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29/11/2022 | FRANCE | N°20TL03283

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 29 novembre 2022, 20TL03283


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 199,84 euros ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1802210 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 000 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure deva

nt la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 août 2020 au greffe de la cour administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 199,84 euros ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 1802210 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 000 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 août 2020 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille sous le n° 20MA03283, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°20TL03283, M. B... A..., représenté par Me Cacciapaglia, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 juillet 2020 en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 1 000 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 199,84 euros ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il a refusé d'indemniser ses troubles dans ses conditions d'existence en ce compris le préjudice de carrière, et a limité à 1 000 euros la réparation de son préjudice moral ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée pour illégalité fautive de la décision implicite de prolongation de sa suspension du 28 mai 2017, date à laquelle il aurait dû être réintégré dans ses fonctions : cette décision est entachée d'un défaut de motivation en fait et en droit ; elle a été prise en violation de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il justifie d'un préjudice matériel qu'il évalue à la somme de 7 199,84 euros en raison de la suppression de la prime " sujétion spéciale police " et de la prime " allocation de maîtrise " et de la diminution de l'indemnité dégressive ; il est fondé à demander l'indemnisation de ce préjudice financier lié aux troubles dans ses conditions d'existence, en ce compris le préjudice de carrière ;

- le préjudice moral subi pendant dix-neuf mois doit être réparé à hauteur de la somme de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires présentées par M. A... sont irrecevables, en l'absence de preuve de dépôt d'une demande préalable ;

- il renvoie aux observations présentées devant le tribunal.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. A....

Par ordonnance du 25 août 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 20 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 97-215 du 10 mars 1997 ;

- le décret n° 2013-617 du 11 juillet 2013 ;

- le décret n° 2015-492 du 29 avril 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Delepine substituant Me Cacciapaglia, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ancien major de police affecté à la direction zonale de la police aux frontières Sud au sein de la direction interdépartementale des Pyrénées-Orientales à Perpignan, a été suspendu de ses fonctions par arrêté du ministre de l'intérieur du 27 janvier 2017 à la suite de l'engagement d'une procédure judiciaire à son encontre ainsi que d'une enquête administrative menée par l'Inspection générale de la police nationale le 15 avril 2016 sur saisine du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Perpignan, pour des manquements professionnels et déontologiques. M. A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 199,84 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en l'absence de réintégration à l'expiration d'un délai de quatre mois. Par jugement du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 000 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus de sa demande. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation et demande de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 199,84 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts et de leur capitalisation.

Sur la régularité du jugement :

2. Il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels les juges de première instance se sont prononcés sur les moyens qui leur étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

3. M. A... ne peut dès lors utilement soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le tribunal a refusé d'indemniser ses troubles dans ses conditions d'existence en ce compris le préjudice de carrière et a limité à 1 000 euros la réparation de son préjudice moral, de tels motifs relevant du bien-fondé du jugement.

Sur la recevabilité de la demande devant le tribunal administratif :

4. Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative, dans sa version alors applicable : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. ".

5. Le ministre de l'intérieur oppose pour la première fois en appel l'irrecevabilité de la demande indemnitaire de M. A... devant le tribunal administratif en l'absence de justification du dépôt d'une demande préalable. Il ressort toutefois des pièces produites que M. A... a présenté une demande préalable de réintégration et d'indemnisation du préjudice subi à hauteur de la somme de 12 199,84 euros, par courrier recommandé du 24 janvier 2018 reçu le 29 janvier suivant par les services du ministère de l'intérieur, ainsi qu'il en est attesté par le cachet de La Poste apposé sur l'accusé de réception. La fin de non-recevoir opposée par le ministre doit dès lors être écartée.

Sur la responsabilité de l'Etat :

6. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans ses dispositions applicables au litige : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. (...) / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. / En cas de non-lieu, relaxe, acquittement ou mise hors de cause, l'autorité hiérarchique procède au rétablissement dans ses fonctions du fonctionnaire. " Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la gravité des fautes professionnelles commises, la suspension de fonctions d'un fonctionnaire, qui constitue une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service, ne peut excéder quatre mois que s'il fait l'objet de poursuites pénales. En l'absence de telles poursuites et si aucune décision disciplinaire n'est rendue, l'agent est rétabli dans ses fonctions.

7. Il résulte de l'instruction que, par un jugement en date du 18 janvier 2017, le tribunal correctionnel de Perpignan a déclaré M. A... coupable des faits de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé commis du 1er mai 2012 au 31 décembre 2013, d'exécution d'un travail dissimulé commis du 1er mai 2012 au 31 décembre 2013 et du 1er octobre 2013 au 30 novembre 2014, de soumission d'une personne dépendante ou vulnérable à des conditions d'hébergement indignes commis du 1er mai 2012 et le 31 décembre 2013 et l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée d'un an ainsi qu'au paiement d'une amende d'un montant de 45 000 euros. Par arrêté du 27 janvier 2017, le ministre de l'intérieur a prononcé la suspension de fonctions de M. A... au motif que les faits reprochés étaient de nature à justifier un éloignement immédiat du service. Toutefois, M. A... a formé opposition au jugement du tribunal correctionnel. Par un jugement du 30 mai 2017, le tribunal correctionnel de Perpignan l'a relaxé pour les faits d'exécution d'un travail dissimulé entre le 1er mai 2012 et le 31 décembre 2013 et de soumission d'une personne dépendante ou vulnérable à des conditions d'hébergement indignes, entre le 1er mai 2012 et le 31 décembre 2013 mais l'a déclaré coupable de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé entre le 1er mai 2012 et le 31 décembre 2013 et d'exécution d'un travail dissimulé entre le 1er octobre 2013 au 30 novembre 2014. Le tribunal a maintenu la condamnation à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et limité l'amende prononcée à une somme de 20 000 euros. Ce jugement, devenu définitif le 10 juin 2017, a eu pour effet de mettre fin aux poursuites pénales dont M. A... faisait l'objet. En l'absence de sanction disciplinaire infligée à l'intéressé, la suspension ne pouvait dès lors être légalement maintenue. Ainsi, en maintenant la suspension de M. A... du 11 juin 2017 jusqu'au 11 juin 2018, date de la révocation de l'intéressé, le ministre de l'intérieur a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Sur les préjudices :

8. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

9. Il résulte de l'instruction, notamment des bulletins de paie produits par le ministre de l'intérieur, que M. A... a continué, durant les périodes au cours desquelles il a été suspendu à titre conservatoire, à être rémunéré à plein traitement. L'appelant sollicite une indemnisation concernant la perte de l'indemnité de sujétions spéciales et de l'allocation de maîtrise ainsi que de la diminution de l'indemnité dégressive. Toutefois, au regard de la condamnation prononcée à son encontre ainsi que de l'engagement d'une procédure disciplinaire qui a nécessité une nouvelle saisine du conseil de discipline le 7 février 2018 en raison de l'irrégularité dans la composition du conseil qui avait émis un avis en faveur de la révocation de l'intéressé le 15 mars 2017, l'intérêt du service faisait obstacle à sa réintégration sur ses précédentes fonctions. Il résulte par ailleurs de l'instruction, notamment d'un courriel en date du 21 décembre 2017 émanant de la direction centrale de la sécurité publique concernant la réintégration de M. A..., qu'aucun poste n'a pu être trouvé à l'intéressé au sein d'un autre service. Dans ces conditions, en l'absence de perte de chance sérieuse de percevoir les primes et indemnités liées à l'exercice des fonctions de major de police, M. A... n'est pas fondé à demander l'indemnisation du préjudice financier subi durant la période en litige.

10. En revanche, M. A... a subi un préjudice moral du fait de l'illégalité de la prolongation de la mesure de suspension et de l'absence de réintégration entre le 11 juin 2017 et le 11 juin 2018, date de sa révocation, dont les premiers juges ont fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre une indemnité de 1 000 euros.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montpellier ne lui a alloué qu'une somme de 1 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

12. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Par suite, M. A... a droit aux intérêts sur la somme de 1 000 euros, à compter du 29 janvier 2018 et à la capitalisation des intérêts à compter du 30 janvier 2019.

Sur les frais d'instance :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

14. M. A... ne justifie pas avoir engagé, dans la présente instance, des frais mentionnés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ses conclusions, tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier est réformé en tant qu'il n'a pas condamné l'Etat à verser à M. A... les intérêts au taux légal sur la somme de 1 000 euros à compter du 29 janvier 2018 et la capitalisation des intérêts à compter du 30 janvier 2019.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2022.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°20TL03283 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL03283
Date de la décision : 29/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : CACCIAPAGLIA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-11-29;20tl03283 ?
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