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09/07/2024 | FRANCE | N°22TL21549

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 09 juillet 2024, 22TL21549


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 8 juillet 2022, 13 novembre 2023 et 3 janvier 2024, la société à responsabilité limitée Ramondens Energies, représentée par Me Elfassi, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler l'arrêté du 18 mars 2022 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale en vue de la construction et de l'exploitation de six aérogénérateurs sur le territoire de la commune d'Arfons ;
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2°) de ne pas admettre les interventions en défense ;



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Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 8 juillet 2022, 13 novembre 2023 et 3 janvier 2024, la société à responsabilité limitée Ramondens Energies, représentée par Me Elfassi, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 mars 2022 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale en vue de la construction et de l'exploitation de six aérogénérateurs sur le territoire de la commune d'Arfons ;

2°) de ne pas admettre les interventions en défense ;

3°) à titre principal, de lui délivrer l'autorisation sollicitée et, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Tarn de délivrer cette autorisation, ou à tout le moins de réexaminer la demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 18 mars 2022 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer une autorisation unique est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 181-3 du code de l'environnement dès lors que le site d'implantation ne présente pas d'intérêt spécifique et que le projet ne compromet pas les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code au regard des inconvénients pour la commodité du voisinage et le risque d'atteintes aux paysages.

Par des mémoires en intervention volontaire, enregistrés les 25 novembre 2022, 6 décembre 2022 et 18 décembre 2023, la commune de Lacombe, Mme F... D..., Mme A... G..., Mme E... B..., Mme H... C... et l'association Vent Mauvais, représentées par Me Cabrol, concluent à ce que leur intervention soit admise, au rejet de la requête et demandent qu'il soit mis à la charge de la société requérante le paiement à chaque intervenant d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- elles ont intérêt à intervenir au soutien de l'arrêté attaqué ;

- aucun des moyens soulevés par la société Ramondens Energies n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 et 13 octobre 2023, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société Ramondens Energies n'est fondé.

Par ordonnance du 4 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lasserre, première conseillère,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kabra, représentant la société Ramondens Energies, et de Me Cabrol, représentant la commune de Lacombe et les autres intervenantes.

Une note en délibéré, présentée par la société Ramondens Energies, représentée par Me Elfassi, a été enregistrée le 3 juillet 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ramondens Energies a déposé auprès des services du préfet du Tarn, le 30 août 2019, une demande d'autorisation environnementale pour un projet de six éoliennes d'une hauteur de 125 mètres sur le territoire de la commune d'Arfons. Par un arrêté du 18 mars 2022, le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer cette autorisation. Par la présente requête, la société Ramondens Energies demande l'annulation de cet arrêté.

Sur l'intervention en défense :

2. L'association Vent Mauvais, qui a notamment pour objet la protection de l'environnement et du patrimoine sur le territoire faisant partie de la Montagne Noire dans le département de l'Aude, du Tarn et de l'Hérault, et la commune limitrophe de Lacombe, dont le hameau de la Galaube est situé à proximité immédiate du projet, ont intérêt au maintien de l'arrêté préfectoral attaqué. Par suite, l'intervention collective présentée par l'association et la commune doit être admise sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité en tant qu'elle émane de chacune des autres intervenantes.

Sur les conclusions en annulation :

En ce qui concerne le défaut de motivation de l'arrêté :

3. L'arrêté contesté mentionne l'ensemble des textes sur lesquels le préfet du Tarn s'est fondé pour refuser l'autorisation environnementale sollicitée par la société requérante. Il rappelle les étapes de la procédure suivie ainsi que la teneur des avis émis par les autorités consultées sur le projet. Il expose en outre de manière précise et circonstanciée les raisons de fait pour lesquelles le préfet a estimé que le parc éolien proposé était de nature à porter atteinte au paysage environnant et aux éléments de patrimoine situés à proximité. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les atteintes aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

4. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Et aux termes de l'article L. 511-1 du même code, régissant les installations classées pour la protection de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

S'agissant des inconvénients pour la commodité du voisinage :

5. Il résulte de l'instruction, et en particulier des plans, photographies et photomontages joints à l'étude paysagère produite par la société requérante, que le projet en litige prévoit l'implantation de six éoliennes d'une hauteur de 125 mètres en bout de pale réparties en deux groupes de trois éoliennes séparés d'environ 400 mètres sur une ligne d'orientation nord/sud à une altitude de 790 à 840 mètres sur une colline boisée surplombant la vallée. Il résulte également de l'instruction, et notamment de l'étude paysagère et de l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale d'Occitanie du 30 novembre 2020, que ce projet sera très visible, notamment en période hivernale, depuis les communes de Lacombe et de Laprade ainsi que depuis le hameau des Cabanelles et le lac de la Galaube, et que son implantation créera des ricochets visuels de mats d'éoliennes entraînant un effet d'écrasement. En outre, la proximité du projet en litige avec le parc éolien d'Arfons déjà existant provoquera un effet de saturation par une implantation d'éoliennes en apparence désordonnée et par leur prégnance dans le paysage. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction que le projet engendre un effet de surplomb, d'écrasement et de bouleversement des rapports d'échelle avec le paysage existant. Par suite, le préfet du Tarn a pu, sans commettre une erreur d'appréciation, estimer que le projet sera de nature à modifier substantiellement les paysages du quotidien et d'emporter des inconvénients pour la commodité du voisinage pour refuser la demande d'autorisation unique de la société Ramondens Energies.

S'agissant de l'atteinte aux paysages :

6. Pour se prononcer sur une demande d'autorisation environnementale, il appartient à l'autorité administrative compétente de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et des monuments. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage ou à la conservation des sites et des monuments est de nature à justifier un refus d'autorisation environnementale ou les prescriptions spéciales accompagnant sa délivrance, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage au sein duquel l'installation concernée est projetée, puis d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le paysage ou sur les monuments.

7. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'étude paysagère, que le projet de parc éolien de six éoliennes de 125 mètres de hauteur porté par la société requérante doit être implanté à l'extrémité ouest de l'entité paysagère des " Hautes Terres " sur le versant sud de la Montagne Noire, au sein du parc naturel régional du Haut-Languedoc et en limite de la vallée du Lampy. Le projet en cause se situe également à proximité du site Unesco de la Rigole de la Montagne Noire. La zone d'implantation du projet éolien présente par ailleurs des enjeux patrimoniaux importants compte tenu de sa situation à proximité de nombreux monuments historiques classés ou inscrits, dont le château cathare de Saissac et les ouvrages de la chaussée de Coudières et de la prise d'eau d'Alzeau. Enfin, le projet se situe à proximité du lac de la Galaube, dont la vocation touristique est renforcée par son insertion dans ce secteur vallonné et boisé. La circonstance que le secteur d'implantation soit composé de nombreuses zones boisées pouvant masquer le projet éolien en litige n'est pas de nature à remettre en cause l'intérêt du site et de son environnement tels que précédemment décrits. Par suite, et dans ces conditions, le site retenu par la société requérante pour l'implantation de son projet présente ainsi qualité certaine du point de vue paysager et patrimonial.

8. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, le projet en litige prévoit l'implantation de six éoliennes d'une hauteur de 125 mètres en bout de pale réparties en deux groupes de trois éoliennes séparés d'environ 400 mètres sur une ligne d'orientation nord/sud à une altitude de 790 à 840 mètres. Cette implantation en surplomb modifiera, de façon significative, les perspectives paysagères de ce territoire. De plus, si l'étude paysagère réduit l'impact sur les lieux avoisinants en intégrant les boisements dans ces photomontages, il résulte de l'instruction que ces boisements sont essentiellement composés de feuillus à feuilles caduques, lesquels ne créent pas de barrière visuelle en période hivernale. En tenant compte de la seule topographie, il résulte de l'instruction et notamment de l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Occitanie du 21 août 2021, que le parc éolien sera visible depuis les abords de la rigole de la Montagne Noire et depuis la berge ouest du bassin du Lampy qui sont tous deux des sites inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 5 du présent arrêt et alors que 69 éoliennes sont déjà en fonctionnement dans un rayon de 10 kilomètres, le projet présente un risque de saturation des paysages proche et éloigné. Dans ces conditions, le projet en litige, par sa localisation et la hauteur des éoliennes, est de nature à porter atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants, aux paysages naturels, aux sites et à la conservation des perspectives monumentales. Si la société requérante a proposé de retirer l'éolienne E6, cette seule modification n'est, en tout état de cause, pas de nature à supprimer une atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants susceptible de justifier un refus. Par suite, le préfet du Tarn a pu, sans commettre une erreur d'appréciation, estimer que le projet engendrera un impact sur le paysage et la conservation des monuments pour refuser la demande d'autorisation unique de la société Ramondens Energies.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ramondens Energies n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 18 mars 2022 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer une autorisation unique en vue de la construction et de l'exploitation de six aérogénérateurs sur le territoire de la commune d'Arfons.

Sur les conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation ou, à titre subsidiaire, au prononcé d'une injonction :

10. Le présent arrêt rejetant les conclusions à fin d'annulation présentées par la société requérante, ses conclusions tendant à ce que la cour lui délivre l'autorisation ou à ce qu'elle prononce une injonction à l'encontre du préfet du Tarn doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés par la société Ramondens Energies et non compris dans les dépens. Les mêmes dispositions s'opposent également à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée à ce titre par les intervenants en défense, lesquels n'ont pas la qualité de parties.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention en défense de la commune de Lacombe, de l'association Vent Mauvais et des autres intervenantes est admise.

Article 2 : La requête de la société Ramondens Energies est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par les intervenantes en défense sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Ramondens Energies, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de Lacombe, première dénommée pour l'ensemble des intervenantes.

Copie en sera adressée au préfet du Tarn.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

Mme Lasserre, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.

La rapporteure,

N. Lasserre

Le président,

D. ChabertLa greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21549


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21549
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: Mme Nathalie Lasserre
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : CABROL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;22tl21549 ?
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