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13/06/2024 | FRANCE | N°22TL22527

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 13 juin 2024, 22TL22527


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé d'abroger la décision du 22 octobre 2021 de mise à exécution de l'arrêté du 26 septembre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français.



Par une ordonnance n° 2204916 du 12 octobre 2022, le président de la 4ième chambre du tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, rejeté sa demande comme mani

festement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé d'abroger la décision du 22 octobre 2021 de mise à exécution de l'arrêté du 26 septembre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français.

Par une ordonnance n° 2204916 du 12 octobre 2022, le président de la 4ième chambre du tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, rejeté sa demande comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative et, d'autre part, retiré l'aide juridictionnelle accordée à M. B... par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 1er août 2022, en application de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 19 avril 2023, M. B..., représenté par Me Ruffel, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé d'abroger la décision du 22 octobre 2021 de mise à exécution de l'arrêté du 26 septembre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de son dossier ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'a pas d'intérêt à agir au motif que la décision d'exécution dont il demande l'abrogation a été entièrement exécutée ;

- le retrait de l'aide juridictionnelle pour procédure abusive prononcée par l'ordonnance du premier juge est contestable ;

- le préfet n'a pas répondu à la demande de communication des motifs du rejet implicite de sa demande d'abrogation, ladite décision implicite est donc nulle en vertu de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;

- cette mise à exécution méconnaît l'article L. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il était détenteur, le 9 septembre 2021, d'une attestation de dépôt de demande de titre de séjour ;

- cette mise à exécution méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui fait obstacle à l'éloignement d'office des enfants mineurs ;

- elle repose sur des faits inexacts, dès lors qu'ils sont entrés régulièrement en France sous couvert de leur passeport ;

- la décision méconnaît l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment eu égard à la scolarité de ses enfants et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire, enregistré le 4 avril 2023, le préfet de l'Hérault, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la mesure du 22 octobre 2021 ayant été exécutée avant même que l'avocat du requérant en ait sollicité son abrogation, la requête est irrecevable ;

- les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 avril 2023, la clôture d'instruction a été reportée et fixée en dernier lieu au 28 avril 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Haïli, président-assesseur ;

- et les observations de Me Ruffel, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant albanais né le 19 mai 1979, relève appel de l'ordonnance n° 2204916 en date du 12 octobre 2022 par laquelle le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier, d'une part, a rejeté comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative sa demande d'annulation de la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé d'abroger la décision du 22 octobre 2021 de mise à exécution de l'arrêté du 26 septembre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français demandée le 30 novembre 2021 et, d'autre part, a retiré l'aide juridictionnelle accordée à M. B..., par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 1er août 2022, en application de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4º Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté en date du 26 septembre 2017, le préfet de l'Hérault a obligé M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et décidé qu'à l'issue de ce délai il pourra être reconduit d'office à destination de tout pays dans lequel il serait légalement admissible. Par un jugement n° 1705034 du 5 décembre 2017, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. B... aux fins d'annulation de cet arrêté. Par une ordonnance du 10 décembre 2018, la présidente de la 9ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel interjeté contre ledit jugement comme manifestement dépourvu de fondement. Par une décision du 22 octobre 2021, le préfet de l'Hérault a requis le directeur de la police aux frontières aux fins de mise à exécution d'office cette mesure d'éloignement édictée le 26 septembre 2017. Il ressort également des pièces du dossier que le 22 octobre 2021, M. B... et sa famille ont été éloignés vers l'Albanie. Par un courriel en date du 30 novembre 2021, M. B..., entretemps revenu sur le territoire français selon ses propres dires, a demandé au préfet d'abroger cette décision du 22 octobre 2021 de mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Par un courrier en date du 9 février 2022, l'intéressé a sollicité la communication des motifs du rejet implicite de sa demande d'abrogation. M. B... a alors demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé d'abroger la décision du 22 octobre 2021 de mise à exécution de l'arrêté du 26 septembre 2017 l'obligeant à quitter le territoire français.

4. Pour rejeter la demande du requérant comme manifestement irrecevable, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier s'est fondé sur le fait que cette décision de mise à exécution avait été intégralement exécutée, selon les propres dires du requérant, un an avant qu'il n'en demande l'abrogation au préfet et que par suite, sa requête tendant à l'annulation de l'exécution de la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement refusé d'abroger la décision du 22 octobre 2021, qui est irrecevable, présente un caractère abusif. Toutefois, la circonstance qu'une décision ait produit tous ses effets avant la saisine du juge n'est pas, à elle seule, de nature à priver d'objet le recours pour excès de pouvoir contre cette décision, ni davantage à rendre ce recours irrecevable. Par suite et contrairement à ce que fait valoir en défense dans l'instance d'appel le préfet de l'Hérault, la complète exécution par la décision du 22 octobre 2021 de l'obligation de quitter le territoire français édictée le 26 septembre 2017 ne rend pas irrecevable les conclusions en excès de pouvoir contre la décision refusant son abrogation.

5. Il s'ensuit que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que sa demande a été rejetée comme manifestement irrecevable. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le requérant devant le tribunal administratif.

Sur la légalité du refus d'abrogation de la décision du 22 octobre 2021 :

6. Lorsqu'une décision portant obligation de quitter le territoire français a été dépourvue de mesure d'exécution pendant une durée anormalement longue, caractérisée par un changement de circonstances de fait ou de droit, et que ce retard est exclusivement imputable à l'administration, l'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français doit être regardée comme fondée non sur la décision initiale, mais sur une nouvelle décision portant obligation de quitter le territoire français, dont l'existence est révélée par la mise en œuvre de l'exécution d'office elle-même et qui doit être regardée comme s'étant substituée à la décision initiale. En dehors de cette hypothèse particulière, seules des dispositions législatives ou réglementaires particulières peuvent prévoir qu'une décision relative au séjour devrait être regardée comme caduque au-delà d'un certain délai après son intervention.

7. En l'espèce, plus de quatre ans se sont écoulés entre l'intervention de l'arrêté du 26 septembre 2017 obligeant M. B... à quitter le territoire français et la décision du 22 octobre 2021 par laquelle le préfet de l'Hérault a requis le concours de la police aux frontières dans le cadre de la procédure d'exécution d'office de la mesure d'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de M. B... et de son épouse. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est pas allégué par l'administration défenderesse, que le retard mis à exécuter cet arrêté ne serait pas exclusivement imputable à l'administration. Eu égard notamment à la durée de la période qui s'est écoulée entre ces deux mesures, la situation du requérant doit être regardée comme ayant été modifiée en fait. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient le préfet en défense, la mise en œuvre, par la décision du 22 octobre 2021, d'une telle exécution d'office révèle l'existence d'un nouvel arrêté implicite d'obligation de quitter le territoire français, qui s'est substitué à l'arrêté initial et dont le refus d'abrogation, en litige, peut faire l'objet d'un recours juridictionnel.

8. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : / restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Selon l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".

9. Le refus implicite né du silence gardé par le préfet de l'Hérault sur la demande d'abrogation datée du 30 novembre 2021 constitue une mesure de police qui doit être motivée en application des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il ressort des pièces du dossier que, par un courriel du 9 février 2022, le conseil du requérant a formé une demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet de sa demande. L'administration n'a pas communiqué les motifs de cette décision dans le délai d'un mois prévu par les dispositions précitées de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens présentés à l'appui des conclusions à fin d'annulation de cette décision, le requérant est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation de la décision du 22 octobre 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt eu égard à ses motifs n'impliquant pas la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, il s'ensuit que les conclusions à fin d'injonction du requérant doivent être rejetées.

Sur le retrait de l'aide juridictionnelle :

11. Aux termes de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " (...) Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive, la juridiction saisie prononce le retrait total de l'aide juridictionnelle ".

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 du présent arrêt, que la demande de première instance du requérant ne pouvait être regardée comme présentant un caractère abusif. Dans ces conditions, l'appelant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 de l'ordonnance attaquée, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier lui a retiré le bénéfice de l'aide juridictionnelle accordé par une décision n° 2022/005464 du 1er août 2022.

Sur les frais liés au litige :

13. Le requérant n'a pas présenté de demande d'aide juridictionnelle. Par suite, il n'y a pas lieu que soit mis à la charge de l'Etat le versement à Me Ruffel, son avocat, de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme de 800 euros à M. B... titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n°2204916 du 12 octobre 2022 du président de la 4ième chambre du tribunal administratif de Montpellier est annulée.

Article 2 : La décision implicite du rejet de la demande de M. B... d'abroger la décision du préfet de l'Hérault en date du 22 octobre 2021 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 800 euros à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Ruffel, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au bureau d'aide juridictionnelle.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.

Le rapporteur,

X. Haïli

Le président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°22TL22527


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22527
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Xavier Haïli
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-06-13;22tl22527 ?
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