Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, l'annulation de la décision du 10 avril 2018 par laquelle la société Enedis a rejeté sa demande préalable présentée le 14 février 2018, d'autre part, la condamnation de ladite société à enlever les trois poteaux électriques implantés sur sa propriété et à remettre en état le terrain et, enfin, la condamnation de la même société à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices résultant de la présence de ces poteaux.
Par un jugement n° 1802538 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande présentée par M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 juin 2022 et le 2 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Saules, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er avril 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 10 avril 2018 par laquelle la société Enedis a rejeté sa demande préalable présentée le 14 février 2018 ;
3°) de condamner la société Enedis à enlever les trois poteaux électriques implantés sur sa propriété et à remettre en état le terrain, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de la présence de ces poteaux ;
5°) de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier pour insuffisance de motivation ;
- les poteaux électriques litigieux sont implantés irrégulièrement sur sa propriété dès lors que la société Enedis n'est en mesure de justifier d'aucun titre à cet égard, ainsi que l'a retenu le tribunal administratif de Toulouse à bon droit dans son jugement ;
- les poteaux présentent un caractère de dangerosité avéré comme l'a révélé l'incident survenu le 22 novembre 2019 et dès lors que la société Enedis ne peut accéder librement à la propriété en raison de l'absence de servitude et de la présence de clôtures ;
- il a obtenu un permis de construire le 27 février 2014, mais il n'a pas pu achever les travaux à cause des poteaux litigieux ; il a engagé un projet de division parcellaire en 2018, mais les nouvelles constructions ne pourront être réalisées pour la même raison ;
- la ligne électrique pourrait être déplacée sur le chemin de Laumet bas et le chemin du Four pour un coût similaire et une meilleure sécurité que son rehaussement ou son enfouissement sur sa propriété tel que proposé par la société Enedis en première instance ;
- le déplacement sur le chemin de Laumet bas et le chemin du Four serait par ailleurs moins coûteux que son enfouissement sous la voie publique ; le chiffrage présenté par la société Enedis en ce sens est incohérent dès lors qu'il n'existe pas de transformateur ;
- le technicien de la société Enedis intervenu sur le site le 25 octobre 2023 a étudié l'ensemble des solutions possibles et a considéré que le déplacement des ouvrages sur le chemin rural serait " la plus judicieuse " ; la commune est d'accord sur cette solution ;
- il résulte de tout ce qui précède que l'enlèvement des poteaux électriques ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général au regard de leurs inconvénients ;
- la présence des poteaux litigieux lui cause un trouble esthétique lié à la perte de vue, lequel doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros, ainsi qu'un trouble dans les conditions de jouissance de sa propriété, lequel doit être réparé à hauteur de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2024, la société anonyme Enedis, représentée par la SCP Piquemal et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la régularité de l'emprise ne peut pas être établie dès lors qu'elle n'a pas retrouvé la convention de servitude ayant permis l'implantation de la ligne en 1969 ;
- la régularisation de l'emprise est impossible dès lors que le caractère bâti et clôturé du terrain s'oppose à une procédure de déclaration d'utilité publique et que le requérant a refusé la signature de la convention de servitude proposée en première instance ;
- la suppression des ouvrages sur la propriété de l'appelant impliquerait des contraintes importantes : la seule solution techniquement possible, consistant à enfouir la ligne sous la voie publique, représenterait une somme exorbitante évaluée à 152 794,04 euros ;
- les inconvénients du maintien des ouvrages sur le terrain de l'appelant sont minimes et purement esthétiques ; l'intéressé ne démontre notamment pas que la présence de la ligne le prive de la possibilité de mener à bien son projet de construction sur le site ;
- les demandes indemnitaires doivent être rejetées dès lors que le requérant a acquis la propriété en toute connaissance de cause en 2007, que les inconvénients allégués ne présentent pas un caractère anormal et que le chiffrage des préjudices n'est pas justifié.
Par une ordonnance en date du 2 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,
- les observations de Me Saules, représentant le requérant,
- et les observations de Me Piquemal, représentant la société Enedis.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est propriétaire d'une unité foncière composée des parcelles cadastrées section ..., pour une superficie totale de 1,48 hectare, au lieu-dit " Séveyrac ", sur le territoire de la commune de Salles-la-Source (Aveyron). Sa propriété est traversée par une ligne électrique aérienne à haute tension comportant notamment trois poteaux en bois implantés sur les parcelles .... Par un courrier du 14 février 2018, l'intéressé a demandé à la société Enedis, d'une part, de procéder à l'enlèvement des poteaux électriques en cause et à la remise en état de ses parcelles et, d'autre part, de lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices résultant, selon lui, de l'irrégularité de l'implantation de ces ouvrages publics sur sa propriété. Le 10 avril 2018, la société Enedis, par l'intermédiaire de son conseil, a rejeté l'ensemble des prétentions ainsi présentées par M. B.... L'intéressé a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler la décision du 10 avril 2018, d'autre part, d'enjoindre à la société Enedis d'enlever les poteaux électriques et de remettre en état ses parcelles et, enfin, de condamner la société Enedis à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis. Par la présente requête, M. B... relève appel du jugement du 1er avril 2022 par lequel ledit tribunal a rejeté l'ensemble des conclusions de sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Toulouse a mentionné avec précision l'ensemble des éléments de droit et de fait sur lesquels il s'est fondé pour écarter les moyens soulevés par le requérant au soutien de sa demande. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
3. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l'écoulement du temps, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage en cause entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraînerait pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
S'agissant de la régularité de l'emprise et de la possibilité de régularisation :
4. D'une part, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que la société Enedis n'est pas en mesure de justifier de l'existence d'un titre l'autorisant à implanter des ouvrages du réseau public de distribution de l'électricité sur la propriété de M. B.... Par suite, les trois poteaux électriques litigieux doivent être regardés comme irrégulièrement implantés.
5. D'autre part, ainsi que l'indique la société Enedis dans ses écritures, il ne peut être légalement envisagé de procéder à une régularisation de l'emprise irrégulière par la voie de la procédure de déclaration d'utilité publique prévue à l'article L. 323-4 du code de l'énergie, dès lors que la propriété de M. B... est bâtie et clôturée. Si la société intimée a par ailleurs proposé en première instance de régulariser la situation par la signature d'une convention de servitude établie sur le fondement de l'article 1er du décret susvisé du 6 octobre 1967 portant règlement d'application de la loi du 15 juin 1906, pour permettre la suppression de la ligne aérienne existante et son enfouissement dans le sol de la propriété de M. B..., il résulte de l'instruction que le requérant n'a pas entendu accepter une telle proposition. Par conséquent, il n'apparaît pas qu'une procédure de régularisation appropriée serait susceptible d'aboutir.
S'agissant de la balance entre les intérêts publics et privés en présence :
6. Il est vrai que, par les pièces produites en appel, M. B... justifie avoir obtenu un permis de construire le 27 février 2014 pour l'implantation d'une maison individuelle sur l'unité foncière en litige et avoir déjà procédé à la réalisation du garage, de la dalle et des travaux de raccordement aux réseaux pour un montant de 30 821 euros en 2014 et 2015. Les photographies versées au dossier, notamment celles contenues dans un procès-verbal de constat d'huissier du 19 mai 2022, permettent par ailleurs de tenir pour établie l'impossibilité pour le requérant de poursuivre l'exécution des travaux autorisés par ce permis de construire compte tenu de la localisation de l'un des poteaux électriques à proximité immédiate de l'emplacement prévu pour la maison. M. B... démontre également avoir engagé des démarches et des frais, à partir de l'année 2018, pour procéder à une division parcellaire de sa propriété en vue d'y créer plusieurs lots à bâtir. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que la présence des ouvrages litigieux ferait obstacle à la concrétisation de ce projet de division et à la réalisation de toute future construction sur cette unité foncière d'une superficie d'1,48 hectare. D'autre part, si le requérant invoque l'effondrement de l'un des poteaux électriques survenu en novembre 2019, l'évocation de cet incident isolé, auquel la société Enedis a remédié dans un délai raisonnable, ne suffit pas pour établir la dangerosité alléguée des ouvrages irrégulièrement implantés.
7. Enfin, la société intimée fait valoir que le déplacement des ouvrages en cause hors de la propriété de M. B... présenterait des contraintes excessives en ce que la " seule solution technique possible " consisterait à déposer la totalité de la ligne aérienne et ses six poteaux sur un linéaire de 600 mètres et à enfouir une ligne souterraine sur un linéaire de 800 mètres sous la voie communale située au nord, une telle solution nécessitant en outre de supprimer un poste de transformation desservant 138 usagers pour le remplacer par un nouveau, pour un coût total de 152 794,04 euros dont le détail, précisé dans un document versé aux débats, n'est pas utilement remis en cause par le requérant. Si ce dernier soutient que les ouvrages en litige pourraient être transférés au niveau du chemin de Laumet bas et du chemin rural du Four situés à l'ouest de sa propriété et s'il produit en ce sens des messages échangés en janvier 2024 avec un technicien de la société Enedis, lequel a estimé que cette solution serait " judicieuse ", il ne résulte cependant pas de l'instruction que ladite société ait donné suite à l'étude réalisée par ce technicien, de telle sorte que la faisabilité technique et économique d'un tel déplacement n'est pas avérée.
8. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, alors en outre que les ouvrages appartenant à la société Enedis ont été implantés sur le site au cours de l'année 1969 et qu'ils étaient donc déjà présents lorsque M. B... a acquis la propriété le 19 juillet 2007, la démolition des poteaux situés sur les parcelles en cause serait de nature à entraîner une atteinte excessive pour l'intérêt général. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
9. M. B... n'établit ni au demeurant n'allègue que les poteaux électriques litigieux seraient visibles depuis les maisons d'habitation actuellement implantées sur sa propriété. Il ne justifie ainsi pas de la réalité du trouble esthétique allégué au titre de la " perte de vue " liée à l'existence de ces ouvrages. En revanche, il résulte notamment de ce qui a été mentionné au point 6 du présent arrêt que la présence de la ligne électrique et des poteaux irrégulièrement implantés empêche l'appelant de poursuivre les travaux autorisés par le permis de construire du 27 février 2014. Il résulte également de l'instruction que, si l'existence de ces ouvrages ne fait pas obstacle à la réalisation de tout autre projet de construction sur l'unité foncière en cause, la ligne électrique traverse la propriété de M. B... en son milieu sur une longueur de l'ordre de 170 mètres et entraîne donc des contraintes significatives pour l'occupation et l'utilisation des terrains issus de la division parcellaire mentionnée au même point 6. Dans ces conditions, le requérant est fondé à demander réparation des troubles causés par les ouvrages en litige dans les conditions de jouissance de ses biens. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ces troubles en lui accordant une indemnité de 15 000 euros à ce titre.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse n'a pas fait droit à ses conclusions indemnitaires à hauteur de la somme de 15 000 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
11. L'appelant a droit, ainsi qu'il le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 15 000 euros à compter de la date de réception de sa demande préalable le 19 février 2018 et à la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle à compter du 19 février 2019.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mis à la charge de M. B..., lequel n'a pas la qualité de partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, le versement d'une somme quelconque à la société Enedis au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Enedis le versement d'une somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La société Enedis versera à M. B... une somme de 15 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 19 février 2018 et de la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle à compter du 19 février 2019.
Article 2 : Le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse le 1er avril 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La société Enedis versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société Enedis au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société anonyme Enedis.
Délibéré après l'audience du 8 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Jazeron, premier conseiller,
Mme Lasserre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de l'Aveyron, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22TL21303