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12/03/2024 | FRANCE | N°22TL00711

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 12 mars 2024, 22TL00711


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze à lui verser la somme de 61 391 euros en réparation de ses préjudices résultant d'une intervention chirurgicale subie le 15 octobre 2015 et de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze aux dépens, y compris les frais d'expertise, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affec

tions iatrogènes et des infections nosocomiales au règlement de la somme correspondant...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze à lui verser la somme de 61 391 euros en réparation de ses préjudices résultant d'une intervention chirurgicale subie le 15 octobre 2015 et de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze aux dépens, y compris les frais d'expertise, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au règlement de la somme correspondant à la part de l'indemnité qui excéderait l'obligation du centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze et de mettre à la charge du centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1904098 du 27 décembre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes, mis à sa charge définitive les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros et mis à sa charge une somme de 1 500 euros, à verser au centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 février 2022, sous le n°22MA00711 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 22TL00711, Mme D..., née A..., représentée par Me Josserand, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 décembre 2021 du tribunal administratif de Nîmes ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze à lui verser la somme de 126 090 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis résultant d'une intervention chirurgicale du 15 octobre 2015 ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze aux dépens, en ce compris les frais d'expertise ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, entaché d'erreur de droit, de dénaturation des pièces du dossier et d'erreur manifeste d'appréciation, est irrégulier ;

- le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze a manqué à son obligation d'information médicale, ce qui lui a fait perdre une chance de se soustraire au risque de complications qui s'est réalisé ;

- le montant de ses préjudices doit être évalué à la somme de 126 090 euros, répartie comme suit :

* 831 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

* 4 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, fixé à 2 % par l'expert ;

* 6 000 euros au titre des souffrances endurées, évaluées à 3 sur 7 par l'expert ;

* 800 euros au titre du préjudice esthétique temporaire évalué à 1,5 sur 7 par l'expert ;

* 1 200 euros au titre du préjudice esthétique permanent évalué à 1 sur 7 par l'expert ;

* 16 400 euros au titre du préjudice d'impréparation, comprenant 14 400 euros au titre de la privation d'un revenu complémentaire assurantiel d'octobre 2015 à octobre 2019 ;

* 1 500 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* 95 359 euros au titre de la perte de gains professionnels passés et futurs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2022, le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze, représenté par la SARL Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- sa responsabilité pour manquement à son obligation d'information ne saurait être engagée ;

- Mme D... aurait consenti en toute hypothèse à l'intervention et n'a donc subi aucune perte de chance ;

- à titre subsidiaire, le taux de perte de chance ne saurait excéder 10 % ;

- à titre infiniment subsidiaire, les sommes réclamées par la requérante en réparation de ses préjudices ne sont pas justifiées ou sont excessives et devront être ramenées à de plus justes proportions.

Par une ordonnance du 20 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 avril 2023.

Mme D... née A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., à laquelle a été diagnostiquée une entorse avec rupture du ligament scapho-lunaire de la main droite résultant d'un traumatisme subi le 8 octobre 2015, a fait l'objet, le 15 octobre 2015, lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze (Gard), d'une stabilisation scapho-lunaire par la pose de deux broches en percutané. A la suite de cette intervention, elle a ressenti de vives douleurs au pouce. Elle a subi une seconde intervention chirurgicale dans un établissement privé à Nîmes, le 27 octobre 2015, au cours de laquelle il a été constaté qu'une broche avait endommagé une branche sensitive du nerf radial. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze à lui verser la somme de 61 391 euros en réparation des préjudices résultant de l'intervention chirurgicale subie le 15 octobre 2015 en raison d'un défaut d'information sur le fondement de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1904098 du 27 décembre 2021, dont Mme D... relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a notamment rejeté cette demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Pour demander l'annulation du jugement attaqué, Mme D... ne peut donc utilement se prévaloir de la dénaturation des pièces du dossier, d'erreur de droit, ou d'erreur manifeste d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dans sa version en vigueur à la date de la prise en charge de Mme D... : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. /Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. /(...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ".

4. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

5. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

6. Ainsi que l'a justement rappelé le tribunal, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise du docteur C..., praticien hospitalier, en date du 12 avril 2018 et de sa réponse aux dires de Mme D... en date du 18 septembre 2018 que l'arthrodèse scapho-lunaire réalisée le 15 octobre 2015, opération qui consiste à bloquer temporairement l'articulation du poignet par des broches introduites en percutané le temps de la cicatrisation du ligament endommagé, était une intervention adaptée à la lésion traumatique de Mme D..., qui lui causait d'importantes douleurs, résistantes aux antalgiques prescrits, et qu'elle a été réalisée dans les règles de l'art. L'expert a précisé que l'intervention donnait globalement de bons résultats pour ce type de lésion dans une proportion de 70 à 90% et que la technique percutanée était parfaitement valide pour la lésion présentée, les autres techniques n'ayant pas forcément montré leur supériorité en termes de résultats. L'introduction d'une des broches a toutefois accidentellement lésé une branche sensitive dorsale du nerf radial, cette complication étant imprévisible puisqu'il n'est pas possible de repérer le trajet des filets nerveux sensitifs sous-cutanés dont le diamètre se mesure en millimètres. Cette lésion nerveuse a entraîné principalement des douleurs post-opératoires, des troubles de la sensibilité et des paresthésies de la main opérée. La lésion nerveuse et l'algodystrophie de la patiente sont donc en lien direct et certain avec l'acte de soins du 15 octobre 2015.

7. Pour apporter la preuve de ce qu'il a satisfait à son obligation d'information, le centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze a produit aux débats dès la première instance un document comportant 4 pages, intitulé " passeport pour l'hospitalisation en chirurgie ", renseigné le 12 octobre 2015 par le chirurgien, qui porte en première page les nom, prénom et date de naissance de la requérante, et qui l'informe de la nature de l'opération envisagée, à savoir un embrochage scapho-lunaire du poignet droit. Au titre des risques particuliers encourus, ce document mentionne en page 3 notamment le risque d'algodystrophie. Il est précisé, en page 4 de ce document, laquelle comporte une signature dans l'encadrement dédié à celle du patient, dans une partie intitulée " consentement éclairé ", que toute intervention chirurgicale comporte un certain pourcentage de complications et de risques non toujours prévisibles, en particulier neurologiques. Mme D... persiste en appel à soutenir qu'elle n'a pas signé ce document. Cependant, si la partie " consentement éclairé " n'est pas renseignée de son nom, celui-ci avait déjà été indiqué en page 1 du document ainsi que la nature de l'intervention proposée. Si Mme D... évoque l'absence de similarité entre la signature figurant sur ce document " passeport pour l'hospitalisation en chirurgie " et celle apposée sur le document également signé le 12 octobre 2015 relatif à la désignation d'une personne de confiance, cette différence, au demeurant minime, peut trouver une explication dans le fait que l'intéressée a signé ces documents de sa main droite traumatisée ou de sa main gauche. Quant à la signature apposée sur le document intitulé " passeport pour l'hospitalisation en chirurgie ", elle est, ainsi que l'a jugé le tribunal, semblable à celle figurant sur sa carte nationale d'identité. Dans ces conditions, la signature apposée sur le document produit aux débats doit être regardée comme la sienne et la patiente comme ayant été informée de plusieurs risques particuliers connus de l'intervention proposée mais également du risque de complications neurologiques propre à toute intervention.

8. A supposer même que l'hôpital aurait manqué à son obligation d'information médicale en ne spécifiant pas, dans le document précité, un risque particulier de lésion du nerf radial, il résulte de l'instruction, d'une part, que le traumatisme subi à la main droite par Mme D... était particulièrement invalidant puisqu'elle est droitière et exerçait un métier manuel et d'autre part, qu'il avait également provoqué des douleurs résistantes aux traitements médicamenteux et à l'immobilisation par attelle prescrits les 9 et 10 octobre 2015, rendant d'autant plus nécessaire et urgente l'intervention qui a été pratiquée, même en dehors de tout risque vital. Il résulte également de ce qui a été dit au point précédent que Mme D... a accepté les autres risques, dont le risque de complications neurologiques propre à toute intervention ainsi que celui d'algodystrophie, donc de douleurs chroniques du membre, qui est en l'espèce la principale doléance qu'elle a formée devant l'expert. Si la requérante souligne les risques inhérents à une intervention à l'aveugle, l'expert a toutefois précisé que cette technique à l'aveugle ne consistait pas en une pose au hasard des broches, celles-ci étant introduites dans les os au moyen d'un moteur sous contrôle de la scopie. Dès lors et eu égard au fait que l'expertise n'évoque aucune alternative thérapeutique à l'intervention chirurgicale réalisée, il résulte de l'instruction que Mme D... n'aurait pas renoncé à celle-ci si elle avait été informée, en plus des risques anesthésiques, infectieux, d'algodystrophie et de complications neurologiques, du risque particulier de lésion du nerf radial, laquelle peut causer des troubles de la sensibilité. Dès lors, à supposer même que le centre hospitalier aurait à cet égard manqué à son obligation d'information, Mme D... ne peut être regardée comme ayant perdu une chance de se soustraire au risque de complication qui s'est réalisé.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande principale tendant à condamnation du centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze à réparer ses préjudices.

Sur les frais d'expertise :

10. En application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les frais et honoraires de l'expertise du docteur C..., liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros, sont laissés à la charge définitive de Mme D....

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les frais et honoraires de l'expertise du docteur C..., liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros sont laissés à la charge définitive de Mme D....

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au centre hospitalier de Bagnols-sur-Cèze.

Délibéré après l'audience du 27 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

T. Teulière

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL00711


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL00711
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: M. Thierry TEULIÈRE
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;22tl00711 ?
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