Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... et M. C... B... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté n° 2019-I-636 du 23 mai 2019 du préfet de l'Hérault portant institution de servitudes pour l'établissement à demeure de canalisations souterraines d'irrigation prévues par les articles L. 152-3 et suivants du code rural et de la pêche maritime dans le cadre de la tranche 3 du maillon Nord Gardiole-Biterrois du projet Aqua Domitia sur la commune de Poussan (Hérault) et de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°1904652 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande et mis à leur charge solidaire au profit de la société BRL une somme de 750 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 août 2021, sous le n°21MA03577 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL03577, et un mémoire, enregistré le 19 décembre 2022, Mme A... B... et M. C... B..., représentés par Me Mesans-Conti, demandent à la cour :
1°) d'infirmer le jugement en date du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté n° 2019-I-636 du 23 mai 2019 du préfet de l'Hérault portant institution de servitudes pour l'établissement à demeure de canalisations souterraines d'irrigation prévues par les articles L. 152-3 et suivants du code rural et de la pêche maritime dans le cadre de la tranche 3 du maillon Nord Gardiole-Biterrois du projet Aqua Domitia sur la commune de Poussan ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société BRL les dépens ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'arrêté contesté, qui ne donne aucune explication sur la raison pour laquelle l'administration institue une servitude, sur le tracé choisi ou la raison pour laquelle leurs parcelles doivent être assujetties à ladite servitude, est insuffisamment motivé ; c'est donc à tort que le tribunal a écarté ce moyen ;
- en ce qui concerne la qualité du bénéficiaire de la servitude, en l'absence de production de la convention de transfert de 2008 et de l'avenant de janvier 2010, les droits, obligations et l'étendue des compétences et prérogatives de la société BRL, en sa qualité de concessionnaire, ne sont pas établis ; le tribunal n'a pas répondu sur ce point ; la société concessionnaire ne produit aucun document permettant de vérifier que le contrat de concession et ses avenants lui permettent effectivement de recourir à l'instauration de la servitude querellée sans restrictions ;
- l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le tracé retenu, tortueux et anguleux, n'est pas rationnel mais créé un préjudice sur une multitude de parcelles, qu'ils ont proposé un tracé rectiligne plus approprié, supprimant les angulations et réduisant l'impact sur les propriétés privés, que le tracé choisi est en réalité motivé par des considérations financières et non techniques ; la société BRL n'a réalisé aucune investigation " in concreto " pour évaluer le bien-fondé du tracé retenu mais s'est uniquement fondée sur des considérations générales et les charges financières sans la moindre considération pour le bien-fondé du tracé du point de vue technique et sans souci de savoir si le tracé choisi était techniquement le plus judicieux et à même d'éviter l'instauration d'une servitude.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2021, la société d'économie mixte BRL, représentée par la SELARL Blanc-Tardivel, agissant par Me Tardivel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2021, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a informé la cour de la transmission de la requête des consorts B... au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, compétent eu égard à l'objet de l'arrêté préfectoral contesté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 18 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Soulier, représentant la société anonyme d'économie mixte BRL.
Considérant ce qui suit :
1. La région Occitanie, gestionnaire du réseau hydraulique régional, a entrepris le programme Aqua Domitia, consistant à connecter les réseaux alimentés par le Rhône et les réseaux alimentés par l'Hérault, l'Orb et l'Aude, afin de sécuriser les ressources en eau entre Montpellier et Narbonne. Elle en a confié la réalisation à la société anonyme d'économie mixte BRL. Le projet Aqua Domitia est composé de six secteurs géographiques fonctionnels et indépendants, dont le maillon " Nord Gardiole-Biterrois ". Par un arrêté du 23 mai 2019, le préfet de l'Hérault a institué des servitudes pour l'établissement à demeure de canalisations souterraines d'irrigation prévues par les articles L. 152-3 et suivants du code rural et de la pêche maritime dans le cadre de la tranche 3 du maillon " Nord Gardiole-Biterrois " du projet Aqua Domitia sur la commune de Poussan (Hérault) au profit de la société BRL, à la suite d'une demande de cette dernière en date 3 mai 2019. M. et Mme B..., propriétaires de deux parcelles n° AB24 et AB25 grevées par ces servitudes, ont demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de cet arrêté. Par un jugement n°1904652 du 15 juin 2021, dont ils relèvent appel, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte de l'instruction que le tribunal a répondu de manière détaillée au moyen des requérants tiré de l'erreur de droit dont serait entaché l'arrêté contesté du fait de l'absence de justification de la qualité de concessionnaire d'une collectivité publique de la société BRL au point 5 du jugement attaqué. Il n'était en revanche pas tenu de répondre, à peine d'irrégularité de son jugement, à l'argument de M. B... et Mme B... selon lequel l'étendue des prérogatives de cette société ne serait pas établie, en l'absence de production de la convention de transfert de biens conclue dans l'année 2008 et de l'avenant de janvier 2010 au traité de concession.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 152-3 du code rural et de la pêche maritime : " Il est institué au profit des collectivités publiques, et de leurs concessionnaires ainsi qu'au profit des établissements publics, une servitude leur conférant le droit d'établir à demeure, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l'exploitation présente et future, en vue de l'irrigation, des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. ". Aux termes de l'article R. 152-16 du même code : " Les personnes publiques définies à l'article L. 152-3 et leurs concessionnaires, à qui les propriétaires intéressés n'ont pas donné les facilités nécessaires à l'établissement, au fonctionnement ou à l'entretien des canalisations souterraines destinées à l'irrigation, peuvent demander et obtenir l'établissement de la servitude prévue audit article dans les conditions déterminées aux articles R. 152-2 à R. 152-15. ".
4. En premier lieu, ainsi que l'a relevé le tribunal, l'arrêté attaqué, pris en application des dispositions de l'article L. 152-3 du code rural et de la pêche maritime, et qui porte institution de servitudes sur les parcelles concernées, ne peut être regardé comme une décision individuelle dont la motivation s'imposerait en vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il n'avait donc pas à être motivé. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la compagnie nationale d'aménagement de la région du Bas-Rhône et du Languedoc, devenue depuis la société d'économie mixte BRL, s'est vu confier par l'Etat, par un décret du 14 septembre 1956, la réalisation et l'exploitation des ouvrages d'irrigation, de mise en valeur et de reconversion dans les départements du Gard, de l'Hérault et de l'Aude, bénéficiant pour ce faire d'une concession conclue pour une durée de 75 ans, et que la région Languedoc-Roussillon, devenue région Occitanie, a obtenu en 2008 le transfert de propriété des ouvrages hydrauliques concédés à la société BRL. En janvier 2010, un avenant au traité de concession a été signé, en corrélation avec l'extension du réseau hydraulique régional, prorogeant la concession accordée à la société BRL jusqu'en 2051, à la suite d'une délibération du conseil régional du 18 décembre 2009. Enfin, BRL est devenue une société d'économie mixte locale membre du service public régional de l'eau de la région Languedoc-Roussillon. En l'espèce, les consorts B... soutiennent que l'étendue des prérogatives de la société BRL n'est pas démontrée, en l'absence de production de la convention de transfert de biens conclue en 2008 entre l'Etat et la région et de l'avenant de janvier 2010 au traité de concession, et qu'ainsi, il n'est pas justifié de ce qu'elle peut bénéficier de la servitude litigieuse. Or, il résulte des dispositions citées au point 3 que la qualité de concessionnaire d'une collectivité publique permet de demander et d'obtenir l'établissement de la servitude prévue à l'article L. 152-3. M. B... et Mme B... ne contestent plus que la société BRL a bien la qualité de concessionnaire de la région et l'absence de production à l'instance de la convention de transfert de biens de 2008 conclue entre l'Etat et la région et de l'avenant de janvier 2010 au traité de concession n'est, dans ces conditions, ni de nature à ôter à la société BRL cette qualité ni de nature à faire douter de sa faculté de demander et d'obtenir, en cette qualité, la servitude litigieuse. Par suite, le moyen soulevé relatif à la qualité du bénéficiaire de la servitude doit être écarté.
6. En troisième et dernier lieu, les consorts B... contestent le tracé retenu, qui ne serait pas rationnel, et précisent qu'ils ont proposé un tracé rectiligne plus approprié, supprimant les angulations et réduisant l'impact sur les propriétés privées. Toutefois, d'une part, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de se prononcer sur l'opportunité du tracé retenu. D'autre part, un tracé plus rectiligne aurait impliqué de traverser de biais la route départementale RD 119. Or, la société BRL soutient sans contradiction que cette traversée de biais aurait fait l'objet d'un refus par le service des routes du département de l'Hérault. Par ailleurs, le diamètre important des canalisations et les contraintes techniques de l'ouvrage ne permettaient pas de concevoir un tracé en bordure de terrains le long de la voie publique. Si les consorts B... soutiennent également que la société BRL s'est uniquement fondée sur des considérations générales ou financières et non techniques en s'abstenant de réaliser des investigations " in concreto ", il ressort des pièces du dossier que le tracé proposé est le fruit de dix-huit mois d'études préalables comprenant notamment des études techniques et que la société BRL a notamment pris en considération des facteurs techniques comme le diamètre important de la canalisation, lequel limitait fortement les possibilités d'adaptation du tracé ou encore le fait que les angulations rendaient nécessaires la conception sur mesure de pièces spéciales. Enfin, le commissaire-enquêteur, dont aucun élément ne permet de douter de l'impartialité, a estimé que le tracé retenu sur les parcelles des requérants était conforme aux contraintes techniques et environnementales. Dans ces conditions, il n'est pas sérieusement contesté que le tracé retenu, qui a, en l'espèce, pris en compte les enjeux environnementaux, les contraintes techniques, l'impact sur la propriété privée et les coûts générés notamment d'exploitation future, soit le plus rationnel et le moins dommageable pour l'exploitation, conformément aux dispositions citées au point 3 Par suite, l'arrêté contesté n'est pas affecté d'erreur d'appréciation.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 mai 2019 du préfet de l'Hérault.
Sur les frais liés au litige :
8. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées par M. B... et Mme B... sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative doivent, dans ces conditions, être rejetées.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société BRL et l'Etat, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent à M. B... et Mme B... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de M. B... et Mme B... le versement à la société BRL de la somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... et Mme B... est rejetée.
Article 2 : M. B... et Mme B... verseront solidairement à la société BRL la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Mme A... B..., à la société d'économie mixte BRL et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.
Le rapporteur,
T. Teulière
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21TL03577