Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 31 décembre 2021 par lequel le préfet des Bouches du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n°2200542 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Imbert-Gargiulo, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 décembre 2021 du préfet des Bouches du Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches du Rhône de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la minute du jugement attaqué n'est pas signée ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées et du moyen tiré de ce que le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour du fait de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit s'agissant de l'application de l'article 1er de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- les décisions attaquées ont été signées par une personne n'ayant pas compétence à cet effet dès lors que la délégation de signature accordée à Mme B... n'est pas précise, fait l'objet d'une subdélégation illégale, a été accordée illégalement à plusieurs délégataires et n'est pas conforme aux dispositions du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission du titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des stipulations de l'article 3 de l'accord Franco Marocain du 9 octobre 1987 dès lors qu'un contrat de travail n'est requis que pour la délivrance du titre initial ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus de titre de séjour et celle portant obligation de quitter le territoire français sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait les dispositions du 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une lettre du 23 février 2023, le préfet des Bouches du Rhône a été mis en demeure de produire un mémoire en défense dans le délai d'un mois.
Par ordonnance du 24 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 21 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lasserre, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né le 1er janvier 1964, déclare être entré sur le territoire français au cours de l'année 2004 et n'y être jamais ressorti depuis le mois de janvier 2013. Le 25 février 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 31 décembre 2021, le préfet des Bouches du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement du 3 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Dans ses écritures de première instance, M. A... avait notamment soutenu que l'arrêté attaqué a été signé par une personne n'ayant pas compétence à cet effet dès lors que la délégation de signature octroyée à Mme B... n'était pas suffisamment précise, était illégale dès lors qu'elle a été octroyée à plusieurs délégataires et méconnait les dispositions du décret n°2004-374 du 29 avril 2004. Il ressort des termes du jugement attaqué que, si le tribunal a visé ce moyen dans sa globalité, il n'a pas répondu aux différentes branches précitées de ce moyen alors qu'il ne s'agissait pourtant pas de moyens inopérants. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens relatifs à la régularité du jugement attaqué, l'appelant est fondé à soutenir que le jugement en litige est entaché d'un défaut de motivation et qu'il doit être annulé comme irrégulier.
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nîmes.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne l'ensemble des décisions :
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué a été signé pour le préfet des Bouches du Rhône par Mme C... B..., adjointe au chef de bureau de l'éloignement, du contentieux et de l'asile. Par arrêté du 1er septembre 2021 n° 13-2021-247, régulièrement publié, au recueil des actes administratifs de la préfecture des Bouches du Rhône, le préfet de ce département a donné délégation à Mme C... B..., à l'effet de signer, notamment, les refus de séjour et les obligations de quitter le territoire, sans qu'il s'agisse, en tout état de cause, d'une subdélégation ou d'une délégation donnée de façon concomitante à deux délégataires. En outre, contrairement à ce que soutient le requérant, cette délégation, eu égard à ces termes, doit être regardée comme portant sur des attributions effectives, identifiées de façon suffisamment précise pour permettre d'en apprécier la consistance. Enfin, le requérant n'assortit son moyen tiré de ce que cette délégation serait contraire aux dispositions du décret n°2004-374 du 29 avril 2004 d'aucune précision permettant à la cour d'apprécier son bien-fondé. Par suite, le moyen pris dans ses différentes branches et tiré de ce que les décisions attaquées auraient été signées par une personne n'ayant pas compétence à cet effet doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / (...) 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1. ". Aux termes de l'article L. 435-1 du même code : " Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. ". Il résulte de ces dispositions que la commission du titre de séjour doit être saisie par l'autorité administrative pour avis dès lors que cette dernière envisage de refuser l'octroi d'un titre de séjour à un ressortissant étranger qui justifie avoir résidé habituellement en France pendant plus de dix ans.
6. D'une part, contrairement à ce qu'il soutient, M. A... ne démontre pas qu'il aurait résidé sur le territoire français de manière habituelle pendant une durée d'au moins dix ans en se bornant à se prévaloir des mentions de son passeport pour cette période. Par suite, ce moyen doit être écarté. D'autre part, si l'intéressé soutient qu'il remplissait les conditions prévues par les articles 1er et 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 pour obtenir un titre de séjour mention " salarié " ou une carte de résident, le refus du préfet de lui délivrer un tel titre sur le fondement de ces stipulations n'impliquait pas en tout état de cause la saisine préalable de la commission du titre de séjour en application des 1° et 2° de l'article L. 432-13 qui ne font pas références à ces stipulations.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur
présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour
valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de
restrictions géographiques ou professionnelles. Après trois ans de séjour continu en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent pourront obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er sont applicables pour le renouvellement du titre de séjour après dix ans. ".
8. S'il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié d'un titre de séjour temporaire en qualité de travailleur saisonnier délivrée le 26 mars 2012 et valable jusqu'au 25 mars 2015, il n'établit ni même n'allègue avoir bénéficié d'un titre de séjour en qualité de salarié au sens des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987. Dans ces conditions, M. A... ne peut être regardé comme bénéficiant d'un séjour continu de trois ans en France au sens de ces stipulations. Par suite, le préfet des Bouches du Rhône n'a pas commis d'erreur de droit en opposant à M. A... l'absence d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes pour lui refuser un titre de séjour en qualité de salarié. Par suite, ce moyen doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. S'il ressort des pièces du dossier que le requérant démontre avoir résidé de manière habituelle sur le territoire français pendant plusieurs années et avoir exercé une activité professionnelle, il n'est pas dépourvu de lien avec son pays d'origine où résident en particulier son épouse et leurs cinq enfants, tous de nationalité marocaine ainsi que le releve le préfet dans l'arrêté en litige. Le bénéfice d'une carte de séjour pluriannuelle en qualité de travailleur saisonnier, qui limite à six mois la durée maximale de présence en France par an, ne permet pas davantage d'établir, compte tenu de ce qui vient d'être exposé, que l'appelant aurait transféré en France le centre de ses intérêts privés et familiaux. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée porterait au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant refus de titre de séjour méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ".
12. Ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt, M. A... ne démontre pas qu'il aurait résidé sur le territoire français de manière régulière pendant une durée d'au moins dix ans. Dans ces conditions, il ne pouvait bénéficier de la protection instituée par le texte susvisé. Par suite, ce moyen doit être écarté.
13. Pour les mêmes motifs qu'évoqués au point 10 du présent arrêt, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches du Rhône du 31 décembre 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui rejette la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté en litige, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes n°2200542 du 3 juin 2022 est annulé.
Article 2 : Le surplus de la requête d'appel de M. A... et sa demande présentée devant le tribunal administratif de Nîmes sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches du Rhône.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
Mme Lasserre, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.
La rapporteure,
N. Lasserre
Le président,
D. ChabertLa greffière,
Nadia Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22TL21510