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26/09/2024 | FRANCE | N°23TL00264

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 26 septembre 2024, 23TL00264


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E... a, notamment, demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2022 par lequel la préfète de l'Aveyron a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



M. C... D... a, notamment, demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2022 par lequel la préfète de l'Aveyron

a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a, notamment, demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2022 par lequel la préfète de l'Aveyron a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

M. C... D... a, notamment, demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2022 par lequel la préfète de l'Aveyron a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement nos 2206226, 2206237 du 26 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé ces deux arrêtés, enjoint au préfet de l'Aveyron de délivrer à Mme E... et M. D..., dans un délai d'un mois, un titre de séjour en qualité de parents étrangers d'enfant malade et de les munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour, mis à la charge de l'État a somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et rejeté le surplus des conclusions de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2023 sous le n° 23TL00264, le préfet de l'Aveyron demande à la cour d'annuler ce jugement, sauf en ce qu'il a accordé l'aide juridictionnelle à titre provisoire à Mme E... et M. D....

Il soutient que l'arrêté attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2024, Mme E..., représentée par Me Bachet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet de l'Aveyron n'est pas fondé ;

- les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français sont entachées d'un défaut de motivation ;

- elles n'ont pas été précédées d'un examen réel et sérieux de sa situation et de celle de ses enfants mineurs ;

- la préfète s'est estimée liée par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par ordonnance du 5 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024.

Une pièce complémentaire a été produite par le préfet de l'Aveyron le 4 septembre 2024 et communiquée au titre des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Mme E... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 22 novembre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2023 sous le n° 23TL00265, le préfet de l'Aveyron demande à la cour d'annuler ce jugement, sauf en ce qu'il a accordé l'aide juridictionnelle à titre provisoire à Mme E... et M. D....

Il soutient que l'arrêté attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2024, M. D..., représenté par Me Bachet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet de l'Aveyron n'est pas fondé ;

- les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français sont entachées d'un défaut de motivation ;

- elles n'ont pas été précédées d'un examen réel et sérieux de sa situation et de celle de ses enfants mineurs ;

- la préfète s'est estimée liée par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par ordonnance du 5 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024.

Une pièce complémentaire a été produite par le préfet de l'Aveyron le 4 septembre 2024 et communiquée au titre des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Une pièce complémentaire a été produite par M. D... le 6 septembre 2024.

M. D... a bénéficié du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par décision du 22 novembre 2023.

Vu les autres pièces de ces deux dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lafon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... et M. D..., ressortissants arméniens, ont présenté, chacun, le 5 janvier 2022, une demande d'asile, qui a été rejetée par deux décisions du 19 juillet 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Les intéressés ont, par ailleurs, sollicité, le 7 février 2022, leur admission au séjour en raison de l'état de santé de leur fille mineure. Ils ont demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler les arrêtés du 11 octobre 2022 par lesquels la préfète de l'Aveyron a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par les requêtes n° 23TL00264 et n° 23TL00265, le préfet de l'Aveyron fait appel du jugement du 26 décembre 2022, sauf en ce qui a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire à Mme E... et M. D....

2. Les requêtes n° 23TL00264 et n° 23TL00265 présentées par le préfet de l'Aveyron étant dirigées contre un même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif :

3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État (...) ". L'article L. 425-10 du même code dispose que : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9 (...) se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. (...) / Cette autorisation provisoire de séjour (...) est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9 ".

4. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme E... et M. D... en qualité de parents étrangers d'un enfant malade, la préfète de l'Aveyron s'est notamment fondée sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 23 juin 2022 selon lequel, si l'état de santé de la jeune A..., née le 7 avril 2016, nécessite une prise en charge médicale, le défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité et son état de santé lui permet de voyager sans risque à destination de son pays d'origine. Afin de contester les mentions de cet avis, les intimés, qui ont levé le secret médical, produisent des documents médicaux relatant la réalisation, depuis la fin de l'année 2021, d'investigations visant à déterminer l'origine et la nature de deux malaises avec perte de connaissance dont A... a été victime en Arménie. Toutefois, aucune de ces investigations n'a permis d'établir qu'elle souffrait d'anaphylaxie, ainsi qu'ils le prétendent. Il en est de même de la prescription, pour leur fille, d'un stylo d'Anapen 150, de la mise en place d'un protocole prévoyant son injection en urgence par le médecin scolaire en cas de choc anaphylactique ou du contenu du certificat médical confidentiel adressé au collège de médecins le 11 avril 2022, lequel se borne à faire référence à une histoire de la maladie marquée par des " épisodes d'anaphylaxie ". Ainsi, les pièces produites, alors même qu'elles établiraient que l'absence de prise en charge médicale dans cette situation particulière pourrait avoir pour A... des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation portée par le collège de médecins. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces des dossiers que le défaut de prise en charge médicale risquerait d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être en tout état de cause écarté.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Aveyron est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés du 11 octobre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a estimé que, le défaut de prise en charge médicale de l'état de la jeune A... devant entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, les décisions de refus de séjour contestées méconnaissaient les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble des litiges par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... et M. D... devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de la signataire des arrêtés attaqués :

6. Par arrêté n° 12-2021-06-11-00009 du 11 juin 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, accessible tant au juge qu'aux parties, la préfète de l'Aveyron a donné délégation à Mme Isabelle Knowles, secrétaire générale de la préfecture, à fin de signer notamment les décisions contestées. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence de la signataire des arrêtés attaqués manquent en fait et doivent être écartés.

En ce qui concerne les moyens communs aux décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, les arrêtés attaqués, qui comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui les fondent, notamment des éléments précis concernant la situation de Mme E... et de M. D..., sont suffisamment motivés.

8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que la préfète de l'Aveyron ne s'est pas livrée à un examen particulier de l'ensemble de la situation de Mme E..., de M. D... et de leurs deux enfants mineurs.

9. En troisième lieu, le préfet de l'Aveyron a versé aux dossiers l'avis du 23 juin 2022 par lequel le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration s'est prononcé sur l'état de santé de la jeune A.... Les moyens tirés de l'irrégularité de cet avis ne sont pas assortis de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

10. En quatrième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que la préfète de l'Aveyron se serait estimée liée par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 23 juin 2022.

En ce qui concerne les décisions de refus de titre de séjour :

11. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 4, les moyens tirés de ce que les décisions portant refus de séjour méconnaîtraient les dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

12. En deuxième lieu, M. D... et Mme E..., qui sont nés respectivement le 20 mars 1987 et le 7 juin 1988, déclarent être entrés en France le 10 décembre 2021, soit moins d'un an avant l'intervention des arrêtés contestés, en compagnie de leurs deux enfants mineurs. Par ailleurs et en tout état de cause, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus qu'un défaut de prise en charge médicale de la jeune A... n'est pas de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, d'autre part, les intéressés ne démontrent pas encourir des risques de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Arménie. Enfin, les intimés n'établissent pas que leur cellule familiale ne pourrait se reconstituer en Arménie. En conséquence, alors même que les enfants du couple sont scolarisés en France, les décisions portant refus de titre de séjour n'ont pas porté au droit des intimés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et n'ont donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. En troisième lieu, il résulte des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 10, d'une part, qu'un défaut de prise en charge médicale de la jeune A... n'est pas de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, d'autre part, que les décisions contestées ne font pas obstacle à la reconstitution en Arménie de la cellule familiale de Mme E... et de M. D.... Ces derniers n'établissent pas que la scolarité de leurs jeunes enfants mineurs, qui sont entrés en France moins d'un an avant l'intervention des arrêtés attaqués, ne pourrait être poursuivie dans leur pays d'origine. Dans ces conditions, les intimés ne sont pas fondés à soutenir que l'intérêt supérieur de leurs enfants n'aurait pas été suffisamment pris en compte.

14. En quatrième et dernier lieu, aucune des circonstances évoquées précédemment n'est de nature à faire regarder les décisions portant refus de titre de séjour comme entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de Mme E... et de M. D....

En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :

15. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les moyens dirigés contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et tirés de l'illégalité, par voie d'exception, des décisions de refus de titre de séjour doivent être écartés.

16. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". L'article L. 542-2 du même code dispose que : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : / (...) / d) une décision de rejet dans les cas prévus à l'article L. 531-24 et au 5° de l'article L. 531-27 (...) ".

17. D'une part, par ses décisions du 19 juillet 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté les demandes d'asile de Mme E... et de M. D... sur le fondement de l'article L. 531-24 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le droit des intéressés à se maintenir sur le territoire français a donc cessé à la date de notification de ces rejets, nonobstant le recours présenté devant la Cour nationale du droit d'asile le 18 décembre 2022. L'autorité préfectorale pouvait donc légalement prononcer les obligations de quitter le territoire français sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas des pièces des dossiers, notamment de la motivation des arrêtés du 11 octobre 2022, qu'en prenant les décisions portant obligation de quitter le territoire français, la préfète de l'Aveyron se serait estimée liée par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 juillet 2022.

18. D'autre part, le droit à un recours effectif prévu par le droit de l'Union européenne n'implique pas nécessairement que le demandeur ait le droit de se maintenir sur le territoire de l'État membre dans l'attente de l'issue du recours juridictionnel formé contre la décision rejetant sa demande, mais implique seulement, lorsque cette décision a pour conséquence de mettre un terme à son droit au séjour dans l'Etat membre, qu'une juridiction décide s'il peut se maintenir sur le territoire de cet Etat. Il résulte des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, s'il ne bénéficie pas du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur son recours, un ressortissant étranger issu d'un pays sûr dont la demande d'asile a été rejetée selon la procédure accélérée, peut contester l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Ce recours présente un caractère suspensif et le juge saisi a la possibilité, le cas échéant, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement et de permettre ainsi au ressortissant de demeurer sur le territoire jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur son recours. Dans ces conditions, Mme E... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions litigieuses ou les dispositions de droit interne sur lesquelles elles sont fondées sont contraires aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux articles 18 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, y compris son considérant 25 et son article 46. Par suite, les moyens tirés du défaut de base légale et de la méconnaissance du droit au maintien sur le territoire et du droit à un recours effectif en matière d'asile doivent être écartés.

19. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date des arrêtés attaqués : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Compte tenu de ce qui a été dit aux points 4 et 5 du présent arrêt, les moyens tirés de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaîtraient ces dispositions doivent être en tout état de cause écartés.

20. En quatrième et dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 12 et 14 du présent arrêt, les moyens selon lesquels les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de Mme E... et de M. D... doivent être écartés.

En ce qui concerne les décisions fixant le pays de renvoi :

21. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les moyens dirigés contre les décisions fixant le pays de renvoi et tirés de l'illégalité, par voie d'exception, des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français doivent être écartés.

22. En deuxième lieu, les arrêtés attaqués, qui retracent les procédures de demande d'asile engagées par Mme E... et M. D... et mentionnent que l'état de santé de la jeune A... ne justifie pas une admission au séjour en qualité de parents étrangers d'un enfant malade, visent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et précisent que les intéressés n'apportent aucun élément nouveau de nature à établir qu'ils seraient exposés à des peines ou traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi, les décisions fixant le pays de renvoi, qui comportent des éléments non stéréotypés, sont suffisamment motivées.

23. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

24. Mme E... et M. D... soutiennent qu'ils encourent des risques pour leur sécurité en cas de retour en Arménie et se prévalent à ce titre de ce qu'ils ont fait l'objet de menaces et d'enlèvements après avoir été accusés de détournements de fonds d'une entreprise. Ils n'apportent toutefois aucun élément permettant de confirmer leur récit et d'établir le risque de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d'origine, alors d'ailleurs que leurs demandes d'asile ont été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de ce que les décisions par lesquelles la préfète de l'Aveyron a fixé le pays de renvoi seraient intervenues en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Aveyron est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé les deux arrêtés du 11 octobre 2022 et lui a enjoint de délivrer dans le délai d'un mois à Mme E... et M. D... un titre de séjour en qualité de parents étrangers d'enfant malade et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

26. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions subsidiaires présentées par Mme E... et M. D... devant le tribunal administratif et tendant à la suspension de l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français jusqu'à la lecture de la décision de la Cour nationale du droit d'asile.

Sur les conclusions à fin de suspension :

27. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci ".

28. Il ressort des pièces des dossiers que, par une ordonnance du 17 février 2023, notifiée le 1er mars 2023, soit postérieurement à l'enregistrement des requêtes d'appel, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté les recours introduits par Mme E... et M. D... contre les décisions du 19 juillet 2022 par lesquelles l'Office français de protection des réfugiés et apatrides avait rejeté leurs demandes d'asile. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par les intéressés à titre subsidiaire, tendant à la suspension de l'exécution des mesures d'éloignement sur le fondement de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sont devenues sans objet.

29. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Aveyron est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a mis à la charge de l'État la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sur les frais liés aux litiges :

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme E... et de M. D... tendant à la suspension de l'exécution des décisions portant obligation de quitter le territoire français prises à leur encontre par la préfète de l'Aveyron le 11 octobre 2022.

Article 2 : Les articles 2, 3 et 4 du jugement nos 2206226, 2206237 du 26 décembre 2022 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse sont annulés.

Article 3 : Les demandes présentées par Mme E... et M. D... devant le tribunal administratif de Toulouse sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme E... et M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... E..., à M. C... D... et à Me Noémi Bachet.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aveyron.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, où siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Lafon, président assesseur,

Mme Fougères, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 23TL00264, 23TL00265 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23TL00264
Date de la décision : 26/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: Mme Restino
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI;DIALEKTIK AVOCATS AARPI;DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-26;23tl00264 ?
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