Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par deux recours distincts, d'une part, d'annuler la décision de mutation du 19 mars 2021, et, d'autre part, l'arrêté n° 42644053-5233 du 28 mai 2021 du garde des sceaux, ministre de la justice, portant mutation dans l'intérêt du service.
Par un jugement n° 2102026-2103593 du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 février 2023, M. B..., représenté par Me Cacciapaglia, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 décembre 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler l'arrêté n° 42644053-5233 du 28 mai 2021 portant mutation d'office dans l'intérêt du service ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé ;
- les dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 et celles de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ont été méconnues ;
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de ce que les décisions contestées portaient à son droit au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis ;
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de ce que l'arrêté critiqué procède d'un détournement de pouvoir et de procédure et considéré qu'il n'était pas constitutif d'une sanction déguisée ;
- l'arrêté contesté procède d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de l'intérêt du service ;
- l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 a été méconnu, en ce que la mutation en cause a été décidée en raison de son handicap.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Aubert, substituant Me Cacciapaglia, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Alors que M. B... était éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse en poste à l'unité éducative d'hébergement collectif de Perpignan, des incidents et dysfonctionnements ont été constatés au sein de cette unité, qui ont conduit la direction interrégionale sud-ouest et l'inspection générale de la justice à diligenter plusieurs audits et inspections afin d'en identifier les causes et de proposer la mise œuvre de mesures adaptées. À compter du mois de novembre 2020, la direction territoriale des Pyrénées-Orientales et de l'Aude a entrepris de mener plusieurs entretiens avec certains agents en poste au sein de l'unité, dont M. B..., pour évoquer la possibilité d'une mutation dans l'intérêt du service. Après avoir été reçu pour un nouvel entretien, le 27 janvier 2021, ce dernier s'est vu notifier une lettre du 19 mars 2021 l'informant de la mise en œuvre d'une mesure de mutation dans l'intérêt du service, puis un arrêté du 16 avril 2021 portant affectation au sein du service territorial de milieu ouvert de Toulouse Saint-Exupéry à compter du 1er mai suivant. Par une ordonnance du 20 mai 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a suspendu l'exécution de cette dernière décision jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa légalité. À la suite de cette suspension, le garde des sceaux, ministre de la justice, a pris un nouvel arrêté, le 28 mai 2021, réitérant la mutation d'office de l'intéressé en fixant sa date de prise d'effet au 1er juillet suivant. Tout en demandant au juge des référés du tribunal administratif précité la suspension de ce nouvel arrêté, qu'il a obtenue par une ordonnance du 28 juin 2021, M. B... a saisi ce tribunal administratif de requêtes distinctes tendant, pour l'une, à l'annulation de ce dernier arrêté, et, pour l'autre, à celle de la décision que révélerait, selon lui, la lettre du 19 mars 2021. Par un jugement du 13 décembre 2022 dont il relève appel, ce tribunal a rejeté ses demandes.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté du 28 mai 2021 :
2. M. B... reprend en appel le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de l'arrêté du 28 mai 2021 cité au point précédent, sans assortir ce moyen d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement. Il convient d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
3. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 dans sa version alors en vigueur : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ". Et aux termes du deuxième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier (...) ". En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier. Cette communication a pour objet de lui permettre de connaître les raisons pour lesquelles une telle mesure est envisagée avant qu'elle ne lui soit notifiée. Par ailleurs, les documents et pièces ne figurant pas dans le dossier administratif de l'agent doivent être mis à sa disposition au titre de la communication des griefs afin qu'il puisse utilement présenter sa défense.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été invité à consulter son dossier administratif, qui comprenait le courrier du 26 février 2021 par lequel la directrice interrégionale sud a sollicité, de la direction centrale, sa mutation d'office dans l'intérêt du service et qui détaillait l'ensemble des éléments sur lesquels reposait cette demande, dès notification de la lettre du 19 mars 2021, citée au point 1 du présent arrêt. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l'administration ne l'a pas mis à même de consulter son dossier administratif et a méconnu les droits de la défense ne peut être accueilli.
Sur la légalité interne de l'arrêté du 28 mai 2021 :
5. En premier lieu et aux termes du I de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " L'autorité compétente procède aux mutations des fonctionnaires en tenant compte des besoins du service ". La mutation dans l'intérêt du service susceptible d'être prononcée sur ce fondement constitue une sanction déguisée dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner l'agent et que la décision a porté atteinte à sa situation professionnelle.
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'inspection générale de la justice réalisé au cours du mois de juillet 2020 et dont les conclusions corroborent celles du rapport établi le 8 avril 2019 par la direction interrégionale sud, que depuis l'année 2018 des dysfonctionnements majeurs et structurels ont affecté l'unité éducative d'hébergement de Perpignan et que ceux-ci sont pour partie dus à la démobilisation de l'équipe pédagogique, à la remise en cause systématique des choix arrêtés par les gestionnaires de l'unité, au dévoiement des instances pédagogiques à des fins de revendications relatives aux conditions d'emploi et à un fonctionnement clanique, hostile à la direction en place, prenant appui sur des personnels justifiant d'une longue ancienneté dans la structure pour critiquer toute décision propre à reconstituer un collectif de travail efficient. Il ressort également des pièces du dossier et notamment du rapport d'inspection de l'unité éducative d'hébergement collectif de Perpignan de l'inspection générale de la justice, du mois de juillet 2020, que M. B..., en poste depuis 2001 dans ce service, a participé à l'ambiance délétère de l'unité en se montrant inaccessible à toute remise en cause personnelle au découragement de l'effectif en se montrant rétif à tout changement et en prônant le retour aux méthodes instaurées sous les directions précédentes. Dès lors, la décision prononçant sa mutation d'office, qui s'appuie sur les recommandations prescrites par le rapport de l'inspection générale de la justice, repose sur des considérations tirées de l'intérêt du service et ne matérialise pas l'intention de l'administration de lui infliger une sanction. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse procèderait d'un détournement de pouvoir et de procédure et constituerait une sanction déguisée doit être écarté.
7. En deuxième lieu et pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d'être exposés et nonobstant le fait que M. B... se prévale d'une évaluation professionnelle en 2017 qu'il regarde comme favorable, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 28 mai 2021 procèderait d'une erreur manifeste dans l'appréciation de l'intérêt du service.
8. En troisième lieu et aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984, désormais codifié aux articles L. 512-18 et L. 512-19 du code général de la fonction publique : " Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et sous réserve des priorités instituées à l'article 62 bis, les affectations prononcées tiennent compte des demandes formulées par les intéressés et de leur situation de famille ". Ces dispositions prévoient la prise en considération de la situation de famille des fonctionnaires pour leurs mutations, y compris lorsque l'autorité compétente décide de la mutation d'un fonctionnaire dans l'intérêt du service.
9. Il ressort des pièces du dossier que par l'arrêté attaqué, le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé la mutation dans l'intérêt du service de M. B..., alors affecté à l'unité éducative d'hébergement collectif de Perpignan, à l'unité éducative d'activités de jour de Toulouse à compter du 1er juillet 2021. L'intéressé, qui est célibataire et indique élever seul son enfant de 14 ans, a été reconnu travailleur handicapé le 6 septembre 2019. Il ne justifie par aucun élément ni que son enfant, scolarisé en internat à Nîmes, et lui-même ne pourraient pas s'installer plus près de sa nouvelle affectation, ni que son affectation en unité de jour ne serait pas compatible avec son handicap. En outre, les circonstances ainsi évoquées ne sauraient suffire à faire regarder l'arrêté attaqué, pris dans l'intérêt du service, comme portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré de la violation des stipulations de cet article doit dès lors être écarté tout comme celui tiré de la méconnaissance des dispositions du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 précité.
10. En quatrième et dernier lieu, M. B... reprend en appel le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en raison de ce que sa mutation aurait été décidée en raison de son handicap, sans assortir ce moyen d'argument nouveau ou de critique utile du jugement. Il convient d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani Laclautre, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
Le président rapporteur,
É. C...
Le président-assesseur,
P. BentolilaLa greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23TL00382 2