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21/09/2023 | FRANCE | N°22TL20772

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 21 septembre 2023, 22TL20772


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2020 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2006594 du 15 février 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 8 décembre 2020, a enjoint à la préfète du Tarn de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la

mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois, en lui délivrant dans l'attente ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2020 par lequel la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2006594 du 15 février 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 8 décembre 2020, a enjoint à la préfète du Tarn de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois, en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 mars 2022 et 31 mai 2023, le préfet du Tarn demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de confirmer la légalité de l'arrêté du 8 décembre 2020 ;

3°) de rejeter la demande présentée par M. B... au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

Il soutient que :

- si le titre de séjour de M. B... est en cours d'élaboration en exécution de l'injonction prononcée par le tribunal, la requête d'appel conserve son objet ;

- contrairement à ce qu'a relevé le tribunal, l'extrait d'acte de naissance et le jugement supplétif produits par M. B... n'ont pas été légalisés en France mais en Guinée en octobre 2018 alors que l'intéressé prétend être entré en France en février 2018 ;

- l'administration ne s'est pas seulement fondée sur la concomitance des dates de saisine et de rendu du jugement supplétif d'acte de naissance et elle remet utilement en cause la présomption de validité des actes d'état civil produits par l'étranger ;

- les autres moyens soulevés par M. B... dans sa demande de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, M. B..., représenté par Me Ducos-Mortreuil, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête du préfet du Tarn ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de refus d'admission à l'aide juridictionnelle, à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet du Tarn ne sont pas fondés.

M. B... a obtenu le maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2007-1205 du 10 août 2007 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chabert, président

- et les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen se déclarant né le 11 novembre 2002 à Conakry (Guinée), est entré irrégulièrement sur le territoire français en février 2018 selon ses déclarations. Il a été placé auprès du service de l'aide sociale à l'enfance du département du Tarn par une ordonnance de placement provisoire du procureur de la République du 19 juillet 2018 et d'un jugement en assistance éducative du 25 juillet 2018. Il a sollicité le 30 septembre 2020 son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Par arrêté du 8 décembre 2020, la préfète du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet du Tarn fait appel du jugement du 15 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète du Tarn de délivrer à M. B... un titre de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur l'admission de M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par décision du 2 août 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. B... le bénéfice du maintien de plein droit de l'aide juridictionnelle totale. En conséquence, la demande de l'intéressé tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ne peut qu'être rejetée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 2° bis À l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ".

4. En premier lieu, l'article R. 311-2-2 du même code dispose que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". En vertu du premier alinéa de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Cet article dispose, quant à lui, que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Aux termes des dispositions du I de l'article 4 du décret du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation d'actes, applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Les ambassadeurs et les chefs de poste consulaire peuvent légaliser les actes publics : / (...) 2° Emanant d'une autorité de l'Etat de résidence : - destinés à être produits en France ; -destinés à être produits devant un autre ambassadeur ou chef de poste consulaire français ; (...) ". Au nombre des actes publics figurent notamment, selon l'article 3 de ce décret, les expéditions des décisions des juridictions judiciaires ou administratives, les actes émanant de ces juridictions et des ministères publics institués auprès d'elles, les expéditions des actes de l'état civil établis par les officiers de l'état civil et les actes établis par les autorités administratives.

5. D'une part, l'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

6. D'autre part, la formalité de la légalisation des actes de l'état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeure, selon la coutume internationale et sauf convention internationale contraire, obligatoire pour y recevoir effet. Cette formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu, est obligatoire notamment pour les Etats qui, comme la Guinée, ne sont pas signataires de la convention de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l'exigence de la légalisation des actes publics étrangers ou d'autres accords internationaux. Pour satisfaire à cette exigence, les actes doivent être légalisés soit, en France, par le consul du pays où l'acte a été établi, soit, à l'étranger, par le consul de France établi dans ce pays, seules autorités habilitées.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions précitées du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et pour justifier de son état civil, M. B... a produit un jugement supplétif n° 33813 tenant lieu d'acte de naissance rendu le 29 décembre 2017 par le tribunal de première instance de Dixinn Conakry II, un extrait du registre de l'état civil du 26 septembre 2018 portant retranscription du jugement précité ainsi qu'une carte d'identité consulaire. Il ressort des motifs de l'arrêté en litige que la préfète du Tarn a relevé que ce jugement supplétif a été rendu sur la requête de la mère de l'intéressé déposée le même jour et après audition de deux témoins et que " dès lors le jugement supplétif ne présente pas une authenticité certaine ". Toutefois, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que ces documents auraient fait l'objet d'un rapport d'examen technique et documentaire de la cellule fraude documentaire et à l'identité de la direction interdépartementale de la police aux frontières et si le préfet du Tarn se prévaut d'un échange de courriels datant de 2017 avec les autorités guinéennes, ces échanges ne concernent pas la situation de M. A... B.... La seule saisine le 12 octobre 2020 des mêmes autorités d'une demande de vérification de l'authenticité du jugement supplétif produit par l'étranger, qui est demeurée sans réponse il est vrai, ne suffit pas à démontrer que les documents produits par M. B... à l'appui de sa demande de titre de séjour présentaient un caractère frauduleux. Par ailleurs, il ressort des pièces complémentaires versées en première instance par M. B... que le jugement supplétif et l'extrait du registre d'état civil ont été légalisés par les autorités consulaires guinéennes en France le 14 septembre 2021. Alors même que cette légalisation, qui ne devait pas nécessairement être faite par les autorités françaises, est intervenue postérieurement à la décision en litige, elle se rapporte à un état de fait préexistant à celle-ci, relatif à la date du 11 novembre 2002 comme étant celle de la naissance de l'intimé. Dans ces conditions, au vu des éléments versés au dossier, l'état civil du requérant doit être regardé comme établi. Par suite, et dès lors que M. B... doit être regardé comme établissant son identité et son âge, le refus de titre en litige est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été pris en charge par les services d'aide sociale à l'enfance à compter du 19 juillet 2018. Il n'est ni établi ni même allégué que sa présence en France constitue une menace d'ordre public. Si le préfet soutient que l'intégration de M. B... reste imparfaite et que sa trajectoire de formation n'est pas " fermement établie ", il ressort des pièces du dossier qu'après avoir débuté une formation dans le secteur de l'hôtellerie faute de projet professionnel, l'intéressé a suivi à sa demande à compter du 18 octobre 2019 une formation en apprentissage au sein de l'antenne du Tarn de l'université régionale Midi-Pyrénées des métiers et de l'artisanat en vue de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle " Métier du plâtre et de l'isolation ", pour laquelle il justifie de résultats satisfaisants sur les deux premiers semestres à la date de l'arrêté attaqué. L'attitude volontaire et motivée de M. B... est soulignée dans les relevés de note produits antérieurement à la date de l'arrêté attaqué. Par ailleurs, le gérant de l'entreprise avec laquelle il a signé un contrat d'apprentissage souligne le caractère sérieux de M. B..., ses qualités tant professionnelles que relationnelles et sa très bonne intégration. Au surplus, la structure d'accueil du complexe éducatif et professionnel St Jean de Caussels à Albi fait état d'éléments très favorables sur son intégration dans la société française. Enfin, si le préfet fait valoir que le formulaire de demande de titre de séjour rempli par M. B... fait état de la présence de sa mère, d'un demi-frère et d'une demi-sœur en Guinée, l'intimé avait mentionné dans le document ne plus avoir de liens avec ces derniers. Il ne ressort pas des autres pièces du dossier qu'il aurait conservé des liens particuliers avec sa famille restée dans son pays d'origine. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le préfet du Tarn a méconnu les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Tarn n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision portant refus de titre de séjour ainsi que celles portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination du 8 décembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, combinées à celles de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, sous réserve que Me Ducos-Mortreuil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros devant être versée directement à cet avocat.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet du Tarn est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Ducos-Mortreuil une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de renoncer à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Saskia Ducos-Mortreuil.

Copie en sera adressée au préfet du Tarn.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, où siégeaient :

- M. Chabert, président de chambre,

- M. Haïli, président assesseur,

- M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023

Le président-rapporteur,

D. Chabert

Le président-assesseur,

X. Haïli La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

2

N° 22TL20772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL20772
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. CHABERT
Rapporteur ?: M. Denis CHABERT
Rapporteur public ?: Mme MEUNIER-GARNER
Avocat(s) : DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-09-21;22tl20772 ?
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