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04/07/2024 | FRANCE | N°22TL22039

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 1ère chambre, 04 juillet 2024, 22TL22039


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Bios Analytique Limited a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2010, 2011 et 2012 et de la retenue à la source qui lui a été assignée pour l'année 2012, de condamner l'Etat au remboursement des frais exposés pour constituer des garanties conformément à l'article L.

208 du livre des procédures fiscales et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 eur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bios Analytique Limited a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2010, 2011 et 2012 et de la retenue à la source qui lui a été assignée pour l'année 2012, de condamner l'Etat au remboursement des frais exposés pour constituer des garanties conformément à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1921367 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Nîmes, à qui la demande a été attribuée par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, a fait droit à ses conclusions en décharge, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et cinq mémoires complémentaires, enregistrés le 27 septembre 2022, le 11 mai 2023, le 28 février 2024, le 27 mars 2024, le 9 avril 2024 et le 2 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a fait droit à la demande de la société Bios Analytique Limited ;

2°) de rétablir, en droits et pénalités, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et la retenue à la source dont la décharge a été accordée à tort par les premiers juges.

Il soutient que :

- la société Bios Analytique Limited, qui ne saurait être regardée comme ayant commis une erreur justifiant qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives, a pu faire régulièrement l'objet d'une procédure de taxation d'office sans l'envoi préalable d'une mise en demeure ;

- il apporte des éléments caractérisant l'existence d'un établissement stable en France de cette société ;

- les sanctions pour exercice d'une activité occulte sont justifiées ;

- les informations communiquées par les autorités britanniques ont été intégralement transmises à la société, conformément aux dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;

- les rappels effectués en matière de retenue à la source sont justifiés.

Par cinq mémoires en défense, enregistrés le 29 mars 2023, le 12 février 2024, le 18 mars 2024, le 3 avril 2024 et le 26 avril 2024, la société Bios Analytique Limited, représentée par Me Bastide, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;

- elle doit être déchargée des intérêts de retard, dès lors qu'elle n'est redevable d'aucune imposition en France.

Par une ordonnance du 18 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 31 août 1994 ;

- la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital signée le 19 juin 2008 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- les conclusions de M. Clen, rapporteur public,

- et les observations de Me Bastide pour la société Bios Analytique Limited.

Considérant ce qui suit :

1. La société de droit britannique Bios Analytique Limited a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé que son activité de location et crédit-bail de biens d'équipements était exercée à partir d'un établissement stable en France. Elle a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été en conséquence assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2010, 2011 et 2012, ainsi que de la retenue à la source qui lui a été assignée pour l'année 2012. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait appel du jugement du 1er juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a fait droit à ces conclusions en décharge et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les moyens de décharge retenus par le tribunal administratif :

2. En premier lieu, en vertu du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, ne sont passibles de l'impôt sur les sociétés que les seuls bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées en France ou dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.

3. Aux termes de l'article 5 de la convention signée le 19 juin 2008 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : / a) un siège de direction ; / b) une succursale ; / c) un bureau ; / (...) / 5. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2, lorsqu'une personne (...) agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans un Etat contractant de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans cet Etat pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise (...) ". Aux termes de l'article 7 de la même convention : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que la société Bios Analytique Limited avait fixé son siège social, en Angleterre, à une simple adresse de domiciliation, correspondant à celle d'un cabinet comptable. Elle n'y disposait d'aucun bureau avant une inauguration effectuée en 2013. Le responsable des ventes qu'elle a recruté le 12 avril 2010, s'il exerçait ses fonctions dans ce pays où il était présent en permanence, se bornait à une activité de vente, de recensement des commandes des clients et de gestion du stock. Les actes engageant la société intimée, en particulier les contrats de location et leur gestion, étaient contrôlés et signés par ses dirigeants, tous deux de nationalité française et domiciliés en France. Les périodes de déplacement de ces derniers vers le Royaume-Uni, justifiées pour l'un d'eux seulement et limitées à une durée maximale de dix jours par an au cours de la période en litige, ne correspondent pas aux dates de signature des documents engageant juridiquement la société. Par ailleurs, l'essentiel des documents juridiques originaux de la société Bios Analytique Limited, en particulier sa comptabilité, ses contrats commerciaux et ses informations bancaires, ainsi que ses timbres humides, des enveloppes portant son en-tête et des factures comportant des mentions en langue française et accompagnées de bordereaux de livraison, ont été retrouvés lors de la perquisition effectuée dans les locaux situés à L'Union (Haute-Garonne) de la société française Bios Analytique, qui était son unique associée et qui partageait les mêmes dirigeants. La société Bios Analytique Limited s'était d'ailleurs organisée pour recevoir du courrier à l'adresse de cette dernière et y a reçu notamment des documents émanant de plusieurs partenaires et de son comptable, ainsi que l'intégralité de ses relevés bancaires. Dans l'ensemble de ces conditions, cette société, alors même qu'elle disposait au Royaume-Uni de son comptable, de son unique compte bancaire, d'une ligne téléphonique et de ses clients et qu'elle y a déposé ses déclarations fiscales et réglé ses impôts, doit être regardée comme disposant en France d'une installation fixe d'affaires où elle disposait du siège de sa direction effective et à partir de laquelle elle exerçait son activité. Il en résulte qu'elle devait être regardée, au cours de la période en cause, d'une part, comme exploitant son entreprise en France au sens du premier alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts, d'autre part, comme exerçant son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable au sens des stipulations des articles 5 et 7 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 attribuant à la France l'imposition des bénéfices des entreprises britanniques remplissant ces conditions.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : / (...) / 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 (...) ". Ce dernier article, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle a été adressé l'avis de vérification, dispose que : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : / (...) / 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite (...) ". Dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un Etat autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux Etats.

6. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a taxé d'office des bénéfices de la société Bios Analytique Limited des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, sans l'avoir préalablement mise en demeure de déposer les déclarations correspondantes. Ainsi qu'il a été dit au point 4, les opérations de vérification ont permis d'établir l'existence d'un établissement stable en France de cette société. Elle n'a toutefois n'a pas déposé de déclaration d'existence de son activité, ni respecté ses obligations déclaratives. Elle entend néanmoins invoquer le droit à l'erreur en se prévalant de son installation progressive au Royaume-Uni dès sa création en 2009 pour répondre au développement d'opportunités commerciales dans cet Etat, de ce qu'elle y a acquitté ses impôts depuis l'exercice 2010 et de ce qu'elle y disposait de son compte bancaire et de son responsable des ventes. En se bornant à ces seuls éléments, alors qu'elle disposait sur le territoire national d'une installation fixe d'affaires où elle disposait du siège de sa direction effective et qu'il existe une importante différence entre le montant des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles l'administration fiscale française a entendu l'assujettir et celui auquel elle a été assujettie au Royaume-Uni, la société Bios Analytique Limited, qui ne peut être regardée comme s'étant méprise sur la portée de ses obligations fiscales vis-à-vis de l'administration française, n'établit aucune circonstance particulière qui justifierait qu'elle ne se soit acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives en France. Par suite, l'administration a pu mettre en œuvre la procédure de taxation d'office sans procéder à l'envoi préalable d'une mise en demeure conformément aux dispositions précitées du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales et de l'article L. 68 du même livre.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a accueilli les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure de taxation d'office et de ce que les bénéfices de la société Bios Analytique Limited n'étaient pas passibles de l'impôt sur les sociétés en France.

8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Bios Analytique Limited devant le tribunal administratif et devant la cour.

En ce qui concerne les autres moyens :

9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée.

10. Par lettre du 27 juin 2014, la société Bios Analytique Limited a sollicité la communication de la réponse du 2 avril 2012 des autorités britanniques à la demande d'assistance administrative internationale mise en œuvre par le service vérificateur. La circonstance que le document produit à ce titre par l'administration avec la réponse aux observations de la société du 24 juillet 2014 comporte, sans prendre en compte le texte de traduction l'accompagnant, deux pages et qu'au pied de l'une d'elles figure la mention " page 10 of 10 " ne permet pas, à elle-seule, d'établir que cette communication, dont le contenu apparaît exhaustif, aurait été incomplète. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu les obligations qui découlent des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

11. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". L'article 109 du même code dispose que : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes du 2 de l'article 119 bis du même code : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ".

12. L'administration a refusé la déduction d'une facture établie le 21 décembre 2012 par la société de droit américain Bios Analytical LLC pour un montant total de 126 590 dollars, au motif qu'elle n'avait pas rendu de prestations correspondantes. La seule production d'une note d'avoir émise le 8 décembre 2013 pour un montant équivalent par la société Bios Analytical LLC à destination de la société Bios Analytique ne permet pas de remettre en cause l'appréhension de cette somme par la société américaine au cours des exercices litigieux. Il s'ensuit que c'est à bon droit qu'elle a été regardée comme constituant un revenu distribué au sens du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, donnant lieu à l'application d'une retenue à la source en vertu des dispositions précitées de l'article 119 bis du même code. L'administration fiscale a en conséquence retenu, en application de l'article 187 du même code, un taux de retenue à la source de 25 % du montant de ce revenu.

13. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la convention signée le 31 août 1994 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique : " La présente Convention ne s'applique qu'aux personnes qui sont des résidents d'un Etat contractant ou des deux Etats contractants (...) ". Aux termes de l'article 4 de la même convention : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son siège social, ou de tout autre critère de nature analogue. / Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat ou pour la fortune qui y est située (...) ". Le taux de la retenue à la source est réduit, par l'article 10 de cette convention, à 15 % du montant des distributions payées par une société résidente en France à un résident des Etats-Unis d'Amérique.

14. Les stipulations du 1 de l'article 4 de la convention franco-américaine doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but. Il résulte des termes mêmes de ces stipulations, qui définissent le champ d'application de la convention, conformément à son objet principal qui est d'éviter les doubles impositions, que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt en cause par la loi de l'Etat concerné à raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations. Par ailleurs, et pour les personnes qui ne sont assujetties que partiellement à l'impôt, il résulte de ces mêmes stipulations de l'article 4 de cette convention que, pour son application, la qualité de résident d'un État contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s'en prévaut soit assujettie à l'impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son siège social ou d'un lien personnel analogue et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source.

15. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Bios Analytical LLC, qui a son siège dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis d'Amérique), aurait été exonérée, du fait de cette domiciliation, d'imposition de l'ensemble des bénéfices qu'elle était susceptible de réaliser. Elle doit donc être regardée comme assujettie à l'impôt dans cet Etat au sens du 1 de l'article 4 de la convention du 31 août 1994 et, par voie de conséquence, comme résidente des Etats-Unis d'Amérique pour l'application de cette convention. Il en résulte que c'est en méconnaissance de son article 10 que l'administration fiscale a appliqué au revenu distribué à la société Bios Analytical LLC, correspondant au montant de la facture du 21 décembre 2012, le taux de retenue à la source de droit interne de 25 % au lieu du taux réduit conventionnel de 15 % du montant de ce revenu.

16. En troisième lieu, aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " I. - Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard (...) ". Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré de ce que la société Bios Analytique Limited doit être déchargée des intérêts de retard au motif qu'elle n'est redevable d'aucune imposition en France doit être écarté. En revanche, ces intérêts ne sont pas fondés en ce qu'ils ont été appliqués à la retenue à la source liquidée à un taux supérieur à 15 %.

17. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / (...) / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte (...) ".

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 que la société Bios Analytique Limited ne peut être regardée comme ayant commis une erreur justifiant qu'elle n'ait pas rempli ses obligations déclaratives et que l'administration apporte la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable. Par suite, la majoration de 80 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts lui était applicable. Comme précédemment, elle ne pouvait toutefois être appliquée à la retenue à la source liquidée à un taux supérieur à 15 %.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a prononcé la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés et de la retenue à la source en litige, alors que cette dernière aurait seulement dû être réduite du fait de l'application d'un taux de 15 % au lieu de 25 %, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il est, par suite et dans cette mesure, fondé à demander à ce que ces suppléments et cette retenue, ainsi que les pénalités correspondantes, soient remis à la charge de la société Bios Analytique Limited.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1921367 du 1er juillet 2022 du tribunal administratif de Nîmes sont annulés, sauf en ce qu'il prononce une décharge, en droits et pénalités, de la retenue à la source qui a été assignée à la société Bios Analytique Limited pour l'année 2012 correspondant à l'application d'un taux de 15 % au lieu de 25 %.

Article 2 : Le surplus de la demande présentée par la société Bios Analytique Limited devant le tribunal administratif de Nîmes est rejeté.

Article 3 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Bios Analytique Limited avait été assujettie au titre des exercices clos les 31 décembre 2010, 2011 et 2012, ainsi que la retenue à la source qui lui a été assignée pour l'année 2012 à hauteur de l'application d'un taux de 15 %, dont les premiers juges ont prononcé la décharge en droits et pénalités, sont remises à sa charge.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et les conclusions présentées par la société Bios Analytique Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Bios Analytique Limited.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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