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21/11/2023 | FRANCE | N°22TL21094

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 21 novembre 2023, 22TL21094


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 25 mars 2022 par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2200921 du 29 mars 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par

une requête, enregistrée le 5 mai 2022 et des pièces complémentaires, enregistrées le 17 août 2022...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 25 mars 2022 par lequel le préfet de l'Hérault lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2200921 du 29 mars 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 mai 2022 et des pièces complémentaires, enregistrées le 17 août 2022, M. C..., représenté par Me Bautes, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes du 29 mars 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 25 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, si besoin sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- en ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français, elle est insuffisamment motivée ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que la menace grave à l'ordre public n'est pas établie ; cette menace ne peut pas résulter de la seule inscription de son nom dans le fichier des personnes recherchées et dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour de l'étranger et du droit d'asile dès lors qu'il apporte la preuve de sa communauté de vie depuis 2019 avec Mme B... ;

- elle est entachée d'une erreur de fait s'agissant de sa présence en Syrie en juillet 2012 ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- en ce qui concerne la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, elle est insuffisamment motivée ;

- elle est dépourvue de base légale ;

- elle présente un caractère disproportionné ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences qu'elle emporte sur sa situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 13 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 juillet 2023 à 12 heures.

Par une décision du 16 décembre 2022, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé à M. C... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu le rapport de Mme Beltrami, première conseillère, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., de nationalité algérienne, né le 29 avril 1990, a fait l'objet d'un arrêté du 25 mars 2022 du préfet de l'Hérault portant obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, avec interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et fixant l'Algérie comme pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 29 mars 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut de motivation par adoption de motifs retenus à bon droit par le tribunal.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".

4. En application de l'article 95 de loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " Aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d'une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel destiné à évaluer certains aspects de la personnalité de cette personne. Aucune autre décision produisant des effets juridiques à l'égard d'une personne ou l'affectant de manière significative ne peut être prise sur le seul fondement d'un traitement automatisé de données destiné à prévoir ou à évaluer certains aspects personnels relatifs à la personne concernée. (...) ". Ainsi, pour établir l'atteinte à l'ordre public qui constitue le motif de l'obligation de quitter le territoire français adoptée en vertu du 5° de l'article L. 611-1 précité, l'administration ne peut se fonder sur les seules données recueillies dans un fichier automatisé. Ces données peuvent toutefois constituer un des éléments de son appréciation.

5. Pour considérer que le comportement de M. C... constituait du point de vue de l'ordre public et de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, le préfet s'est fondé sur son placement en garde à vue pour des faits de " faux et usage de faux " et sur son inscription au fichier des personnes recherchées au motif de son départ pour la Syrie en juillet 2012 pour combattre dans les rangs d'une organisation terroriste islamiste internationale susceptible de se déplacer en France ou à l'étranger et de son implication dans des actes susceptibles de troubler gravement l'ordre public.

6. Les faits de faux et d'usage de faux pour lesquels M. C... a été placé en garde à vue, n'ont cependant pas été établis par l'enquête de flagrance puisqu'ils ont donné lieu à un classement sans suite pour absence d'infraction. Il ressort d'ailleurs de l'enquête de flagrance que le brigadier de la police aux frontières de Sète a attesté aux enquêteurs de l'authenticité du passeport algérien présenté par le gardé à vue. S'agissant de l'interpellation sur le quai des chantiers à Agde, le 10 décembre 2021, d'un individu ayant remis un passeport italien paraissant être un faux au nom de Ritcini Adam et ayant pris la fuite, la main courante déposée par les agents de police ne permet cependant pas d'attester, avec certitude, que l'identité de cet individu serait celle de M. C.... D'ailleurs, ces faits n'ont donné lieu à aucune poursuite judiciaire. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'appelant ait fait l'objet d'une quelconque condamnation pénale à la date de la décision attaquée.

7. Cependant, le préfet se fonde également sur les motifs contenus dans les fiches de recherche dont M. C... fait l'objet. L'appelant, qui conteste s'être rendu en juillet 2012 en Syrie, produit lui-même une attestation de l'ambassade de Turquie en Algérie indiquant qu'il a bénéficié d'un visa d'entrée en Turquie délivré le 9 juillet 2012 et que son entrée sur le territoire turc a été enregistré le 26 juillet 2012. Ces faits accréditent les informations contenues dans la fiche de renseignement en ce qui concerne son entrée en Syrie en juillet 2012 après avoir transité par la Turquie. Dans les circonstances de l'espèce, l'inscription de l'appelant dans le fichier des personnes recherchées permet de caractériser la gravité et l'actualité de la menace à l'ordre public que faisait encourir le comportement de M. C... à la date de la décision attaquée. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, le dossier de demande de délivrance d'un titre de séjour n'était pas complet. Dès lors, l'administration ne peut être regardée comme étant, à cette date, saisie d'une demande de certificat de résidence. De plus, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent pas être invoquées par un ressortissant algérien dont la situation est entièrement régie par les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision attaquée au regard des articles L. 423-1 et L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut qu'être écarté.

9. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. À la date de la décision attaquée, M. C..., âgé de 32 ans, résidait irrégulièrement sur le territoire français. En outre, il est constant qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement prise par le préfet des Bouches-du-Rhône le 17 janvier 2014. Par ailleurs, s'il a épousé le 4 octobre 2021 une ressortissante française, il ne justifie pas par les pièces qu'il produit de la stabilité et de l'ancienneté de la communauté de vie. De plus, il fait état de l'état de santé de son épouse qui requiert au quotidien un aidant familial pour les activités courantes de la vie. Toutefois, le certificat médical sur lequel repose ce diagnostic est postérieur à la décision attaquée. Quant au certificat médical du 4 novembre 2020, il ne concerne pas l'épouse de l'appelant. Enfin, il ressort des déclarations de l'appelant qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où ses parents y résident. Quant à son intégration en France, l'appelant ne justifie ni de son insertion professionnelle ni de compétences ou de formations en lien avec un projet professionnel. Compte tenu de l'ensemble de ses éléments, et en particulier, du caractère récent de son mariage, le préfet de l'Hérault n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision prononçant une interdiction de retour pour une durée de trois ans :

11. En premier lieu, l'appelant n'établissant pas l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français serait privée de sa base légale.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L.612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

13. Pour interdire à M. C... de revenir sur le territoire français et fixer à trois ans la durée de cette interdiction, le préfet de l'Hérault s'est fondé sur l'obligation de quitter le territoire français sans délai prise le même jour à l'encontre de l'intéressé. Cette décision précise les éléments de droit sur lesquels elle se fonde en rappelant le contenu des dispositions de l'article L. 612-6 précité, et le fait que l'intéressé, qui déclare être arrivé en France pour la dernière fois le 16 mars 2022, se maintient en situation irrégulière malgré une précédente mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécuté, ne justifie pas avoir établi le centre de ses intérêts privés et familiaux en France et que son comportement représente une menace à l'ordre public. Dans ces conditions, la motivation de l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans prononcée à l'encontre de M. C... atteste de la prise en compte par le préfet de l'Hérault de l'ensemble des critères prévus par les dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.

15. En dernier lieu, M. C... dont le mariage avec une ressortissante française présentait un caractère récent, ne justifie pas de l'ancienneté et de la stabilité de la communauté de vie avec son épouse. Par ailleurs, il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et, pour les motifs exposés au point 7, son comportement représentait une menace grave et actuelle à l'ordre public. Dans ces conditions, l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans prononcée à l'encontre de l'appelant, n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation et ne présente pas un caractère disproportionné.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 25 mars 2022. Dès lors, sa requête doit être rejetée et il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21094


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21094
Date de la décision : 21/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : BAUTES GEORGIA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-11-21;22tl21094 ?
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