Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision de la ministre des armées du 17 janvier 2020 prononçant à son encontre la sanction de radiation des cadres ainsi que la décision à intervenir de la commission de recours des militaires sur le recours administratif préalable formé contre l'arrêté du ministre de l'intérieur du 21 avril 2020 portant radiation des cadres, et d'enjoindre à la ministre des armées de procéder à sa réintégration et de reconstituer sa carrière depuis le 21 avril 2020, dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 400 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2001768 du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Nîmes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet du recours préalable formé contre l'arrêté du 21 avril 2020 du ministre de l'intérieur et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces enregistrées les 21 mai 2022, 5 et 21 février 2024 et un mémoire enregistré le 3 avril 2024, M. B... A..., représenté par Me Fitzgerald, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2022 ;
2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 17 janvier 2020 prononçant sa radiation des cadres ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de le réintégrer et de reconstituer sa carrière depuis le 21 avril 2020 dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 400 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur de fait ;
- la décision de la ministre des armées présente un caractère disproportionné ;
- elle est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière en raison de l'irrégularité de l'ordre d'envoi ;
- l'enquête administrative menée par l'officier rapporteur est entachée d'un défaut d'impartialité ;
- le non-respect des délais fixés à l'article R. 4137-66 du code de la défense l'a privé de son droit à être entendu dans un délai raisonnable ;
- l'arrêté du 21 avril 2020 ayant été retiré à une date postérieure à l'introduction de sa requête devant le tribunal, il s'est désisté de ses conclusions dirigées à l'encontre de cet arrêté mais maintient sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire enregistré le 1er juillet 2022, le ministre de l'intérieur indique que la défense de l'Etat ne relève pas de ses services et que seul le ministre des armées est compétent pour présenter des observations à l'encontre d'une sanction disciplinaire.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 mars 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par ordonnance du 4 avril 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 25 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Barbot-Laffitte substituant Me Fitzgerald, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., gendarme affecté au peloton de sûreté maritime et portuaire militaire de Toulon depuis le 1er septembre 2017, a été condamné par jugement du tribunal correctionnel de Toulon du 7 novembre 2019 devenu définitif à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violences commises sur son épouse dans la nuit du 1er au 2 juin 2019. Son épouse, gendarme au peloton de sûreté maritime et portuaire militaire de Toulon, s'est présentée le 3 juin 2019 à la compagnie de gendarmerie départementale de La Valette-du-Var pour signaler ces faits de violences. Une enquête de flagrance pour violences suivies d'incapacité n'excédant pas huit jours par conjoint ou concubin a été ouverte. M. A... a été placé en garde à vue le 5 juin 2019 puis sous contrôle judiciaire du 7 juin au 7 novembre 2019. L'intéressé a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire par arrêté du 8 juin 2019, puis muté d'office dans l'intérêt du service le 16 décembre 2019 au peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie à Pertuis (Vaucluse). M. A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de la décision du 17 janvier 2020 par laquelle la ministre des armées a prononcé à son encontre la sanction de radiation des cadres, ainsi que de la décision à intervenir de la commission de recours des militaires sur son recours formé contre l'arrêté du 21 avril 2020 du ministre de l'intérieur portant cessation d'office de l'état de militaire de carrière par radiation des cadres d'office par mesure disciplinaire. Il relève appel du jugement du 22 mars 2022 du tribunal administratif de Nîmes en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 17 janvier 2020.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Nîmes, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments soulevés par M. A..., a suffisamment répondu aux moyens soulevés devant lui, en particulier ceux tirés de l'irrégularité de l'ordre d'envoi, de la matérialité des faits reprochés et du caractère disproportionné de la sanction.
3. En second lieu, si, devant le tribunal correctionnel, M. A... a contesté avoir tenté d'étrangler son épouse alors qu'elle était au sol et qu'elle n'était pas évanouie lorsqu'il est parti, il ressort des termes du jugement du 7 novembre 2019 du tribunal correctionnel qu'il " ressort des éléments de la procédure et des déclarations du prévenu que les faits qui lui sont reprochés sont établis ". Par suite, la circonstance que le jugement ait mentionné au point 12 les faits contestés par M. A... ne révèle aucune erreur de fait.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4137-66 du code de la défense : " L'envoi devant le conseil d'enquête est ordonné par le ministre de la défense ou par les autorités militaires dont la liste est fixée par arrêté du ministre de la défense. L'ordre d'envoi devant le conseil d'enquête mentionne les faits à l'origine de la saisine du conseil et précise les circonstances dans lesquelles ils se sont produits./ L'avis du conseil d'enquête doit être remis à l'autorité habilitée à prononcer la sanction dans les trois mois qui suivent la date d'émission de l'ordre d'envoi./ Si aucun avis n'est rendu à l'issue de ce délai, le ministre de la défense met le conseil en demeure de se prononcer dans un délai déterminé qui ne peut être supérieur à un mois. S'il n'est pas fait droit à cette demande et sauf impossibilité matérielle pour le conseil de se réunir, l'autorité habilitée constate la carence du conseil et prononce la sanction, sans l'avis de ce conseil, après avoir invité le militaire à présenter sa défense (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que l'ordre d'envoi devant le conseil d'enquête du 12 juillet 2019 mentionne que, dans la nuit du 1er au 2 juin 2019, " le gendarme A... étrangle son épouse et quitte le domicile en la laissant inanimée au sol ". Cet ordre d'envoi indique également que la victime s'est vu délivrer lors de sa consultation médicale un certificat médical avec 7 jours d'incapacité temporaire de travail. Si le médecin légiste a conclu le 4 juin 2019 à une interruption temporaire de travail de son épouse de 2 jours, il ressort toutefois des pièces du dossier que le certificat médical de premières constatations mentionnait bien 7 jours d'interruption temporaire du travail. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort tant du procès-verbal d'audition du fils de la victime, que du procès-verbal de synthèse établi le 7 juin 2019 par un officier de police judiciaire, que M. A... a quitté l'appartement conjugal alors que son épouse était au sol. En outre, selon le certificat médical du 4 juin 2019, l'examen clinique effectué corrobore les déclarations de la victime concernant en particulier une tentative d'étranglement. Par suite, alors que M. A... a pu présenter ses observations devant le conseiller rapporteur les 26 septembre et 6 novembre 2019, puis devant le conseil d'enquête le 28 novembre suivant, le moyen tiré de l'irrégularité de l'ordre d'envoi au conseil d'enquête en ce qu'il viserait des faits inexacts doit être écarté.
6. En deuxième lieu, si M. A... soutient ensuite que l'enquête administrative menée par l'officier rapporteur n'aurait pas été conduite de manière impartiale, dans la mesure où le conseil d'enquête n'aurait pas été éclairé sur la personnalité de son épouse et où les auditions auraient été menées à charge, l'absence d'impartialité ainsi alléguée ne ressort d'aucun élément versé au dossier. En outre, il ne ressort d'aucune disposition du code de la défense que l'officier rapporteur aurait été tenu d'approfondir les éléments de personnalité de la victime. M. A..., qui ne conteste pas avoir eu communication de l'ensemble des pièces de la procédure, a expressément indiqué lors de son audition par le conseil d'enquête qu'il refusait d'user de la faculté prévue par l'article R. 4137-78 du code de la défense, de faire connaître au conseil d'enquête l'identité des personnes qu'il souhaitait éventuellement faire entendre. Le moyen tiré de l'absence d'impartialité de l'enquête administrative doit dès lors être écarté.
7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le conseil d'enquête, saisi le 12 juillet 2019, a été mis en demeure le 23 octobre 2019 par la ministre des armées de rendre son avis. La circonstance que l'avis du conseil d'enquête ait été émis le 28 novembre 2019, soit cinq jours après le délai d'un mois prévu par les dispositions de l'article R. 4137-66 du code de la défense, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée, ce délai n'étant pas prescrit à peine d'irrégularité de la procédure. En outre, M. A..., qui a été entendu par l'officier rapporteur puis par le conseil d'enquête, et disposait comme il a été exposé précédemment de la faculté de faire entendre par ledit conseil toute personne de son choix, n'établit par aucun élément que le délai mis par le conseil d'enquête pour émettre un avis ne lui aurait pas permis de faire valoir utilement toute observation. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de cet avis qui aurait privé M. A... de son droit à être entendu doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 4137-1 du code de la défense : " Sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent :/ 1° A des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4137-2 (...) ". L'article L. 4137-2 de ce code dispose : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes :/ (...) 3° Les sanctions du 3ème groupe sont :/ a) Le retrait d'emploi, défini par l'article L. 4138-15 ;/ b) La radiation des cadres ou la résiliation du contrat (...) ". En application de l'article L. 4137-3 du même code : " Doivent être consultés :/ (...) 3° Un conseil d'enquête avant toute sanction disciplinaire du troisième groupe (...) ". Aux termes de l'article R. 434-12 du code de la sécurité intérieure, portant sur les devoirs du policier et du gendarme : " Le policier ou le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service, (...) il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation. ".
9. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
10. Si M. A... persiste à contester le déroulement des faits qui lui sont reprochés, les constatations effectuées par le juge pénal dans le jugement du tribunal correctionnel du 7 novembre 2019 devenu définitif ont, en ce qui concerne la matérialité des faits, l'autorité absolue de la chose jugée. Il ressort ainsi des pièces du dossier qu'à la suite d'une dispute, M. A..., à qui son épouse barrait le passage pour l'empêcher de sortir du domicile conjugal dans la nuit du 1er au 2 juin 2019, lui a fait une clé de bras autour du cou et l'a laissée inanimée sur le sol, avant que son fils âgé de onze ans, alerté par le bruit, ne la rejoigne et ne lui porte secours. Il ressort des pièces du dossier, notamment des procès-verbaux d'audition, que l'épouse de M. A... a repris connaissance peu après l'arrivée de son fils, alerté par les bruits de cette dispute. M. A... a été reconnu coupable par ce jugement du 7 novembre 2019 de violence suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, faits commis le 2 juin 2019 à Toulon. Le requérant a été condamné pour ces faits à une peine d'emprisonnement de 10 mois assortie du sursis. Il ressort des énonciations de ce jugement que ces faits ont été commis dans le logement de fonction de l'épouse de M. A..., elle-même gendarme. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier et notamment des faits retracés par le jugement correctionnel que le requérant a reconnu avoir précédemment commis des faits de violence sur son épouse en août 2018, lors d'un séjour dans sa famille en Allemagne. Alors même qu'ils sont survenus en dehors du service, ces faits de violences conjugales sur conjoint sont constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction.
11. M. A... se prévaut de son comportement exemplaire après les faits en ce qu'il a remis sans délai les clés du domicile conjugal à l'autorité militaire et a emménagé au domicile de sa mère, déposé une requête en divorce et n'a jamais recontacté son épouse, et s'est conformé à l'obligation de soins fixée par l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. Il se prévaut également de la requalification sur instruction du procureur en cours d'enquête des faits en cause initialement qualifiés de tentative de meurtre par conjoint, de l'absence d'inscription de sa condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire prononcée par le tribunal correctionnel compte-tenu de l'absence d'antécédent et de son emploi, de l'avis émis par le conseil d'enquête le 28 novembre 2019 pour une sanction moins lourde de retrait d'emploi pour une durée de six mois et de l'ordonnance de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 janvier 2023 qui a fait droit à sa demande d'effacement des mentions figurant au traitement des antécédents judiciaires, exposant que M. A... a immédiatement compris ce en quoi son acte était inacceptable et en a tiré toutes les conséquences. Toutefois, eu égard au devoir d'exemplarité incombant à M. A..., l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce et au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant, en raison des faits mentionnés au point précédent, la sanction de révocation, alors par ailleurs que le requérant avait fait l'objet de deux sanctions disciplinaires de 7 jours puis 15 jours d'arrêt les 23 juillet et 11 octobre 2018 au motif d'un manque de discernement dans l'exercice de ses fonctions s'agissant de la seconde sanction.
12. Si M. A... conteste le rejet de ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance, la circonstance que l'administration avait procédé au retrait de l'une des décisions contestées ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal rejette, dans les circonstances de l'espèce, l'ensemble de ces conclusions.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
Mme Arquié, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22TL21200 2