Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier :
1°) d'annuler la décision du 26 février 2020 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) " Baptiste Pams " a prononcé à son encontre une sanction de révocation à compter du 18 mars 2020 ;
2°) d'enjoindre à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " de la réintégrer dans ses fonctions et de procéder à la reconstitution de sa carrière à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " à lui verser une somme totale de 14 800 euros en réparation des préjudices financier et moral qu'elle estimait avoir subis résultant de l'illégalité de sa révocation.
Par un jugement n° 2002469 du 18 novembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2022, sous le n° 22MA00224 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 22TL00224, et un mémoire enregistré le 16 janvier 2024, Mme C... B..., représentée par Me Manya, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 18 novembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 février 2020 par lequel la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " a prononcé à son encontre une sanction de révocation à compter du 18 mars 2020 ;
3°) d'enjoindre à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de la réintégrer dans ses fonctions à compter du 18 mars 2020 avec reconstitution de sa carrière dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à lui verser une somme de 14 800 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la révocation prononcée ;
5°) de mettre à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'obtention déloyale des éléments de preuve dans le cadre de l'enquête administrative diligentée par l'établissement ;
- la décision de révocation est entachée d'illégalité en ce que l'administration a manqué à l'obligation de loyauté durant la réalisation de l'enquête administrative ;
- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie alors qu'elle a produit de nombreuses attestations de collègues ou de résidents venant contredire l'enquête administrative ;
- la décision de révocation présente un caractère disproportionné ;
- elle est fondée à demander la réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision ; la somme de 14 800 euros demandée est notamment justifiée par les méthodes employées par l'administration pour recueillir des éléments à charge à son encontre ;
- bien que non chiffrée, sa réclamation préalable était recevable.
Par des mémoires enregistrés les 21 novembre 2023, 11 et 23 janvier 2024, le dernier n'ayant pas été communiqué, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams ", représenté par Me Pons-Serradeil, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux entiers dépens.
Il fait valoir que :
- à titre principal, les conclusions indemnitaires sont irrecevables, le quantum de la somme réclamée n'étant pas explicité et en tout état de cause en l'absence de demande préalable chiffrée ;
- à titre subsidiaire, les faits reprochés constituent de graves manquements à l'obligation de bienveillance, de dignité et de respect au regard d'agissements de maltraitance et malveillance à l'encontre de plusieurs agents et résidents.
Par ordonnance du 11 janvier 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 26 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Manya, représentant Mme B..., et de Me Ruel substituant Me Pons-Serradeil, représentant l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams ".
Considérant ce qui suit:
1. Mme B..., qui exerçait des fonctions d'aide-soignante au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " de Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales) depuis le 1er février 2006, a été suspendue de ses fonctions par décision du 16 octobre 2019, à la suite de signalements d'actes de maltraitance commis sur des résidents. Par un arrêté du 26 février 2020, la directrice de l'établissement l'a révoquée de ses fonctions à compter du 18 mars 2020. Mme B... a formé un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté et présenté une demande indemnitaire non chiffrée par lettre du 23 avril 2020, rejetée le 26 mai 2020. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 26 février 2020 et de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " à lui verser une somme totale de 14 800 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de l'illégalité de sa révocation. Par un jugement rendu le 18 novembre 2021 dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen. Toutefois, tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté. Il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l'encontre de l'un de ses agents sur des pièces ou documents qu'il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie. Il appartient au juge administratif, saisi d'une sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'un agent public, d'en apprécier la légalité au regard des seuls pièces ou documents que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire pouvait ainsi retenir.
3. Il résulte de ce qui précède que si des pièces et documents doivent en principe être écartés des débats dès lors qu'ils ont été obtenus en méconnaissance de l'obligation de loyauté à laquelle l'employeur public est tenu vis-à-vis de ces agents, une telle méconnaissance n'a pas pour effet, en tant que telle, de vicier l'ensemble de la procédure.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du rappel à la règle dont a fait l'objet Mme B... le 15 octobre 2019 à la suite de propos violents qu'elle a tenus à l'encontre d'une collègue lors de la réunion du personnel qui s'était tenue la veille, la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " a été informée d'éléments concernant l'intéressée portant sur une suspicion de malveillance envers des résidents ainsi que des agents. La directrice de l'établissement a diligenté une enquête administrative qui a permis de recueillir les témoignages des 49 agents de l'établissement, tous métiers confondus. Mme B... soutient que son employeur aurait recueilli des éléments la concernant de manière déloyale, notamment en influençant les agents. Il ressort toutefois du questionnaire adressé aux agents dans le cadre de ladite enquête que celle-ci précise être menée dans le cadre de suspicions d'actes de malveillance et maltraitance commis au sein de l'établissement et consiste en une série de questions posées de manière générale afin de déterminer si les agents ont été confrontés au travail à l'une des situations indiquées au cours des trois dernières années, sans viser spécifiquement la requérante. Si Mme B... produit l'attestation d'un agent indiquant " avoir été influencé lors de la rédaction de l'enquête pour incriminer Mme B... de faits inexacts " sans autres précisions utiles, ce document ne permet pas à lui-seul de considérer que l'établissement aurait recueilli des témoignages la concernant en méconnaissance de l'obligation de loyauté. Si elle se prévaut ensuite de l'attestation établie le 4 mars 2020 par la mère de Mme A... indiquant que la requérante " n'a jamais fait de mal à (sa) maman et a toujours été professionnelle dans l'exercice de ses fonctions ", alors que la directrice de l'établissement a attesté que la famille A... s'était plainte de l'intéressée à la fin de l'année 2018 mais ne souhaitait plus témoigner, ce document rédigé dans des termes succincts n'est pas de nature à remettre en cause la déclaration de la directrice dudit établissement. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " a manqué à son obligation de loyauté dans l'administration de la preuve des faits reprochés.
5. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Selon l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / Premier groupe : L'avertissement, le blâme ; / Deuxième groupe : La radiation du tableau d'avancement, l'abaissement d'échelon, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / Troisième groupe : La rétrogradation, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans ; / Quatrième groupe : La mise à la retraite d'office, la révocation. (...) ".
6. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
7. Pour prendre la décision de révocation en litige, la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes s'est fondée sur les motifs tirés de ce que les résultats de l'enquête administrative ont révélé que Mme B... avait commis des actes de maltraitance vis-à-vis des résidents qui lui étaient confiés et qu'elle adoptait un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs collègues en les agressant physiquement et verbalement.
8. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'analyse statistique du retour de l'enquête administrative réalisée auprès du personnel de l'établissement à la fin de l'année 2019 que, sur les quarante-neuf agents auditionnés, trente-quatre d'entre eux ont déclaré avoir assisté à des violences ou menaces de violences physiques et des violences psychologiques sur eux-mêmes ou sur des résidents. Il est ainsi reproché à Mme B... de prendre régulièrement à partie ses collègues en les insultant et d'adopter des propos et de gestes violents à l'égard des résidents, notamment lors de la prise des repas ou lorsqu'elle les manipule. La décision attaquée mentionne en particulier que l'intéressée " a notamment forcé des résidents à manger, les a bousculés et les a tirés par le bras brutalement " et " a employé un vocabulaire inacceptable à l'encontre de plusieurs résidents (...) affirmant notamment " avance plus vite, dépêche-toi, mange... " " tu n'es pas de ma famille tu peux crever ", " tais-toi tu vas mourir bientôt ". Pour contester la valeur probante de cette enquête, Mme B... se prévaut de plusieurs témoignages en sa faveur de certains collègues et des familles de certains résidents, dont la plupart sont peu circonstanciés. Toutefois, si ces témoignages démontrent que son comportement répréhensible ne concernait pas l'ensemble de ses collègues et des résidents et qu'elle était appréciée de certains proches des résidents, ils ne sont pas de nature à remettre en cause l'exactitude des faits ressortant des autres témoignages recueillis au cours de l'enquête tels qu'analysés dans le document versé au dossier. Il ressort en outre du rapport établi devant le conseil de discipline, lequel a émis un avis favorable à la sanction prononcée par 7 voix contre 3, que les évaluations professionnelles de Mme B... de 2005 à 2012 font état d'un agent ne parvenant pas à se maîtriser dans son comportement et sa manière de communiquer, lesquels ont été jugés inadaptés au regard de ses fonctions et du travail en équipe. Si entre 2013 et 2016 la cadre de santé n'a pas fait état de ces éléments, en mettant en valeur son implication en matière d'organisation et sa disponibilité, l'évaluation de la nouvelle cadre de santé fait cependant état d'un comportement inadapté à ses fonctions avec une attitude pouvant déclencher des troubles du comportement chez les résidents. En outre, il ressort de l'avis de classement à auteur du procureur de la République du 7 octobre 2020, que l'intéressée a fait l'objet d'un rappel solennel que son comportement constitue une infraction punie par la loi, par un avertissement effectué par un délégué du procureur. Par suite, les faits reprochés à Mme B..., dont la réalité matérielle doit être regardée comme établie et qui constituent des manquements à l'obligation de bienveillance, de dignité et de respect des personnes prises en charge, sont fautifs et de nature à justifier une sanction disciplinaire.
9. Eu égard à la particulière gravité des faits commis par Mme B... à l'encontre d'un public vulnérable, alors même qu'aucune sanction n'avait été prononcée à son encontre depuis son recrutement en 2006, la sanction de révocation contestée ne présente pas un caractère disproportionné.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'indemnisation doivent être rejetées par voie de conséquence, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams ", qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Baptiste Pams ".
Délibéré après l'audience du 27 février 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.
La rapporteure,
A. Blin
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22TL00224 2