Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de C... l'annulation de l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2304758 rendu le 23 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a annulé l'arrêté du 3 février 2023, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " à M. A... dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédures devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 21 février 2024 sous le n° 24TL00465, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du 23 janvier 2024.
Il soutient que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que M. A... justifiait avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et l'âge de dix-huit ans et qu'ils ont notamment écarté les informations issues du fichier " Eurodac ", alors que la consultation de ce fichier n'avait privé le demandeur d'aucune garantie, que le refus de titre de séjour était également justifié par l'incohérence du parcours migratoire de l'intéressé et que celui-ci n'avait été placé à l'aide sociale à l'enfance qu'au bénéfice du doute.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2024, M. B... A..., représenté par Me Soulas, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- la requête n'est pas recevable en l'absence de délégation valablement consentie à sa signataire pour introduire un appel contre le jugement ;
- l'arrêté en litige est entaché d'un vice de procédure au regard des articles 1er, 14, 17, 19 et 20 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le fichier " Eurodac " n'a pas été consulté par l'administration dans un cadre légal ; à titre subsidiaire, les informations issues de la consultation de ce fichier devront être écartées ;
- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur de droit au regard de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que de l'article 47 du code civil dès lors qu'il a produit des documents établissant sa date de naissance, lesquels ont été reconnus authentiques, que sa minorité avait été retenue lors de son placement à l'aide sociale à l'enfance et que les informations issue du fichier " Eurodac " ne suffisaient pas pour contredire l'ensemble de ces éléments s'agissant de son âge ;
- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle dès lors qu'il satisfait à l'ensemble des conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une ordonnance en date du 3 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 mai 2024.
Par une décision du 31 mai 2024, M. A... a obtenu le maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
II - Par une requête enregistrée le 21 février 2024 sous le n° 24TL00466, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 23 janvier 2024 sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges ont retenu que M. A... justifiait avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize et dix-huit ans ;
- ce moyen, sérieux, est de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions en annulation présentées par l'intéressé.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2024, M. B... A..., représenté par Me Soulas, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- la requête n'est pas recevable en l'absence de délégation valablement consentie à sa signataire pour solliciter le sursis à exécution du jugement ;
- les moyens invoqués par le préfet de la Haute-Garonne au soutien de sa demande de sursis à exécution du jugement ne sont pas fondés.
Par une ordonnance en date du 3 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 mai 2024.
Par une décision du 31 mai 2024, M. A... a obtenu le maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Jazeron, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant nigérian déclare être né le 25 décembre 2002 à Idumeka Igueben (Nigéria) et être entré en France le 10 août 2019. Placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Garonne en application d'un jugement rendu par le tribunal pour enfants de C... le 16 octobre 2019, l'intéressé a déposé, le 8 juillet 2021, une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté pris le 3 février 2023, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté cette demande, a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 23 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " à M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par la requête n° 24TL00465, le préfet relève appel de ce jugement et, par sa requête n° 24TL00466, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces deux requêtes étant présentées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.
Sur les conclusions en annulation présentées par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00465 :
2. L'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". L'article L. 811-2 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Selon l'article 47 du code civil auquel il est ainsi renvoyé : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".
3. La délivrance à un étranger d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect par l'étranger des conditions qu'il prévoit, en particulier concernant l'âge de l'intéressé, que l'administration vérifie au vu notamment des documents d'état civil produits par celui-ci. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit, par suite, se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a communiqué aux services du préfet de la Haute-Garonne, d'une part, une attestation de naissance établie le 15 août 2019 par la commission démographique nationale du Nigéria, mentionnant sa naissance le 25 décembre 2002 à Idumeka Igueben, d'autre part, un certificat d'identification et d'origine le concernant, provenant des services du gouvernement local de la zone d'Igueben, et, enfin, un passeport nigérian valable du 15 octobre 2021 au 14 octobre 2026 et portant les mêmes date et lieu de naissance. Il ressort de la motivation du jugement rendu par le tribunal pour enfants de C... le 16 octobre 2019, visé au point 1 du présent arrêt, que les deux premiers documents susmentionnés avaient été considérés comme authentiques par les services de la police aux frontières dans un rapport d'analyse établi le 26 septembre 2019, ce qui avait conduit le juge pour enfants à regarder M. A... comme mineur à cette date et à le confier aux services de l'aide sociale à l'enfance, nonobstant les conclusions de l'évaluation réalisée par les services sociaux du département de la Haute-Garonne, lesquels avaient retenu la majorité de l'intimé au regard de son récit, de son absence de besoin d'accompagnement quotidien et de son apparence physique. Il ressort en outre des termes de l'arrêté préfectoral en litige que les trois documents sus-évoqués produits par M. A... ont été à nouveau considérés comme authentiques par les services de la police aux frontières dans un rapport d'analyse daté du 10 novembre 2021.
5. Il ressort des termes de ce même arrêté que, pour estimer que M. A... ne pouvait pas être regardé comme justifiant avoir été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, le préfet de la Haute-Garonne s'est principalement fondé sur ce que la consultation du fichier européen " Eurodac " à partir du relevé des empreintes digitales de l'intéressé avait révélé qu'il était connu des autorités italiennes sous deux identités distinctes correspondant à des individus nés en 1991. Le préfet a également précisé dans son arrêté que, sous ces mêmes identités, M. A... avait déposé une demande de protection internationale en Italie en 2016, qu'il y avait bénéficié d'un titre de séjour jusqu'en 2019 et qu'il y était connu des services de police pour avoir commis deux infractions en 2017 et 2019. Si les éléments ainsi invoqués confirment la présence de l'intimé en Italie avant son entrée sur le territoire français, ni la circonstance qu'il a déclaré plusieurs identités aux autorités de ce pays pendant son séjour, ni celle qu'il y serait arrivé dès l'âge de treize ans, ne sont suffisantes par elles-mêmes pour caractériser l'incohérence alléguée par l'autorité préfectorale entre son parcours migratoire et son âge et pour remettre ainsi en cause la valeur probante des pièces produites par l'intéressé pour justifier de son état-civil, alors que l'authenticité de ces pièces a été reconnue par les services de la police aux frontières à deux reprises et que l'administration n'a par ailleurs procédé à aucune vérification particulière auprès des autorités nigérianes.
6. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal administratif de C... a estimé que M. A... justifiait remplir la condition d'âge posée à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le refus de séjour opposé par l'arrêté en litige procédait, par suite, d'une erreur de fait et d'une erreur de droit au regard de cet article.
7. Il résulte de ce qui vient d'être exposé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par l'intimé, que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 23 janvier 2024, le tribunal administratif de C... a prononcé l'annulation de son arrêté du 3 février 2023, lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié " dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au titre des dispositions du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00466 :
8. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 23 janvier 2024, les conclusions du préfet tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. En conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à ces dernières conclusions, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés aux litiges :
9. M. A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Soulas renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans les présentes instances, une somme de 1 500 euros à verser Me Soulas sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne n° 24TL00465 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par le préfet de la Haute-Garonne dans la requête n° 24TL00466.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me Soulas, avocat de M. A..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du second alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Soulas.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 8 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Jazeron, premier conseiller,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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Nos 24TL00465, 24TL00466