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05/03/2024 | FRANCE | N°22TL21446

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 05 mars 2024, 22TL21446


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 19 mars 2019 par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a refusé le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.



Par un jugement n° 1904812 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.



Procédur

e devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 23 juin 2022, et un mémoire, enregistré le 5 févr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision du 19 mars 2019 par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a refusé le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1904812 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 juin 2022, et un mémoire, enregistré le 5 février 2024 n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Pougault, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 31 mars 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 19 mars 2019 ;

3°) d'enjoindre au directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de rétablir le versement, à son bénéfice, des conditions matérielles d'accueil dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation ;

4°) de mettre à la charge de cet office une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'un vice de procédure, en raison de la méconnaissance de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence de preuve de la tenue d'un entretien d'évaluation de sa vulnérabilité dans les formes requises ; cette irrégularité l'a privé d'une garantie substantielle ;

- elle est entachée d'une incompétence négative et d'une méconnaissance de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'office, qui n'a pas procédé à un examen de sa situation particulière, a pris une mesure automatique ;

- elle est privée de base légale dès lors que les articles L. 744-8 et D. 744-37 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont contraires aux objectifs de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du 2° de l'article L. 744-8 et de l'article D. 744-37 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences qu'elle emporte sur sa situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par décision du 25 août 2022, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive (UE) 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Karine Beltrami.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 18 février 1983, de nationalité sénégalaise, est entré en France le 26 octobre 2018 et a déposé une demande d'asile 19 mars 2019. Par une décision du 19 mars 2019, le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil. M. A... a formé, le 18 avril 2019, un recours administratif à l'encontre de cette décision, qui a été implicitement rejeté par l'administration. M. A... relève appel du jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 19 mars 2019.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En premier lieu, la décision en litige du 19 mars 2019 cite les textes dont elle fait application et justifie le refus de bénéfice des conditions matérielles d'accueil par la circonstance, correspondant à celle visée au 2° de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que, sans motif légitime, M. A... avait présenté sa demande d'asile plus de 90 jours après son entrée en France. Cette décision énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est par conséquent suffisamment motivée au regard des exigences du deuxième alinéa de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut, dès lors, qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " À la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. / L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines. / L'évaluation de la vulnérabilité du demandeur est effectuée par des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ayant reçu une formation spécifique à cette fin. / (...) ".

4. M. A... soutient que la preuve de la tenue d'un entretien d'évaluation de sa vulnérabilité dans les formes requises par l'article L. 744-6 précité n'est pas rapportée. D'une part, contrairement à ce qu'allègue l'appelant, aucun élément ne permet d'affirmer que la copie d'écran, produite par l'administration, du formulaire renseigné pour évaluer ses besoins et pour déterminer sa vulnérabilité, ne constituerait qu'un document préparatoire. D'autre part, la seule circonstance que l'identité de l'agent qui a réalisé cet entretien ne figure pas sur cette copie d'écran, ne suffit pas à faire douter de la réalité de la formation spécifique suivie par cet agent. Enfin, si M. A... soutient qu'il n'est pas établi que l'entretien se soit tenu dans une langue qu'il comprend, il ne conteste cependant pas comprendre la langue française. Au demeurant, alors que sa vulnérabilité a été évalué à 0 sur une échelle allant de 0 à 3, il n'allègue aucun élément de nature à caractériser une situation de vulnérabilité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, il ne ressort ni de la motivation de la décision du 19 mars 2019 ni d'aucune autre pièce du dossier que l'Office français de l'immigration et de l'intégration aurait méconnu l'étendue de sa compétence en refusant automatiquement le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à M. A..., sans examiner sa situation personnelle. Alors que l'Office français de l'immigration et de l'intégration fait valoir que l'intéressé a bénéficié, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, de l'entretien personnel prévu par les dispositions de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la suite duquel sont évalués la vulnérabilité et les besoins particuliers des demandeurs d'asile, et produit un document le corroborant, M. A... n'apporte aucun élément tendant à démontrer qu'il n'aurait pas été tenu compte d'informations apportées quant à sa vulnérabilité ou ses besoins particuliers. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence négative et de la méconnaissance de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

6. En quatrième lieu, l'article 20 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 prévoit que : " (...) 2. Les États membres peuvent aussi limiter les conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils peuvent attester que le demandeur, sans raison valable, n'a pas introduit de demande de protection internationale dès qu'il pouvait raisonnablement le faire après son arrivée dans l'État membre / 5. Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l'article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les États membres assurent en toutes circonstances l'accès aux soins médicaux conformément à l'article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs. / (...) ".

7. Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2019 au 1er mai 2021 : " Outre les cas, mentionnés à l'article L. 744-7, dans lesquels il est immédiatement mis fin de plein droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil, le bénéfice de celles-ci peut être : (...) 2° Refusé si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d'asile ou s'il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2. (...) ". Aux termes du 3° du III de l'article L. 723-2 de ce code, alors en vigueur : " 3° Sans motif légitime, le demandeur qui est entré irrégulièrement en France ou s'y est maintenu irrégulièrement n'a pas présenté sa demande d'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de son entrée en France ; (...) ". Aux termes de l'article D. 744-37 de ce code, alors applicable : " Le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile peut être refusé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration : (...) 2° Si le demandeur, sans motif légitime, n'a pas présenté sa demande d'asile dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2 ; (...) ".

8. Contrairement à ce que soutient l'appelant, en prévoyant, à son article 20, différentes hypothèses de limitation des conditions matérielles d'accueil, la directive 2013/33UE du 26 juin 2013 a autorisé les États membres à édicter une législation prévoyant dans ces hypothèses de refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil au demandeur d'asile. À cet égard, compte tenu du cas de limitation des conditions matérielles d'accueil visé au paragraphe 2 de l'article 20 de la directive, le législateur national pouvait prévoir de refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil au demandeur d'asile qui, sans motif légitime, n'a pas présenté sa demande d'asile dans un délai raisonnable, estimé à plus de 90 jours à compter de son entrée en France. Par suite, le moyen tiré de ce que le 2° de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article D. 744-37 du même code seraient contraires aux objectifs de la directive précitée, ne peut qu'être écartée.

9. En cinquième lieu, M. A... soutient qu'il n'a pas sollicité l'asile dans le délai de 90 jours en raison de son isolement sur le territoire français sans aucune orientation et de son ignorance de la demande à effectuer. Toutefois, il ne justifie pas avoir entrepris, au cours des trois mois qui ont suivi son arrivée sur le territoire national, la moindre démarche pour se renseigner ou s'être heurté à des obstacles l'ayant empêché de connaître la procédure à suivre pour présenter sa demande d'asile. Dans ces conditions, dès lors que l'intéressé ne justifie pas d'un motif légitime, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, lui refuser, pour ce seul motif, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil

10. En sixième et dernier lieu, pour les motifs exposés aux points 4 et 9, la décision attaquée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur la situation de M. A....

1l. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 mars 2019 lui refusant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil comme demandeur d'asile.

Sur les conclusions accessoires :

12. M. A... n'étant pas fondé à demander l'annulation de la décision du 19 mars 2019, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21446


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21446
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-06-02


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : POUGAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;22tl21446 ?
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