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28/05/2024 | FRANCE | N°22TL21323

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 28 mai 2024, 22TL21323


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le préfet de l'Aude a déféré, en application de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, au tribunal administratif de Montpellier la société à responsabilité limitée Au Petit Marché, M. D... E... et M. B... C... comme prévenus d'une contravention de grande voirie, prévue et réprimée par les articles L. 2132-2 et L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques, et demandé à ce tribunal de les condamner au paiement d'une amende de 12 000

euros au titre de l'action publique et au versement d'une somme de 200 euros au titre des fr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de l'Aude a déféré, en application de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, au tribunal administratif de Montpellier la société à responsabilité limitée Au Petit Marché, M. D... E... et M. B... C... comme prévenus d'une contravention de grande voirie, prévue et réprimée par les articles L. 2132-2 et L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques, et demandé à ce tribunal de les condamner au paiement d'une amende de 12 000 euros au titre de l'action publique et au versement d'une somme de 200 euros au titre des frais de procès-verbal.

Par un jugement n° 1701632 du 14 avril 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a condamné la société Au Petit Marché au paiement d'une amende de 10 000 euros et M. E... et M. C..., ses gérants, à une amende de 5 000 euros chacun. Par ce même jugement, il a mis à la charge de cette société une somme de 200 euros au titre des frais d'établissement du procès-verbal.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juin 2022, la société Au Petit Marché, M. E... et M. C..., représentés par Me Reche, doivent être regardés comme demandant à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 avril 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) à titre principal, de les relaxer des poursuites engagées à leur encontre ;

3°) à titre subsidiaire de réformer le jugement attaqué en tant qu'il condamne MM. E... et C... au paiement d'amendes de 5 000 euros et fixe à 10 000 euros le montant de l'amende à laquelle la société Au Petit Marché a été condamnée et de ne condamner que cette société au paiement d'une amende dont le montant devra être modulé.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire et du droit à un procès équitable dès lors que le magistrat désigné par le président du tribunal a poursuivi et condamné les deux personnes physiques sans que celles-ci aient été mises en cause ni les avoir invitées à présenter leurs observations sur ce point ;

- l'action publique était prescrite à la date à laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a statué ;

- la notification des poursuites est intervenue dans des conditions irrégulières dès lors que le procès-verbal d'infraction n'a pas été notifié à l'ensemble des contrevenants, le préfet de l'Aude ayant adressé un courrier unique de notification de sorte que seule la notification opérée auprès de la société Au Petit Marché peut être regardée comme étant régulièrement intervenue ;

- la matérialité des faits et leur imputabilité ne sont pas établies ;

- à titre subsidiaire, le montant des amendes est disproportionné au regard de leurs capacités financières et de l'ancienneté des faits, la société Au Petit Marché ayant procédé à la remise en état du site et ayant régularisé les manquements relevés par les services de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude ;

- le montant cumulé des amendes auxquelles la société Au Petit Marché a été condamnée par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier et par le tribunal judiciaire de Carcassonne excède le montant maximal de 12 000 euros susceptible de lui être infligé à raison des mêmes faits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le principe du contradictoire et le droit à un procès équitable n'ont pas été méconnus, les appelants ayant été informés dès le début de la procédure engagée à leur encontre ;

- l'action publique n'est pas prescrite ;

- le procès-verbal de contravention de grande voirie a été notifié à l'ensemble des contrevenants concernés dûment identifiés au moyen des étiquettes prélevées par les services de police ; en tout état de cause, le vice de procédure allégué est inopérant dès lors que la demande de l'autorité préfectorale présentée devant le tribunal a été notifiée aux contrevenants concernés ;

- la matérialité des faits de jet de matières insalubres ou polluantes dans le lit de l'Aude est établie au regard de la condamnation prononcée par le tribunal judiciaire de Carcassonne et du procès-verbal de contravention de grande voirie, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire ;

- les amendes en litige, qui auraient pu être d'un montant supérieur, sont parfaitement justifiées quant à leur principe et à leur montant eu égard à la gravité des faits commis ; elles poursuivent une finalité distincte de la sanction pénale prononcée par le tribunal judiciaire de Carcassonne.

Par une ordonnance du 11 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 13 juin 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'environnement ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme El Gani-Laclautre ;

- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un procès-verbal de contravention de grande voirie établi le 3 février 2017, un agent verbalisateur de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude a constaté la présence, dans le fleuve Aude, de déchets osseux et carnés composés de saucisses, d'ossements d'animaux, de carcasses et de cuisses de poulet. Les opérations d'évacuation, menées sur plusieurs jours, ont permis de ramasser des déchets d'un poids total de 460 kilogrammes et de retrouver plusieurs étiquettes permettant de remonter à l'auteur des dépôts. L'enquête de police ayant permis d'identifier que ces marchandises avariées avaient été acquises par la société Au Petit Marché, commerce de boucherie situé à Carcassonne, le préfet de l'Aude a déféré, en application de l'article L. 774-2 du code de justice administrative, la société Au Petit Marché, M. E... et M. C... comme prévenus d'une contravention de grande voirie, prévue et réprimée par les articles L. 2132-2 et L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques. Par une décision n° 1701632 du 14 avril 2022, dont la société Au Petit Marché, M. E... et M. C... relèvent appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier les a condamnés au paiement d'amendes au titre de l'action publique et au versement d'une somme de 200 euros au titre des frais exposés pour l'établissement du procès-verbal précité.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ". L'article L. 5 du code de justice administrative dispose que : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ".

3. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Aude a notifié le procès-verbal d'infraction à la société Au Petit Marché et à MM. E... et C..., par ailleurs gérants de cette même société, par une lettre commune du 7 février 2017. Cette lettre recommandée avec accusé de réception, qui mentionne l'identité de cette personne morale et de ces deux personnes physiques, a été adressée au siège social de la société, situé rue Brillat Savarin à Carcassonne, ainsi que cela résulte de l'article 4 des statuts et de l'extrait dit " A... " produits devant le tribunal. Les intéressés en ont accusé réception le 8 février suivant. Par cette même lettre, l'autorité préfectorale les a informés qu'ils disposaient d'un délai de quinze jours pour présenter leur défense écrite et de la saisine du tribunal administratif de Montpellier. Par ces diligences, l'autorité préfectorale doit être regardée comme ayant régulièrement notifié aux contrevenants le procès-verbal d'infraction et comme les ayant régulièrement mis à même d'assurer leur défense avant de saisir le tribunal le 6 avril 2017 aux fins de poursuites de la contravention de grande voirie en litige. Il ressort de la procédure suivie devant le tribunal que cette procédure a été communiquée, le 18 avril suivant, en leur laissant un délai de quinze jours pour produire leurs observations, à MM. E... et C... ainsi qu'à la société Au Petit Marché, lesquels ont tous les trois eu la qualité de défendeurs devant le tribunal mais que seule la société a produit un mémoire en défense le 3 mai 2017, lequel a été communiqué au préfet de l'Aude le 4 mai 2017. Par ailleurs, les appelants ont également été destinataires d'une lettre d'information adressée par le tribunal en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, le 9 avril 2021, suivie d'une ordonnance de clôture d'instruction à effet immédiat du 9 mars 2022 et, enfin, d'un avis d'audience du 10 mars 2022, les informant que leur dossier serait appelé à l'audience du 31 mars suivant. Les appelants ayant été mis à même de connaître l'objet des poursuites dont ils faisaient l'objet et de présenter leurs observations, les moyens tirés de la méconnaissance du principe du contradictoire et du droit à un procès équitable manquent en fait et doivent, dès lors, être écartés.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

4. Aux termes de l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative ". L'article L. 2132-20 du même code dispose que : " La procédure des contraventions de grande voirie est régie par les dispositions du chapitre IV du titre VII du livre VII du code de justice administrative ".

5. Dans le cadre de la procédure prévue par les articles L. 774-1 à L. 774-13 du code de justice administrative, le contrevenant peut être condamné par le juge, au titre de l'action publique, à une amende ainsi que, au titre de l'action domaniale, à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l'enlèvement des installations. L'article L. 774-2 de ce code énonce que : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. (...) Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance ".

6. Il incombe aux autorités compétentes, en cas de manquement aux textes ayant pour objet la protection de l'intégrité ou de l'utilisation du domaine public, de dresser un procès-verbal constatant les faits, de notifier au contrevenant la copie de ce procès-verbal puis d'adresser l'acte de notification au juge des contraventions de grande voirie auquel il appartient de décider de la poursuite et de la répression de l'infraction, tant au titre de l'action publique que de l'action domaniale. Si cette obligation trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont ces autorités ont la charge, notamment dans les nécessités de l'ordre public, celles-ci ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative.

Sur la prescription de l'action publique :

7. Aux termes de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite. (...) ". Aux termes de l'article 9 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " En matière de contravention, la prescription de l'action publique est d'une année révolue ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article 7 ".

8. En vertu de l'article 9 du code de procédure pénale, l'action publique tendant à la répression des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. La prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin. En vertu de l'article 7 de ce code puis, à compter de l'entrée en vigueur de l'article 1er de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, de l'article 9-2 du même code, peuvent seules être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite de nature à interrompre la prescription en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel ou de se pourvoir en cassation. Ces actes d'instruction ou de poursuites interrompent la prescription à l'égard de tous les auteurs, y compris ceux qu'ils ne visent pas.

9. Il résulte de l'instruction que la présence des déchets osseux et carnés dans le lit de l'Aude, cours d'eau relevant du domaine public fluvial, a été constatée, pour la première fois, le 24 décembre 2016, à proximité de la station de captage d'eau potable de Maquens dans le cadre du service d'astreinte assuré par la direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude. Ces faits ont donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal d'infraction, le 3 février 2017, que le préfet de l'Aude a transmis au tribunal administratif de Montpellier, lequel l'a enregistré le 6 avril 2017. Il résulte de la procédure suivie devant le tribunal que cette procédure a été communiquée, le 18 avril 2017, aux appelants. Seule la société Au Petit Marché a produit un mémoire en défense le 3 mai 2017, lequel a été communiqué au préfet de l'Aude le 4 mai 2017, le mémoire de ce dernier, enregistré le 23 août 2017, ayant été communiqué le 5 septembre suivant. Il ressort également de la procédure devant le tribunal que le magistrat désigné a adressé aux parties plusieurs demandes de pièces pour compléter l'instruction, le 28 mai 2018, les 29 mai et 12 novembre 2019 et, en dernier lieu, le 14 septembre 2020, en vue d'obtenir la communication d'éléments relatifs à l'implication de la société Au Petit Marché dans les faits en litige, son extrait dit " A... " ainsi que l'état d'avancement de la procédure pénale. Des réponses ont été apportées à ces mesures d'instruction, les 13 juin 2018, 12 juin et 14 novembre 2019, 17 septembre 2020 et 25 janvier 2022. En outre, les faits en litige ont également donné lieu à une enquête judiciaire et à des poursuites pénales ayant abouti à la condamnation de la société appelante par un jugement correctionnel du tribunal judiciaire de Carcassonne du 8 décembre 2021. Enfin, le tribunal a adressé une lettre d'information aux parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, le 9 avril 2021, ainsi qu'un avis d'audience le 10 mars 2022. Le magistrat désigné par le président de ce tribunal a réprimé la contravention de grande voirie en litige par un jugement du 4 avril 2022 dont il a été relevé appel le 10 juin 2022.

10. Par la suite, il résulte de la procédure conduite devant la cour que cette requête a été communiquée au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales le 4 août 2022, qu'une mise en demeure a été adressée à ce défendeur le 7 février 2023, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et que deux ordonnances sont intervenues les 18 avril et 11 mai 2023 en vue de fixer la date de la clôture de l'instruction. Enfin, un avis d'audience a été adressé par la cour aux parties, le 29 mars 2024.

11. L'ensemble de ces mesures, constituées de mesures d'instruction qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs et d'un jugement, ont le caractère d'actes d'instruction ou de poursuites au sens des dispositions et du principe rappelés aux points 7 et 8, et sont, dans les circonstances de l'espèce, de nature à interrompre le délai de prescription à l'égard de tous les auteurs. Il résulte de ce qui précède qu'à la date du jugement attaqué, l'action publique n'était, contrairement à ce que soutiennent les appelants, pas prescrite et ne l'est, en tout état de cause, pas à la date du présent arrêt.

Sur la régularité des poursuites :

12. L'article L. 774-2 du code de justice administrative dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. (...) / La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. / Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance ".

13. Le préfet est tenu, dès qu'il est porté atteinte au domaine public, d'engager des poursuites à l'encontre de l'auteur de cette atteinte et ne peut le faire qu'en saisissant le tribunal administratif, juge de la contravention de grande voirie. Il résulte des dispositions de l'article L. 774-2 du code de justice administrative que ce juge, dès qu'il est saisi par une autorité compétente, doit se prononcer tant sur l'action publique que sur l'action domaniale, que lui soient ou non présentées des conclusions en ce sens. Eu égard aux particularités de son office, il doit vérifier, au besoin d'office, lorsque est soulevé un moyen tiré de l'irrégularité de la notification des poursuites, si la procédure n'a pas été régularisée par la saisine régulière du tribunal administratif par l'autorité compétente.

14. Si MM. E... et M. C... soutiennent ne pas avoir été destinataires du procès-verbal d'infraction fondant les poursuites et qu'aucune conclusion n'a été présentée à leur encontre par l'autorité poursuivante, il résulte toutefois de l'instruction que le préfet de l'Aude a notifié ce document de manière simultanée aux trois appelants par un envoi en lettre recommandée avec accusé de réception du 7 février 2017, dont il a été accusé réception le 8 février suivant. Par cette même lettre, qui comporte en pied de page l'identité des deux personnes physiques et de la personne morale poursuivies, l'autorité préfectorale a informé ces trois personnes poursuivies qu'elles disposaient d'un délai de quinze jours pour présenter leur défense écrite et de la saisine prochaine du tribunal administratif de Montpellier. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit au point 3, il résulte de l'instruction, en particulier des statuts de la société Au Petit Marché et de l'extrait A... produits devant le tribunal, que MM. E... et M. C... avaient la qualité de co-gérants de cette personne morale. Dans les circonstances de l'espèce, l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception mentionnant simultanément comme destinataires les trois appelants au siège social de la société Au Petit Marché doit être regardée comme ayant permis de notifier régulièrement le procès-verbal de contravention de grande voirie aux trois appelants.

15. Au demeurant, il résulte de la procédure suivie devant le tribunal que la procédure de contravention de grande voirie a été transmise par le préfet de l'Aude au tribunal le 6 avril 2017, lequel l'a notifiée tant à la société Au Petit Marché, qu'à M. E... et à M. C..., le 18 avril 2017 en qualité de défendeurs. Par suite, à supposer que la notification du procès-verbal de contravention de grande voirie ne puisse être regardée comme ayant été effectuée dans des conditions régulières, la procédure doit être regardée comme ayant été régularisée par la saisine du tribunal.

Sur le bien-fondé des poursuites :

16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sous peine de devoir remettre les lieux en état ou, à défaut, de payer les frais de la remise en état d'office par l'autorité administrative compétente : / 1° Jeter dans le lit des rivières et canaux domaniaux ou sur leurs bords des matières insalubres ou des objets quelconques ni rien qui puisse embarrasser le lit des cours d'eau ou canaux ou y provoquer des atterrissements ; (...). / Le contrevenant est également passible d'une amende de 150 à 12 000 euros ".

17. La personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention.

18. Il résulte de l'instruction, en particulier des mentions du procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 3 février 2017 par un agent assermenté de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude et qui font foi jusqu'à preuve du contraire, que, le 24 décembre 2016, un chef de service assermenté et commissionné et un cadre d'astreinte de cette direction ont constaté, sur une distance de huit mètres, la présence de déchets d'origine animale présentant une odeur nauséabonde enfouis dans le lit de l'Aude ou en suspension composés de saucisses, d'ossements d'animaux, de carcasses et de cuisses de poulet, le long du chemin rural n° 13 situé sur le territoire de la commune de Carcassonne et de la parcelle cadastrée section OW n° 284, à proximité de la station de captage d'eau potable de Maquens.

19. Les opérations d'évacuation de ces déchets, menées entre le 24 décembre 2016 et le 4 janvier 2017, d'abord à l'aide de deux plongeurs, puis en recourant à des moyens mécaniques consistant à déployer un filet flottant en aval de la zone de dépôt pour récupérer les éléments en suspension et à utiliser une pelle araignée équipée d'un godet percé, ont permis de collecter respectivement 100 et 460 kilogrammes de déchets carnés. La présence de ces déchets constitue la contravention prévue et réprimée par les dispositions précitées de l'article L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que parmi ces déchets, dont certains étaient emballés dans des sacs plastiques, se trouvaient des étiquettes comportant des numéros d'identification des lots et des marques de viande permettant d'en établir la traçabilité et d'identifier la société Au Petit Marché, commerce de boucherie implanté à Carcassonne dont MM. E... et M. C... sont les gérants, comme ayant fait l'acquisition des produits carnés en litige.

20. Les appelants soutiennent qu'ils avaient pour habitude soit de déposer leurs déchets dans des poubelles publiques adjacentes à leur local commercial, soit de les donner à des associations de chasseurs de sorte que rien ne permet d'établir ni la date des déversements en litige ni que la société Au Petit Marché en serait à l'origine. Ils précisent, ensuite, que l'absence de souscription de contrat de collecte et d'élimination des déchets issus de sous-produits animaux ou de produits dérivés ne permet pas de caractériser leur culpabilité. Toutefois, dans les circonstances particulières de l'espèce et alors que dans le cadre de la présente instance, les appelants se bornent, sans produire aucun élément probant tels que des documents comptables ou des factures de fournisseurs, à contester l'exactitude des faits établis par le procès-verbal d'infraction, dont les mentions font foi jusqu'à preuve du contraire et ne sont contredites par aucune des pièces du dossier, la présence de ces déchets doit leur être imputée, les numéros de lot et les marques figurant sur les étiquettes trouvées sur les lieux ayant permis de remonter à leur boucherie et l'inspection sanitaire de leur commerce réalisée le 31 janvier 2017 ayant, de surcroît, permis de relever qu'ils n'avaient toujours pas souscrit de contrat d'élimination des sous-produits animaux et de leurs produits dérivés, en dépit de la mise en demeure qui leur a été adressée de prendre les mesures correctives nécessaires par un courrier du 10 janvier précédent. Par ailleurs, en application du principe rappelé au point 17, MM. E... et C... doivent, en leur qualité de gérants de la société Au Petit Marché, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle employait d'autres salariés, être regardés comme étant les personnes sous la garde desquelles se trouvaient les déchets osseux et carnés à l'origine de l'atteinte portée à l'intégrité du domaine public fluvial, cette société étant la personne morale pour le compte de laquelle a été commise l'action.

21. Il résulte de ce qui précède que l'infraction prévue par les dispositions précitées de l'article L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques est matériellement constituée à l'égard des appelants.

22. En deuxième lieu, d'une part, aucune disposition applicable aux contraventions de grande voirie ne permet au juge administratif, dès lors qu'il a constaté la matérialité de ces infractions, de dispenser leur auteur de la condamnation aux amendes prévues par les textes et non frappées de prescription. Eu égard au principe d'individualisation des peines, il lui appartient cependant de fixer, dans les limites prévues par les textes applicables, le montant des amendes dues compte tenu de la gravité de la faute commise, qu'il apprécie au regard de la nature du manquement et de ses conséquences. Il ne saurait légalement condamner plusieurs prévenus solidairement au paiement de la même amende.

23. D'autre part, alors même que les dispositions précitées de l'article L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques ne prévoient pas de modulation des amendes, le juge, qui est le seul à les prononcer, peut toutefois, dans le cadre de ce contentieux répressif, moduler leur montant dans la limite du plafond prévu par la loi et du plancher que constitue le montant de la sanction directement inférieure, pour tenir compte de la gravité de la faute commise, laquelle est appréciée au regard de la nature du manquement et de ses conséquences.

24. Il résulte de l'instruction que les appelants ont, de manière réitérée, procédé au déversement de produits osseux et carnés dans le lit de l'Aude à proximité de la station de captage de Maquens, ces dépôts sauvages étant de nature à polluer l'eau de ce fleuve et à créer un risque sanitaire avéré. Compte tenu de la gravité et du caractère répété de tels agissements et dès lors que la société appelante constitue une personne morale distincte de ses gérants, c'est à bon droit que, dans les circonstances de l'affaire, le magistrat désigné par le président du tribunal a infligé une amende de 10 000 euros à la société Au Petit Marché, personne morale pour le compte de laquelle ont été commis les faits en litige, et modulé à 5 000 euros le montant des amendes auxquelles ont été condamnés ses gérants, personnes physiques sous la garde desquelles se trouvaient les déchets qui ont été la cause de la contravention, l'ancienneté des faits, la régularisation des manquements aux règles sanitaires relevés par les services vétérinaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de l'Aude et les capacités financières des contrevenants n'étant pas de nature à remettre en cause la gravité des agissements fautifs auxquels ils se sont livrés, lesquels étaient passibles d'une amende maximale de 12 000 euros qui a déjà fait l'objet d'une modulation par le premier juge.

25. En troisième et dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 173-8 du code de l'environnement : " Les personnes morales reconnues pénalement responsables dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal des infractions délictuelles prévues au présent code encourent, outre l'amende dans les conditions fixées à l'article 131-38 du code pénal, les peines prévues aux 1°, 3°, 4°, 5°, 6°, 8°, 9° et 12° de l'article 131-39 du même code ainsi que celle prévue au 2° de ce même article, qui, si elle est prononcée, s'applique à l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise ". L'article L. 216-6 du même code dispose que : " Le fait de jeter, déverser ou laisser s'écouler dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou des substances quelconques dont l'action ou les réactions entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune (...) est puni de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (...). / Ces mêmes peines et mesures sont applicables au fait de jeter ou abandonner des déchets en quantité importante dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, sur les plages ou sur les rivages de la mer (...) ".

26. D'autre part, aux termes de l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d'un montant plus élevé, l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal. / Dans tous les textes qui prévoient des peines d'amendes d'un montant inférieur ou ne fixent pas le montant de ces peines, le montant maximum des amendes encourues est celui prévu par le 5° de l'article 131-13. / Dans tous les textes qui ne prévoient pas d'amende, il est institué une peine d'amende dont le montant maximum est celui prévu par le 5° de l'article 131-13 ". Aux termes de l'article L. 2132-28 du même code : " Lorsqu'une amende réprimant une contravention de grande voirie peut se cumuler avec une sanction pénale encourue à raison des mêmes faits, le montant global des amendes éventuellement prononcées ne doit en aucun cas excéder le montant de la plus élevée des amendes encourues ".

27. Les faits de déversement de déchets d'origine animale dans le lit de l'Aude dont la matérialité est établie à l'égard de la société Au Petit Marché, ainsi qu'il a été dit aux points 16 à 21, constituent l'atteinte à l'intégrité du domaine public fluvial prévue et réprimée par les dispositions de l'article L. 2132-7 du code général de la propriété des personnes publiques par une amende de 150 à 12 000 euros à l'encontre du contrevenant. Il est constant qu'outre l'amende de 10 000 euros prononcée par le magistrat désigné par le tribunal administratif de Montpellier, cette même société a été condamnée par un jugement correctionnel rendu du tribunal judiciaire de Carcassonne du 8 décembre 2021 à une amende de 6 000 euros pour avoir jeté ou abandonné des déchets en quantité importante dans les eaux superficielles ou souterraines, faits prévus et réprimés par les dispositions précitées du troisième alinéa de l'article L. 216-6 du code de l'environnement par une amende de 75 000 euros. Toutefois, à supposer que ces deux sanctions soient regardées comme encourues à raison des mêmes faits, le montant global des amendes infligées à la société Au Petit Marché en répression de la contravention de grande voirie en litige et de l'infraction pénale mentionnée au point 24 n'excède, en tout état de cause, pas le montant de 75 000 euros, montant de la plus élevée des amendes encourues. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 2132-28 du code général de la propriété des personnes publiques doit être écarté.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la société Au Petit Marché, M. E... et M. C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Montpellier les a condamnés au paiement respectivement, d'une amende de 10 000 euros, 5 000 euros et 5 000 euros en répression de l'atteinte à l'intégrité du domaine public fluvial pour laquelle ils étaient poursuivis.

DÉCIDE:

Article 1 : La requête de la société Au Petit Marché, de M. E... et de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Au Petit Marché, à M. D... E..., à M. B... C... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude - Direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.

La rapporteure,

N. El Gani-LaclautreLe président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21323


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21323
Date de la décision : 28/05/2024
Type de recours : Contentieux répressif

Analyses

24-01-03-01 Domaine. - Domaine public. - Protection du domaine. - Contraventions de grande voirie.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Nadia El Gani-Laclautre
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS TARLIER - RECHE - GUILLE MEGHABBAR

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-05-28;22tl21323 ?
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