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04/06/2024 | FRANCE | N°22TL21086

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 04 juin 2024, 22TL21086


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Pertuis à lui verser la somme de 42 384 euros en réparation de ses préjudices résultant de faits répétés de harcèlement moral dont elle s'estimait victime et de mettre à la charge de la commune de Pertuis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2003740 du 4 mars 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa

demande.

Procédure devant la cour :



Par une requête et des pièces enr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Pertuis à lui verser la somme de 42 384 euros en réparation de ses préjudices résultant de faits répétés de harcèlement moral dont elle s'estimait victime et de mettre à la charge de la commune de Pertuis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°2003740 du 4 mars 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces enregistrées les 4 et 17 mai 2022, et des mémoires enregistrés respectivement le 19 mai 2023 et le 17 novembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Perez demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2003740 du 4 mars 2022 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de condamner la commune de Pertuis à lui verser la somme de 42 384 euros en réparation de ses préjudices résultant de faits répétés de harcèlement moral dont elle s'estime victime, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et de leur capitalisation à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Pertuis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a subi depuis le début de l'année 2018 des actes répétés et humiliants et des propos vexatoires de la part du directeur général des services, constitutifs d'un harcèlement moral ;

- elle a été visée par des audits ciblés dirigés directement contre elle, a été confrontée à des entraves dans l'exercice de ses fonctions, un contrôle trop étroit, elle a également subi des entraves au bon déroulement de sa carrière et n'a pas pu accéder à un poste au grade d'attaché principal malgré sa réussite au concours, ainsi que des pressions et a été isolée du reste des effectifs de la commune ;

- elle a été mutée d'office le 29 octobre 2019 sans que les règles de procédure soient respectées ce qui constitue par ailleurs une sanction déguisée ;

- le maire n'a mené aucune action en vue de mettre fin aux agissements du directeur général des services ;

- ses demandes indemnitaires, en conséquence du harcèlement moral qu'elle a subi, sont fondées sur le même fait générateur, les nouveaux chefs de préjudices qu'elle invoque ou la mise à jour de ceux qu'elle avait déjà invoqués sont recevables ;

- elle a subi un préjudice financier évalué à un montant de 77 022 euros au 4 mai 2022 correspondant à une baisse substantielle de sa rémunération ;

- elle a subi une perte de chance d'évolution de sa carrière évaluée à 10 000 euros ;

- elle a subi un préjudice moral évalué à 10 000 euros ;

- elle a subi des troubles dans les conditions d'existence évalués à 10 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 25 octobre 2022 et le 26 septembre 2023, la commune de Pertuis, représentée par Me Vergnon, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... en application des dispositions de l'article L .761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les différents faits rapportés par Mme A... sont soit inexacts, soit infondés et ne sont pas susceptibles de faire présumer une situation de harcèlement moral ;

- la responsabilité tirée de l'inaction du maire, nouvelle en appel, est irrecevable ;

- les préjudices financiers correspondants à la suppression des astreintes pour 3 600 euros et la perte des activités accessoires pour 54 000 euros ont été développés plus de deux mois après la requête introductive de première instance, la perte de la nouvelle bonification indiciaire pour un montant de 2 976 euros a été soulevée pour la première fois en appel, ils sont nouveaux et par suite irrecevables et sont également sans lien avec un harcèlement moral invoqué ;

- la perte de chance d'évolution de carrière est un préjudice nouveau et par suite irrecevable ;

- la réalité des préjudices invoqués n'est pas justifiée.

Par une ordonnance du 17 novembre 2023 la clôture de l'instruction a été fixée au 12 décembre 2023 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- les observations de Me Landeler représentant Mme A... et celles de Me Laurent représentant la commune de Pertuis.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., recrutée le 1er février 2012 par contrat conclu avec la commune de Pertuis en qualité de directrice des ressources humaines, a été titularisée le 1er mai 2016 dans le cadre d'emploi des attachés territoriaux. La décision du 29 octobre 2019 du maire de la commune de la muter sur le poste de directrice numérotation et recensement a été annulée par un jugement n° 2000563 du 10 février 2022 du tribunal administratif de Nîmes devenu définitif. Par une réclamation du 22 juin 2020, Mme A... a sollicité le versement d'une somme de 42 384 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle estimait avoir subi. Cette demande a été rejetée par une décision du 6 octobre 2020. Par un jugement du 4 mars 2022 dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

4. Pour faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme A... soutient d'abord avoir subi des attitudes humiliantes et propos vexatoires de la part du directeur général des services. Toutefois, si la commune ne conteste pas que le directeur ait, au cours d'un appel téléphonique du mois d'avril 2018, manifesté son mécontentement de manière véhémente en qualifiant d'inadmissible la circonstance qu'il n'ait pas été informé de l'état de santé d'un agent qui a été contraint de quitter le service pour se faire hospitaliser, et qu'il ait également manifesté avec force son mécontentement lorsque Mme A... a fait savoir que son adjointe ne possédait pas de téléphone portable professionnel, elle conteste que ce mécontentement ait été exprimé avec violence ou de manière vexatoire et aucun élément du dossier n'est de nature à l'établir. Dans ces conditions, alors que ces sollicitations avaient vocation à suivre l'état de santé d'un agent ou d'assurer la continuité du service, les éléments tels que relatés ne peuvent être regardés comme dépassant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, à supposer même qu'il soit établi que le directeur général des services ait exprimé un avis négatif global méprisant et déplacé sur les compétences des agents de la direction des ressources humaines à l'occasion d'une réunion du 30 août 2018 portant sur le " contrat mutuelle " des agents de la collectivité, celui-ci ne visait pas spécifiquement Mme A.... La circonstance qu'une plainte pour harcèlement moral ait été déposée à l'encontre de ce même directeur général des services par d'autres agents est par ailleurs sans lien avec la situation personnelle de Mme A....

5. S'il résulte de l'instruction que la qualité du travail de la direction des ressources humaines sur le sujet de l'évolution des salaires des cadres a été mise en cause, ces constats ont été formulés dans des termes objectifs et mesurés au regard des buts poursuivi par cette étude. Il n'est pas par ailleurs établi que des propos déplacés ou humiliants traduisant par eux-mêmes des propos vexatoires aient alors été tenus.

6. Mme A... invoque également l'organisation d'audits ciblés portant sur la direction des ressources humaines révélant une stratégie visant à mettre cause ses compétences professionnelles et la mettre sous pression. Il résulte toutefois de l'instruction que le maire de la commune de Pertuis a demandé au mois de juillet 2018 la réalisation d'une étude portant sur les ressources et le fonctionnement de la direction des ressources humaines, consistant à réaliser des entretiens individuels avec tous les agents de la direction selon un canevas défini à l'avance afin d'identifier les axes de progrès, en complément de celle datée du 30 mai 2018 réalisée par Mme A..., laquelle faisait ressortir un contexte budgétaire tendu, un effectif sous dimensionné, une charge de travail en constante augmentation et une équipe soudée qui a réussi à faire face à la situation dans un contexte difficile. Si Mme A... soutient être la seule personne de la direction à ne pas avoir été entendue lors de cet audit, il résulte de l'instruction que trois entretiens ont été réalisés avec elle pour converger sur un compte rendu d'étude et que le bilan d'étape réalisé en juin 2019 a été décidé conjointement avec l'intéressée pour faire le point sur les mesures mises en œuvre, dont le contenu a été, de la même manière, débattu avec Mme A.... Aucun élément n'est par ailleurs de nature à établir que le directeur général des services soit intervenu pour orienter le déroulement ou les conclusions de l'étude ou que celle-ci, qui visait à améliorer le fonctionnement de la direction, ait eu pour objet de mettre en cause les compétences professionnelles ou discréditer l'intéressée.

7. Mme A... expose encore avoir connu des entraves dans l'exercice de ses fonctions. Toutefois, la circonstance qu'après en avoir approuvé le principe, le directeur général des services ait freiné durant plusieurs mois l'acquisition d'un nouveau logiciel de gestion des formations et des compétences, d'un coût élevé, en faisant procéder à des diagnostics préalables pour s'assurer de sa comptabilité avec les pratiques internes et de l'opportunité de l'acquérir, sans en informer clairement Mme A... qui estimait pourtant cette acquisition nécessaire, ne dépasse pas en l'espèce, l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. La circonstance supplémentaire qu'il ait rapporté la volonté des élus de supprimer deux postes à la direction des ressources humaines alors que ces suppressions n'ont finalement jamais été demandées, ne saurait non plus traduire une volonté de lui nuire ou la mettre en difficulté.

8. L'intéressée entend également se prévaloir d'une entrave au bon déroulement de sa carrière se traduisant d'abord par une mise à l'écart du service pendant une période de deux mois imposée le 4 mars 2019 au cours d'un entretien avec le maire. S'il résulte de l'instruction que Mme A... a effectivement été absente du service de cette date jusqu'au 29 avril 2019 en étant couverte par des absences pour formation en vue de préparer son examen d'attaché principal au Centre national de la fonction publique territoriale, des congés ordinaires, des jours de réduction du temps de travail ou de récupération, et que le maire a pu lui suggérer de prendre du recul et se reposer au regard de son niveau d'épuisement, il n'est pas établi que cette période d'éloignement du service ait été contrainte ou imposée comme le soutient Mme A....

9. Mme A... invoque ensuite, après qu'elle ait réussi l'examen d'attaché principal au mois de juillet 2019 et sollicité son avancement à ce grade, un chantage de son employeur afin qu'elle accepte d'être détachée sur un emploi fonctionnel de directeur général adjoint, alors qu'elle n'y avait aucun intérêt financier en qualité d'ancien agent contractuel auquel un maintien de salaire est assuré et alors que ce type de détachement est précaire. Toutefois, aucun élément n'est de nature à établir la réalité du chantage ou des menaces dont elle aurait fait l'objet en cas de refus du poste de directeur général adjoint. La circonstance qu'un agent du centre communal d'action sociale ait été nommé attaché principal à l'avancement au choix sans être détaché sur un emploi fonctionnel de directeur général adjoint ne caractérise pas, eu égard à la différence de situation entre les agents affectés au sein d'un centre communal d'action sociale et ceux affectés au sein des services communaux et aux objectifs de la réorganisation en cours aboutissant à la mise en place de directeurs généraux adjoints autour d'un directeur général des services, une différence de traitement susceptible faire présumer un harcèlement moral.

10. L'annulation par un jugement du 10 février 2022 du tribunal administratif de Nîmes de la décision du 29 octobre 2019 mutant Mme A... du poste de directrice des ressources humaines à celui de directrice de la direction numérotation et recensement et conduisant à une diminution de ses responsabilités, en raison de l'absence de consultation de la commission mixte paritaire, n'est pas de nature à établir que le poste sur lequel Mme A... a été affectée ait été artificiellement créé pour lui nuire en procédant à une dégradation de ses conditions de travail. Il ne résulte pas par ailleurs de l'instruction que cette décision de mutation constituerait en réalité une sanction disciplinaire déguisée. La réalité de l'isolement professionnel de Mme A... lors de son retour dans les services de la collectivité au mois d'avril 2019, où à la suite de son changement de poste à la direction numérotation et recensement, n'est pas non plus établie. De la même manière, il ne résulte pas de l'instruction qu'une consigne d'interdiction d'accorder à Mme A... des rendez-vous avec le maire ait été passée ou que ses demandes d'entretiens aient été bloquées.

11. Il résulte de ce qui précède que les éléments de fait soumis par Mme A..., même pris dans leur ensemble, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral de la part du directeur général des services ou du maire. Ces mêmes éléments ne sont pas davantage de nature à révéler une inertie ou défaillance fautive ou encore un manquement de la commune de Pertuis au regard de son obligation d'assurer la protection de ses agents. Par suite, l'intéressée n'est pas fondée à solliciter d'indemnisation au titre d'un harcèlement dont elle serait victime.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Pertuis, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que demande Mme A... sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par la commune de Pertuis en application des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Pertuis tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Pertuis.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.

La rapporteure,

C. Arquié

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL21086


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21086
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Céline Arquié
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : SELAS PHILAE ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-06-04;22tl21086 ?
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