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21/02/2023 | FRANCE | N°20TL22585

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 21 février 2023, 20TL22585


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

1°) d'annuler la décision du 11 mai 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lavaur l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire et a prévu que ses émoluments subiraient une retenue dans la limite légale de la moitié de leur quantum ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier de Lavaur de reprendre le versement de son traitement dans son intégralité à compter du 11 mai 2018 ;

3°) de condamner le centre

hospitalier de Lavaur à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse :

1°) d'annuler la décision du 11 mai 2018 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Lavaur l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire et a prévu que ses émoluments subiraient une retenue dans la limite légale de la moitié de leur quantum ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier de Lavaur de reprendre le versement de son traitement dans son intégralité à compter du 11 mai 2018 ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Lavaur à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1803144 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 11 mai 2018, enjoint au centre hospitalier de Lavaur de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de six mois et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 août 2020 sous le n° 20BX02585 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL22585, le centre hospitalier de Lavaur, représenté par Me Hirtzlin-Pinçon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 juin 2020 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Toulouse ;

3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement est mal fondé en ce que la décision du 11 mai 2018 est motivée par une procédure pénale en cours et tire les conséquences financières de la mesure de suspension, alors que la mesure de suspension édictée le 30 mars 2017 était une simple mesure conservatoire provisoire n'interdisant au praticien hospitalier que l'accès aux locaux ;

- les autres moyens soulevés devant le tribunal ne sont pas fondés : les décisions du 30 mars 2017 et du 11 mai 2018 ne se basent pas sur les mêmes faits et la situation de M. A... a été modifiée en ce qu'il n'est plus en arrêt maladie mais en situation de mi-temps thérapeutique ; le centre hospitalier de Lavaur était toujours son employeur, en l'absence de mise à disposition auprès du centre hospitalier universitaire de Toulouse ; la mesure a été prise dans l'intérêt du service ; l'interdiction d'exercice qui lui était faite par le juge judiciaire ne lui interdisait pas de remplir ses fonctions administratives et de se rendre sur son lieu de travail ; la décision contestée applique les dispositions réglementaires s'agissant de la diminution de moitié de ses émoluments ; il n'appartenait pas au centre hospitalier d'engager une procédure disciplinaire et il ressort du courrier du centre national de gestion du 25 juillet 2018 que cette instance attendait l'issue de la procédure pénale pour saisir le conseil de discipline ; M. A... était en activité à la date de la décision et de sa notification, alors qu'il n'a sollicité la prolongation de son congé de longue maladie que le 23 mai 2018.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse la requête du centre hospitalier de Lavaur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2022, M. B... A..., représenté par Me Duverneuil, conclut au rejet de la requête, demande de confirmer le jugement du 11 juin 2020, de fixer au besoin une astreinte à l'injonction prononcée par le tribunal et de mettre à la charge du centre hospitalier de Lavaur le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- compte-tenu de la décision conservatoire prise le 30 mars 2017 et de la décision de contrôle judiciaire lui interdisant l'exercice de ses fonctions, la décision du 11 mai 2018 prise sur le fondement de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ne se justifiait pas à la date de la décision attaquée, en l'absence d'élément nouveau et d'intérêt du service ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation juridique des faits en ce qu'elle ne pouvait être prise sans abrogation préalable de celle du 30 mars 2017 et sans attendre le terme de son congé maladie le 7 juin 2018, son congé de longue durée ayant ensuite été prolongé par arrêté préfectoral du 3 octobre 2018 ;

- elle est entachée de détournement de pouvoir et de violation de la loi en ce qu'il n'entre pas dans les pouvoirs d'un directeur de centre hospitalier de suspendre un praticien hospitalier et d'opérer une retenue sur salaire dans le cadre de la procédure de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique.

Par ordonnance du 23 septembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Hirtzlin-Pinçon, représentant le centre hospitalier de Lavaur, et de Me Duverneuil, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., praticien hospitalier dans la spécialité anesthésiologie-réanimation chirurgicale, a été affecté à temps plein au centre hospitalier de Lavaur à compter de l'année 2000. Il a fait l'objet, à compter du mois de décembre 2016, de signalements et de plaintes initiés par plusieurs agents de l'établissement hospitalier pour des faits de harcèlement sexuel et moral. Le 29 mars 2017, le directeur du centre hospitalier de Lavaur l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire dans l'intérêt du service et l'a empêché d'accéder aux locaux. Le 30 mars 2017, le directeur du centre hospitalier a rapporté la décision du 29 mars et a interdit au docteur A... d'accéder aux locaux à titre conservatoire. L'intéressé a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 27 février 2017. Par un arrêté du 25 avril 2018 pris après examen par le comité médical de la situation de l'intéressé, le préfet du Tarn a requalifié le congé de longue maladie de M. A... en congé de longue durée à compter du 27 février 2017 jusqu'au 26 avril 2018, et a prononcé sa reprise de service à mi-temps pour raison thérapeutique pour une durée de six mois. Par une ordonnance du 26 avril 2018, le vice-président du tribunal de grande instance de Castres l'a placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer la profession de médecin anesthésiste et d'entrer en relation avec quatre agents du centre hospitalier de Lavaur. Le directeur du centre hospitalier de Lavaur, par une décision du 11 mai 2018, notifiée par exploit d'huissier à M. A... le 16 suivant, a suspendu celui-ci de ses fonctions à titre conservatoire et a réduit de moitié ses émoluments. M. A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler cette décision et d'enjoindre au centre hospitalier de Lavaur de reprendre le versement de sa rémunération dans son intégralité à compter du 11 mai 2018. Le centre hospitalier de Lavaur relève appel du jugement du 11 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 11 mai 2018 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de six mois. M. A... demande, par la voie de l'appel incident, de fixer au besoin une astreinte à l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, dans ses dispositions applicables au litige : " Le directeur, président du directoire, conduit la politique générale de l'établissement. Il représente l'établissement dans tous les actes de la vie civile et agit en justice au nom de l'établissement. / Le directeur est compétent pour régler les affaires de l'établissement autres que celles énumérées aux 1° à 15° et autres que celles qui relèvent de la compétence du conseil de surveillance énumérées à l'article L. 6143-1. Il participe aux séances du conseil de surveillance. Il exécute ses délibérations. / (...) / Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art. (...) ".

3. Aux termes de l'article R. 6152-23 du code de la santé publique, dans ses dispositions applicables au litige : " Les praticiens perçoivent, après service fait, attesté par le tableau mensuel de service réalisé, validé par le chef de pôle ou, à défaut, par le responsable du service, de l'unité fonctionnelle ou d'une autre structure interne : 1° Des émoluments mensuels variant selon l'échelon des intéressés. Ces émoluments sont fixés par arrêté des ministres chargés du budget, de la santé et de la sécurité sociale. Ils suivent l'évolution des traitements de la fonction publique, constatée par le ministre chargé de la santé ; 2° Des indemnités et allocations dont la liste est fixée par décret. ". Aux termes de l'article R 6152-77 de ce code, dans ses dispositions applicables au litige : " Dans l'intérêt du service, le praticien qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire peut être immédiatement suspendu par le directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière pour une durée maximale de six mois. Toutefois, lorsque l'intéressé fait l'objet de poursuites pénales, la suspension peut être prolongée pendant toute la durée de la procédure. / Le praticien suspendu conserve les émoluments mentionnés au 1° de l'article R. 6152-23. Toutefois, lorsqu'une décision de justice lui interdit d'exercer, ses émoluments subissent une retenue, qui ne peut excéder la moitié de leur montant. / (...) / Lorsque l'intéressé fait l'objet de poursuites pénales, sa situation financière n'est définitivement réglée qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive. "

4. Le directeur d'un centre hospitalier, qui exerce, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu'une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider, sous le contrôle du juge, et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, de suspendre ses activités cliniques et thérapeutiques au sein du centre hospitalier, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, qui ne prévoient la possibilité de suspendre les intéressés par une décision du directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers que dans le seul cas où ils font l'objet d'une procédure disciplinaire.

5. Il ressort des pièces du dossier que, le 30 mars 2017, M. A... a fait l'objet d'une mesure conservatoire lui faisant interdiction d'accéder aux locaux du centre hospitalier de Lavaur, prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, au regard de courriers de signalement, témoignages, plaintes de patients et rapports internes établis à la suite de faits de suspicion de harcèlement moral et sexuel à l'encontre de plusieurs agents de l'établissement. Il est constant que cette mesure n'a pas été abrogée par le directeur du centre hospitalier. Dans le cadre de la procédure pénale engagée à l'encontre de M. A..., l'intéressé a fait l'objet d'une mesure de contrôle judiciaire du juge des libertés et de la détention le 26 avril 2018, comportant notamment l'interdiction d'exercer son activité professionnelle et d'entrer en contact avec les victimes. En outre, M. A... a été placé en arrêt de travail de manière continue à compter du 27 février 2017, d'abord en congé de longue maladie, lequel a été transformé en congé de longue durée par arrêté du préfet du Tarn du 25 avril 2018. Si cet arrêté prévoit que M. A... relève d'une reprise de service à mi-temps pour raison thérapeutique pour une durée de six mois à compter du 27 avril 2018, il ressort toutefois des pièces produites que l'intéressé avait adressé en dernier lieu un arrêt de travail de prolongation en date du 23 avril 2018 courant jusqu'au 7 juin suivant. Au regard de l'ensemble de ces éléments, notamment de l'interdiction d'exercer son activité professionnelle comprenant nécessairement et le cas échéant les fonctions administratives encore assumées, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation exigeait qu'une nouvelle mesure conservatoire soit prise à l'encontre du praticien hospitalier sur le fondement de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, en l'absence de circonstances exceptionnelles mettant en péril la continuité du service et la sécurité des patients. Si le centre hospitalier invoque la nécessité de réduire les émoluments de M. A... en raison de la procédure pénale en cours à son encontre, il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier de la directrice du centre national de gestion du 25 juillet 2018, qu'aucune procédure disciplinaire n'avait été engagée à la date de la décision contestée, la situation de l'intéressé ne devant être examinée qu'après achèvement de la procédure pénale. Le directeur du centre hospitalier ne pouvait dès lors pas davantage prononcer la réduction de moitié des émoluments du praticien hospitalier en application des dispositions prévues à l'article R. 6152-77 du code de la santé publique.

6. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Lavaur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a estimé que la décision du 11 mai 2018 était entachée d'erreur de qualification juridique des faits et l'a annulée pour ce motif.

Sur l'appel incident :

7. Le présent arrêt rejetant la requête du centre hospitalier de Lavaur, il n'y a pas lieu de modifier l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Toulouse aux fins de réexamen de la situation de M. A... dans un délai de six mois. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer une astreinte à l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais de l'instance :

8. Les dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le centre hospitalier de Lavaur au titre des frais exposés et non compris dans les dépens et des dépens.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Lavaur une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Lavaur est rejetée.

Article 2 : Le centre hospitalier de Lavaur versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Lavaur et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2023.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N° 20TL22585 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL22585
Date de la décision : 21/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-11-01 Fonctionnaires et agents publics. - Dispositions propres aux personnels hospitaliers. - Personnel médical.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : HIRTZLIN-PINÇON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2023-02-21;20tl22585 ?
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