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13/06/2024 | FRANCE | N°22TL20814

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 13 juin 2024, 22TL20814


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le préfet de Vaucluse a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 11 août 2020 n° PC 84031 19 C0206 par lequel le maire de Carpentras a délivré à la société par actions simplifiée Martinay un permis de construire ayant pour objet le changement de destination du Château du Martinay en hôtel de sept chambres.



Par un jugement n° 2100496 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé ce permis de construire.





Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 1er mars 2022 et des mémo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de Vaucluse a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 11 août 2020 n° PC 84031 19 C0206 par lequel le maire de Carpentras a délivré à la société par actions simplifiée Martinay un permis de construire ayant pour objet le changement de destination du Château du Martinay en hôtel de sept chambres.

Par un jugement n° 2100496 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé ce permis de construire.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er mars 2022 et des mémoires en réplique enregistrés les 7 avril 2023 et 7 juin 2023, la société à responsabilité limitée Hydra, venant aux droits de la société Martinay, représentée par Me Porta, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter le déféré du préfet de Vaucluse et ses demandes nouvelles en appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux ayant donné lieu au permis de construire délivré le 11 août 2020 ne constituent pas un changement de destination soumis aux dispositions des articles A1 et A2 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Carpentras, alors que le Château du Martinay était exploité au moment de la demande sous la forme de sept chambres d'hôtes, relevant ainsi de la destination " commerce et activité de service " et de la sous-destination " autres hébergements touristiques " ;

- à supposer que le projet entraînerait un changement de destination ou une nouvelle affectation du château, force sera de constater qu'il est conforme au règlement applicable en zone agricole A ;

- en outre, elle a obtenu en cours d'instance un permis de construire modificatif délivré le 28 octobre 2021, confirmant que le projet de transformation des chambres d'hôtes existantes en hôtel, dans le cadre du développement d'une activité œnotouristique, entrait bien dans les prévisions de l'article A2 du règlement du plan local d'urbanisme et le défaut de qualité d'exploitant agricole du bénéficiaire de l'autorisation ne peut fonder un refus de permis de construire en zone agricole ;

- le nouveau moyen d'annulation soulevé en appel par le préfet de Vaucluse au regard de l'article R. 421-9 du code de l'urbanisme n'est pas fondé dès lors qu'en 2006 les changements de destination sans travaux n'étaient soumis à aucune formalité préalable et même à compter de l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2007, de la réforme des autorisations d'urbanisme, les changements de destination sans travaux n'ont été soumis qu'à déclaration préalable ;

- le nouveau moyen d'annulation soulevé en appel par le préfet, tiré de l'exception d'illégalité de l'article A2 du règlement du plan local d'urbanisme en ce qu'il est contraire aux articles L. 151-11 et R. 151-23 du code de l'urbanisme, est inopérant compte tenu de la date d'entrée en vigueur antérieur du règlement de plan local d'urbanisme, qu'il n'est pas fait état de la disposition antérieure susceptible d'être remise en vigueur ni de critique de l'arrêté en litige au regard de cette disposition ;

- les conclusions aux fins d'abrogation de l'article A2 du règlement du plan local d'urbanisme applicable à la zone A sont nouvelles et par suite irrecevables.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 juillet 2022 et le 16 mai 2023, le préfet de Vaucluse conclut au rejet de la requête et à ce que la cour déclare illégal et abroge l'article A2 du règlement de la zone A du plan local d'urbanisme de la commune de Carpentras en tant qu'il admet " le changement de destination sans extension des bâtiments existants quand leur affectation nouvelle les destine (...) à l'hébergement touristiques ayant pour support l'exploitation agricole " en méconnaissance des articles L. 123-3-1, et R. 123-7 et R. 151-23 du code de l'urbanisme.

Il soutient que :

- les moyens de la requête d'appel ne sont pas fondés ;

- l'exploitation de sept chambres d'hôtes au moment de la demande de permis de construire ne procédant pas d'une autorisation régulière démontrée, le permis de construire délivré méconnaît l'article L. 421-9 du code de l'urbanisme dès lors que la demande ne porte pas sur l'ensemble du bâtiment ;

- l'arrêté est également illégal par exception d'illégalité de l'article A2 du règlement au regard des articles R. 151-23, R. 151-23-1 et R. 151-23-2 du code de l'urbanisme ;

- cette illégalité est opposable depuis la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 et la codification de l'article L. 123-3-1 du code de l'urbanisme, à tout changement de destination de manière générale pour les bâtiments existants en zone A d'un plan local d'urbanisme ;

- l'ancien plan d'occupation des sols approuvé le 24 juin 1999 classe le terrain d'assiette du Château du Martinay en zone ND, de sorte que le projet méconnaît les articles ND1 et ND2 du règlement du plan d'occupation des sols, opposable antérieurement à l'approbation du plan local d'urbanisme ;

- il est demandé à la cour d'abroger l'article A2 du règlement du plan local d'urbanisme en tant qu'il admet " le changement de destination sans extension des bâtiments existants quand leur affectation nouvelle les destine (...) à l'hébergement touristique ayant pour support l'exploitation agricole " en méconnaissance de l'article R. 151-23 du code de l'urbanisme, sur le fondement de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 19 novembre 2021, n°437141 ;

-ces conclusions subsidiaires à une demande d'annulation présentées pour la première fois en appel sont recevables.

La clôture d'instruction a été reportée et fixée en dernier lieu au 7 juin 2023 par une ordonnance du 17 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code du tourisme ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Haïli, président-assesseur ;

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- les observations de Me Gilliocq, substituant Me Porta, représentant la société appelante.

Une note en délibéré, présentée par la société Hydra, représentée par Me Porta, a été enregistrée le 7 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° PC 84031 19 C0206 du 11 août 2020, le maire de Carpentras (Vaucluse) a délivré à la société Martinay, aux droits de laquelle vient la société Hydra, un permis de construire en vue de créer un hôtel de sept chambres par changement de destination d'un bâtiment existant à usage d'habitation, dénommé Château du Martinay, situé route de Mazan sur une parcelle cadastrée section AR n° 132 classée en zone agricole A du plan local d'urbanisme de la commune. Par un déféré, le préfet de Vaucluse a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler cet arrêté. Par un jugement susvisé du 30 décembre 2021, dont la société Hydra relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 11 août 2020 du maire de Carpentras.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 151-27 du code l'urbanisme : " Les destinations de constructions sont : / 1° Exploitation agricole et forestière ; / 2° Habitation ; / 3° Commerce et activités de service ; / 4° Equipements d'intérêt collectif et services publics ; / 5° Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire. ". L'article R. 151-28 du même code dispose que : " Les destinations de constructions prévues à l'article R. 151-27 comprennent les sous-destinations suivantes : / (...) 2° Pour la destination " habitation " : logement, hébergement ; / 3° Pour la destination " commerce et activités de service " : artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s'effectue l'accueil d'une clientèle, cinéma, hôtels, autres hébergements touristiques ; / (...) 5° Pour la destination " autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire " : industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d'exposition ". Aux termes de l'article R. 151-29 de ce même code : " (...). Les locaux accessoires sont réputés avoir la même destination et sous-destination que le local principal. ". Aux termes de l'article L. 324-3 du code du tourisme : " Les chambres d'hôtes sont des chambres meublées situées chez l'habitant en vue d'accueillir des touristes, à titre onéreux, pour une ou plusieurs nuitées, assorties de prestations. ". L'article D. 324-13 du même code précise que : " L'activité de location de chambres d'hôtes mentionnée à l'article L. 324-3 est la fourniture groupée de la nuitée et du petit déjeuner. Elle est limitée à un nombre maximal de cinq chambres pour une capacité maximale d'accueil de quinze personnes. L'accueil est assuré par l'habitant. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1 du règlement de la zone A du plan local d'urbanisme de la commune de Carpentras relatif aux occupations et utilisations du sol interdites : " Sont interdits tous modes d'occupation ou d'utilisation du sol et construction non visés par l'article A2, et notamment : / - les constructions ou l'extension de construction, ou modes d'utilisation du sol non liés et nécessaires à l'exploitation agricole, à l'exception de celles visées à l'article A2 / - toutes les constructions non visées à l'article A2, et en particulier la création d'équipements collectifs, d'établissements commerciaux (...) ". Aux termes de l'article A2 du même règlement relatif aux occupations et utilisations du sol soumises à des conditions particulières, correspondant à une zone recouvrant les terrains à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique de l'espace agricole : " Sont admises à la condition de ne pas porter atteinte au paysage : / (...) L'aménagement, le changement de destination sans extension des bâtiments existants, quand leur affectation nouvelle les destine à la vente des produits de l'exploitation, ou à l'hébergement touristique ayant pour support l'exploitation agricole, quelle que soit la localisation du projet par rapport au siège de l'exploitation. ".

4. Pour faire droit à la demande du préfet de Vaucluse tendant à l'annulation du permis de construire du 11 août 2020, le tribunal administratif de Nîmes a accueilli le moyen tiré de ce qu'il n'était pas démontré que le changement de destination du Château du Martinay envisagé par le projet autorisé aurait bien pour support une exploitation agricole et que ni la société Martinay, bénéficiaire du permis en litige, ni la société Hydra venant aux droits de la bénéficiaire, n'étaient des exploitantes agricoles au vu de leur forme juridique et de leur objet social, de sorte qu'en délivrant ledit permis en litige pour la création d'un hôtel de sept chambres en zone agricole, le maire de de Carpentras a méconnu les dispositions précitées des articles 1 et 2 du règlement de la zone A du plan local d'urbanisme de la commune.

5. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la demande de permis de construire de la société pétitionnaire ayant pour objet le changement de destination du Château du Martinay en hôtel de sept chambres, que sont exploitées depuis 2006 sept chambres d'hôtes intégrées à l'habitation. Alors que ces chambres d'hôtes s'apprécient comme accessoires d'un immeuble destiné à l'habitation, dans lequel il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de la notice de la demande de permis de construire, qu'il soit fait état de services qui caractérisent l'activité d'un service hôtelier, sans qu'importe la circonstance que le projet ne concerne pas une activité existante de chambres d'hôtes seulement limitée à cinq chambres, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que la destination de la construction, à la date de sa demande de permis de construire, relevait déjà de la destination " commerce et activités de service " et demeurait par suite inchangée au regard de son projet d'exploiter désormais en régime hôtelier des chambres d'hôtes déjà existantes. Par suite et dans ces conditions, eu égard au changement de destination en hébergement hôtelier et à la création d'un établissement commercial pour l'exploitation de sept chambres d'hôtel qu'emporte la demande de permis de construire de la société pétitionnaire, le permis de construire accordé doit être regardé comme relevant du champ d'application des dispositions citées au point 3 des articles A1 et A2 du règlement du plan local d'urbanisme.

6. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier et n'est pas contesté que la société pétitionnaire prévoit de " développer à terme un complexe de charme et intimiste pour une escale oenotouristique de qualité " et de créer une " activité agro-touristique haut de gamme ", sans que cet hébergement hôtelier ait pour support une exploitation agricole. La circonstance que par un arrêté du 28 octobre 2021 n° PC 84031 19 C0206 M01, le maire de Carpentras a délivré à la société Martinay un permis de construire modificatif portant " renseignements supplémentaires sur l'activité oenotouristique de l'hôtel en lien avec le domaine viticole " n'est pas suffisante pour établir que le projet en litige serait adossé à une activité agricole. Par conséquent, c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli l'unique moyen soulevé par le préfet de Vaucluse dans son déféré, tiré de la méconnaissance des dispositions des articles A1 et A2 du règlement du plan local d'urbanisme.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté en litige du 11 août 2020 par lequel le maire de la commune de Carpentras a délivré à la société Martinay ce permis de construire.

Sur les conclusions incidentes du préfet de Vaucluse à fin d'abrogation :

8. Saisi de conclusions à fin d'annulation recevables contre un acte réglementaire, le juge peut également l'être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu'il prononce l'abrogation du même acte au motif d'une illégalité résultant d'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu'un acte règlementaire est susceptible de porter à l'ordre juridique.

9. Le préfet de Vaucluse demande à la cour d'abroger l'article A2 du règlement de la zone A du document d'urbanisme communal en tant qu'il admet " le changement de destination sans extension des bâtiments existants quand leur affectation nouvelle les destine (...) à l'hébergement touristiques ayant pour support l'exploitation agricole en méconnaissance des articles L. 123-3-1, et R. 123-7 et R. 151-23 du code de l'urbanisme ". Toutefois, l'arrêté en litige n'étant pas un acte réglementaire mais revêtant le caractère d'un acte individuel, les conclusions aux fins d'abrogation présentées par le préfet intimé dirigées contre les dispositions de l'article A2 du règlement du plan local d'urbanisme concernent un litige distinct et sont irrecevables en appel. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société appelante doit être accueillie et les conclusions à fin d'abrogation doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par la société Hydra et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Hydra est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le préfet de Vaucluse aux fins d'abrogation de l'article A2 du règlement de la zone A du plan local d'urbanisme de Carpentras sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Hydra, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de Carpentras.

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.

Le rapporteur,

X. Haïli

Le président,

D. Chabert

Le greffier,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22TL20814 2


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20814
Date de la décision : 13/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Xavier Haïli
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : PORTA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-06-13;22tl20814 ?
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