Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier d'Avignon à lui verser la somme de 43 756,25 euros en réparation de ses préjudices résultant de sa prise en charge au service des urgences de cet établissement le 7 août 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2019 et capitalisation des intérêts à compter du 10 décembre 2020, et de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Le pôle inter-caisses de Gap a demandé la condamnation du centre hospitalier d'Avignon à lui verser la somme de 53 916,30 euros en remboursement des débours exposés pour le compte de son affilié et de ses frais futurs, avec intérêts de droit du jour de la demande, la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi que la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2001114 du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Nîmes a condamné le centre hospitalier d'Avignon à verser à M. A... la somme de 17 653 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2019 et capitalisation à compter du 10 décembre 2020, et la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Maury renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, au pôle inter-caisses de Gap la somme de 542,15 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2020 ainsi que la somme de 180,72 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et celle de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 2 mai 2022 et le 10 février 2023, M. B... A..., représenté par Me Maury, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 11 mars 2022 en ce qu'il a limité l'indemnisation qui lui est due à la somme de 17 789,50 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier d'Avignon à lui verser la somme de 35 277,13 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2019 et capitalisation des intérêts à compter du 10 décembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon au profit de son conseil la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
S'agissant de l'assistance par tierce personne :
- le taux horaire de 13 euros est notoirement insuffisant, notamment pour la période post-consolidation et a fortiori pour l'avenir ; un taux horaire de 16 euros doit être retenu, lequel doit être porté à 22 puis 23 euros pour les années 2022 et 2023 ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les besoins d'assistance depuis la consolidation ne devaient être pris en charge qu'à hauteur du tiers ; seul le taux de perte de chance de 50% déterminé par les experts doit être pris en compte dès lors que ces besoins d'assistance trouvent exclusivement leur origine factuelle dans le déficit induit par le retard de prise en charge ;
- l'indemnité qui lui est due au titre de ce poste de préjudice s'élève à 18 227,13 euros, après application du taux de perte de chance ;
S'agissant du préjudice professionnel :
- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande au titre de l'incidence professionnelle alors que son état séquellaire le rend inapte à la pratique de son activité correspondant à sa formation et son parcours ;
- une indemnité de 10 000 euros doit lui être accordée à ce titre.
Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2023, la caisse centrale de sécurité sociale des Hautes-Alpes a indiqué ne pas intervenir dans l'instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2023, le centre hospitalier d'Avignon, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête de M. A....
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par ordonnance du 25 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 février 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 24 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 août 2015, M. A..., âgé de 57 ans, s'est présenté au service des urgences du centre hospitalier d'Avignon (Vaucluse) après avoir ressenti une douleur à la cheville gauche pendant quelques jours puis le matin même, au lever, une douleur aiguë et un craquement entraînant une impotence immédiate. Il a été orienté par ce service vers son médecin traitant, qui lui a prescrit une échographie et une radiographie de cette cheville, lesquelles ont révélé une rupture du tendon d'Achille. Il a bénéficié d'une intervention chirurgicale dans un établissement privé de soins le 15 décembre 2015 à la suite de laquelle il a développé une infection profonde, conduisant à une seconde intervention chirurgicale le 12 avril 2016 au centre hospitalier universitaire de Nîmes. Par ordonnances des 27 mars 2017 et 29 janvier 2018, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Avignon a ordonné une expertise médicale au contradictoire notamment du centre hospitalier d'Avignon. Le rapport d'expertise a été déposé le 28 juin 2019. M. A..., qui a estimé que l'offre d'indemnisation à hauteur de 10 100 euros présentée par l'assureur du centre hospitalier d'Avignon était insuffisante, a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 43 756,25 euros en réparation de ses préjudices résultant du retard à diagnostiquer la rupture de son tendon d'Achille. M. A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nîmes du 11 mars 2022, en tant qu'il a limité l'indemnisation qui lui est due à la somme de 17 789,50 euros, et demande la condamnation du centre hospitalier d'Avignon à lui verser la somme totale de 35 277,13 euros, augmentée des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts.
Sur la responsabilité du centre hospitalier :
2. Le jugement attaqué a retenu que le centre hospitalier d'Avignon avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, consistant en un défaut de prise en charge ayant occasionné un retard manifeste de diagnostic à l'origine d'une perte de chance de 50% d'éviter les dommages que M. A... a subi ultérieurement. Le jugement n'est pas contesté sur ce point.
Sur les préjudices :
3. M. A... conteste seulement le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée par le tribunal au titre de l'assistance par tierce personne ainsi que le rejet de sa demande présentée au titre du préjudice professionnel.
En ce qui concerne l'assistance par tierce personne :
4. Lorsque le juge administratif indemnise la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, il détermine d'abord l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il fixe, ensuite, le montant de l'indemnité qui doit être allouée par la personne publique responsable du dommage, en tenant compte des prestations dont, le cas échéant, la victime bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. A ce titre, il appartient au juge, lorsqu'il résulte de l'instruction que la victime bénéficie de telles prestations, de les déduire d'office de l'indemnité mise à la charge de la personne publique, en faisant, si nécessaire, usage de ses pouvoirs d'instruction pour en déterminer le montant.
5. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport des experts désignés par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Avignon, que l'état de santé de M. A... a nécessité l'assistance d'une tierce personne non spécialisée, dont il a indiqué qu'elle lui avait été apportée par un voisin, à raison de 3 heures par semaine entre les 7 août et 15 décembre 2015, date de son opération de construction du tendon, soit pendant 18 semaines, puis à raison de la même quotité jusqu'à la date de consolidation fixée au 12 décembre 2016, soit pendant 45 semaines après déduction d'une période de 7 semaines non imputable aux différents manquements relevés dans sa prise en charge. En tenant compte de la valeur moyenne du salaire minimum interprofessionnel de croissance sur la période considérée, augmentée des charges sociales incombant à l'employeur, du coût des congés payés et de la majoration pour dimanche et jours fériés, il sera fait une juste appréciation du préjudice qui a résulté pour M. A... du besoin d'une aide non spécialisée par une tierce personne en l'indemnisant selon un taux horaire de 13 euros. M. A... n'apporte aucun élément de nature à justifier que le coût de cette assistance devrait être déterminé à un taux supérieur, estimé selon lui à 16 euros. Par suite, le préjudice subi par M. A... résultant de l'assistance par tierce personne au titre de la période allant du 7 août 2015 au 12 décembre 2016 doit être évalué, compte-tenu du taux de perte de chance de 50%, à la somme de 1 579,50 euros, telle que fixée par les premiers juges.
6. Les experts ont évalué à 1,5 heure par semaine les besoins en tierce personne de M. A... à compter de la consolidation de son état de santé fixée au 12 décembre 2016. Ainsi que l'expose le requérant, l'indemnisation qui lui est due doit être calculée au regard du seul taux de perte de chance de 50% retenu tant par les experts que par les premiers juges. Par suite, sur une base horaire de 13 euros et d'une durée annuelle de 412 jours pour tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, le montant auquel peut prétendre M. A... jusqu'à la date du présent arrêt, au titre des frais d'assistance par tierce personne peut être évalué à la somme de 4 260,75 euros, compte-tenu du taux de perte de chance. Au titre de la période future, il y a lieu de retenir un taux horaire actualisé de 14 euros. Le montant annuel des frais d'assistance doit, par suite, être fixé à 1 235,85 euros. Compte tenu du barème de capitalisation publié par la Gazette du Palais actualisé en 2022 et de l'âge de M. A... à la date du présent jugement, en l'occurrence 66 ans, le coefficient de capitalisation d'une rente viagère s'établit à 20,511. En conséquence, et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'une aide financière aurait été octroyée à M. A... à ce titre, le montant s'élève à la somme de 12 674,26 euros, compte-tenu du taux de perte de chance.
7. Il résulte de ce qui précède que le montant total de l'indemnisation due à M. A... au titre de l'assistance par tierce personne doit être porté à la somme de 18 514,51 euros.
En ce qui concerne le préjudice professionnel :
8. Il résulte de l'instruction, que M. A..., électricien de formation, avait cessé toute activité professionnelle avant la survenue du dommage le 7 août 2015. S'il a fait état, lors des opérations d'expertise, d'un projet d'association avec d'autres artisans qui n'a pu aboutir du fait de son état de santé, il ne justifie de la réalité de ce projet qu'il aurait été empêché de mener à bien que par la seule production d'une attestation sommaire rédigée par un chef d'entreprise le 8 novembre 2019, laquelle se borne à évoquer la préparation de statuts en vue de la création d'une société de construction de maisons clefs en main et de rénovation d'habitations et l'absence de concrétisation de ce projet commun à la suite des soucis de santé et du handicap physique de M. A.... Ce seul document n'est pas de nature à établir l'existence d'un préjudice professionnel réel, direct et certain. Par suite, la demande présentée à ce titre par M. A... à hauteur de la somme de 10 000 euros doit être rejetée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que la somme que le tribunal administratif de Nîmes lui a allouée en réparation de ses préjudices soit portée de 17 789,50 euros à 25 564,51 euros, compte-tenu des sommes non contestées accordées par le tribunal à hauteur de 7 050 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. M. A... a droit aux intérêts sur l'indemnité mentionnée au point 9, à compter du 10 décembre 2019, date de réception de sa demande préalable par le centre hospitalier d'Avignon, et à la capitalisation des intérêts à compter du 10 décembre 2020.
Sur les frais liés au litige :
11. M. A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Avignon le versement à Me Maury, conseil de M. A..., d'une somme de 1 500 euros, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnité que le centre hospitalier d'Avignon a été condamné à verser à M. A... est portée à 25 564,51 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2019 et de leur capitalisation à compter du 10 décembre 2020.
Article 2 : Le centre hospitalier d'Avignon versera à Me Maury, conseil de M. A..., une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de ce conseil au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le jugement n° 2001114 du tribunal administratif de Nîmes du 11 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au centre hospitalier d'Avignon, à la caisse centrale de sécurité sociale des Hautes-Alpes et à Me Maury.
Délibéré après l'audience du 23 avril 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22TL21076 2