créancière est domiciliée ou établie à l'étranger, l'impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun s'entend de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été domiciliée ou établie. / Il convient donc de comparer le taux d'imposition effectif des intérêts dans le résultat de l'entreprise créancière avec celui applicable en France. / Pour effectuer cette comparaison, il convient de déterminer le taux effectif d'imposition sur ces intérêts, en tenant compte des dispositions de la législation de l'État de l'entreprise créancière afférentes à ces sommes. / Comme cela a été précisé au II-A-1-a § 40, seul l'assujettissement des intérêts au taux minimum prévu par la loi est examiné et non l'imposition globale de l'entreprise prêteuse. / 90. En pratique, il convient de comparer : / - le taux d'imposition applicable aux intérêts reçus par l'entité étrangère en tant que composant de l'assiette de l'impôt sur le revenu ou sur les bénéfices de la société créancière ; / - avec le taux de référence. / 100. En outre, il est tenu compte des règles d'assiette propres aux intérêts qui viendraient par exemple limiter le montant des intérêts imposables. (...) ". La version de cette doctrine en vigueur du 5 août 2014 au 1er août 2018 ajoute à la fin du troisième alinéa du paragraphe 80 : " (mesures d'abattement par exemple) " et son quatrième alinéa fait référence au " II-A-1-a § 60 ".
8. D'une part, l'administration s'est bornée à tenir compte, conformément à la loi fiscale, du taux d'imposition effectif auquel la société Indomed a été assujettie à raison des intérêts versés par la société Sod Invest. Par suite et en tout état de cause, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait fait une application prématurée du paragraphe 60 de la doctrine référencée BOI-IS-BASE-35-50 du 15 avril 2014 pour justifier les impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2014. Dans ces mêmes conditions, elle ne peut davantage soutenir que le service aurait fait, pour les autres exercices en litige, une " interprétation erronée " de cette même doctrine, dans sa version en vigueur à compter du 5 août 2014.
9. D'autre part, la société Sod Invest n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine reproduite au point 7 du présent arrêt, à laquelle fait référence le rescrit référencé BOI-RES-000041 du 4 septembre 2019, qui fait notamment référence à la nécessité de tenir compte, pour apprécier la condition prévue au b) du I. de l'article 212 du code général des impôts, du taux d'imposition effectif des intérêts et qui ne comporte aucune interprétation différente de celle qui résulte de la loi fiscale dont il a été fait application. Tel est également le cas de la référence aux " charges de toute nature qui viennent par ailleurs diminuer le résultat imposable de la créancière ", qui ne peut être regardée comme incluant l'impôt suisse, alors même que la législation fiscale de cet État prévoit qu'il est compris dans les charges justifiées par l'usage commercial.
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-suisse :
10. Aux termes de l'article 26 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966, modifiée par les avenants du 3 décembre 1969, du 22 juillet 1997 et du 27 août 2009 : " (...) 4. A moins que les dispositions de l'article 9, du paragraphe 5 de l'article 12 ou du paragraphe 6 de l'article 13 ne soient applicables, les intérêts (...) payés par une entreprise d'un État contractant à un résident de l'autre État contractant sont déductibles, pour la détermination des bénéfices imposables de cette entreprise, dans les mêmes conditions que s'ils avaient été payés à un résident du premier État (...) ". Aux termes du IX du protocole additionnel à cette convention : " Les dispositions de la convention n'empêchent en rien la France d'appliquer les dispositions de l'article 212 de son code général des impôts dans la mesure où cette application est compatible avec les principes de l'article 9 de la convention ". Aux termes enfin de l'article 9 de la même convention : " Lorsque : / a) Une entreprise d'un État contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise de l'autre État contractant, ou que / b) Les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise d'un État contractant et d'une entreprise de l'autre État contractant, / et que, dans l'un et l'autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions acceptées ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient conclues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été obtenus par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ".
11. En faisant obstacle à la déduction des intérêts versés par une société débitrice à une société liée imposée à un niveau inférieur au quart de l'impôt de droit commun en France, les dispositions du b) du I. de l'article 212 du code général des impôts citées au point 5 prévoient un traitement différent des sociétés concernées selon le niveau d'imposition de leur prêteur. Elles n'établissent donc aucune différence de traitement directement fondée sur le siège des sociétés bénéficiaires d'intérêts. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la clause conventionnelle de non-discrimination citée au point 10 ferait obstacle à l'application de la loi fiscale doit être écarté.
En ce qui concerne l'application de l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne :
12. Aux termes de l'article 15 de l'accord conclu le 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne : " (...) 2. Sans préjudice de l'application des dispositions de la législation nationale ou de conventions visant à prévenir la fraude ou les abus en Suisse et dans les États membres, les paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées ou leurs établissements stables ne sont pas imposés dans l'Etat de leur source (...) 3. Les conventions de double imposition entre la Suisse et les Etats membres qui, à la date d'adoption du présent Accord, prévoient un traitement fiscal plus favorable des paiements de dividendes, d'intérêts et de redevances ne sont pas affectées ".
13. Contrairement à ce que soutient la société Sod Invest, la remise en cause, par l'administration fiscale, de la déduction des intérêts versés à la société Indomed en rémunération d'avances en compte courant ne s'apparente pas à l'imposition de paiements d'intérêts au sens des stipulations citées au point 12. Par suite, elle ne peut utilement s'en prévaloir pour obtenir la décharge des suppléments d'imposition contestés.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Sod Invest n'est pas fondée à demander la décharge des suppléments d'imposition litigieux.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 20 janvier 2023 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Sod Invest devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Sod Invest présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Sod Invest et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, où siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.
Le rapporteur,
N. Lafon
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23TL00674 2