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08/11/2022 | FRANCE | N°20TL03616

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 08 novembre 2022, 20TL03616


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) MV Bar a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Hérault a prononcé la fermeture administrative du débit de boissons dénommé " Le Cubanos " pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 1804363 du 21 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande et a prononcé la suppression de certains passages figurant dans les écritures du préfet de l'Hérault.<

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Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2020, sous le n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) MV Bar a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel le préfet de l'Hérault a prononcé la fermeture administrative du débit de boissons dénommé " Le Cubanos " pour une durée de trois mois.

Par un jugement n° 1804363 du 21 juillet 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande et a prononcé la suppression de certains passages figurant dans les écritures du préfet de l'Hérault.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2020, sous le n° 20MA03616, au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 20TL03616, et un mémoire en réplique, enregistré le 18 juin 2021, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la SARL MV Bar, représentée par Me Maillot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 juillet 2020 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler la décision du 9 juillet 2018 du préfet de l'Hérault ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

Sur le bien-fondé du jugement :

- les premiers juges se sont mépris sur la portée de leur contrôle de la mesure de police litigieuse, en se contentant d'exercer un contrôle minimum de l'erreur manifeste d'appréciation au lieu d'un contrôle maximum de proportionnalité entre la mesure de police et la gravité de l'atteinte à l'ordre public ;

- la matérialité des faits justifiant selon les premiers juges l'édiction de l'arrêté contesté, n'est pas établie ;

- ainsi et en ce qui concerne la plainte pour nuisances sonores du 4 mai 2018, il n'existe aucun constat d'un tapage nocturne, simplement une intervention réglée rapidement et qui n'a fait l'objet d'aucune plainte ; aucune pièce ne démontre un dépassement des normes sonores ;

- en ce qui concerne l'alcoolisation prétendue d'un client de l'établissement, hormis les déclarations de ce client, il n'existe aucune constatation directe de sa présence ni aucune preuve de sa consommation d'alcool au sein de l'établissement ;

- en ce qui concerne les allégations d'agression sexuelle sur une cliente de l'établissement en état d'ébriété, les faits allégués ne sont pas démontrés ; l'établissement a collaboré à l'instruction en cours de cette affaire en fournissant l'ensemble des films issus de la vidéosurveillance ; l'établissement n'a donc commis aucune faute justifiant une sanction administrative ;

- la durée de trois de fermeture de l'établissement est une mesure manifestement très lourde et disproportionnée par rapport aux faits reprochés, à les supposer établis ;

- les autres faits mis en avant par le préfet, écartés par les premiers juges, ne sont pas de nature à justifier le bien-fondé d'une mesure de fermeture administrative de l''établissement pour une durée de trois mois.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2021, le préfet de l'Hérault conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la suppression des passages injurieux, outrageants et diffamatoires de la requête sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

Sur le bien-fondé du jugement :

- les premiers juges ont exercé un contrôle adéquat de la mesure administrative de fermeture de l'établissement pour une durée de trois mois ;

- les faits retenus par les premiers juges justifient le prononcé de la mesure litigieuse ; la matérialité de ces faits est établie ;

- le 4 mai 2018, un équipage de police a constaté le tapage nocturne manifeste ;

- les faits relatés aux services de police par le conducteur en état d'ébriété lors de son interpellation du 30 mai 2018, ont été consignés dans le procès-verbal du 30 mai 2018 à 15 h 30, soit plus de 9 heures après la prise des mesures de son alcoolémie ; la circonstance que cette interpellation ne soit pas intervenue à la sortie de l'établissement ne suffit pas à rompre le lien avec les conditions de fonctionnement de cet établissement ;

- en ce qui concerne l'agression sexuelle du 12 juin 2018 sur une cliente de l'établissement en état d'ébriété, ces faits ont été sanctionnés par la condamnation à sept ans d'emprisonnement de l'homme ayant agressé sexuellement la jeune femme dans les toilettes de l'établissement ;

- la durée de fermeture de trois mois n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il est demandé la suppression des passages de la requête minorant ou niant la réalité de l'agression sexuelle du 12 juin 2018 ainsi que les passages outrageants remettant en cause l'intégrité des services déconcentrés de l'État.

Par une ordonnance du 19 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 18 juin 2021 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénal ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la route ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Beltrami, première conseillère,

-et les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 9 juillet 2018, le préfet de l'Hérault a prononcé la fermeture de l'établissement dénommé " Le Cubanos " situé au Cap d'Agde, à Agde (Hérault), pour une durée de trois mois, soit du 16 juillet au 16 octobre 2018 inclus. La SARL MV Bar relève appel du jugement du 21 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.

Sur les conclusions en annulation :

2. Aux termes de l'article l. 3332-15 du code de la santé publique, dans sa version alors applicable : " 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'État dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. / Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. / 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'État dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. Le représentant de l'État dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l'exploitant s'engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d'un permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1. /3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l'exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l'annulation du permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1. / 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation. (...) ".

3. Les mesures de fermeture de débits de boissons ordonnées par le préfet sur le fondement de ces dispositions ont toujours pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant. Qu'elles soient fondées sur les dispositions du 1, du 2 ou du 3 de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, de telles mesures doivent être regardées non comme des sanctions présentant le caractère de punitions mais comme des mesures de police.

4. En premier lieu, la société requérante conteste la matérialité des faits retenus par les premiers juges de nature à justifier l'édiction de la fermeture administrative de son établissement pour une durée de trois mois. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'en ce qui concerne l'agression sexuelle d'une cliente de l'établissement en état d'ébriété survenue le 12 juin 2018 dans les toilettes de cet établissement, dont fait état l'arrêté du 9 juillet 2018, ces faits ont été sanctionnés par le tribunal correctionnel de Béziers ayant prononcé la condamnation à sept ans d'emprisonnement de l'homme ayant agressé sexuellement la jeune femme. Le communiqué de presse du 15 mai 2020 du procureur judiciaire de Béziers permet de tenir pour établi que la plaignante a subi, dans les toilettes de l'établissement, plusieurs actes sexuels non consentis, perpétrés par une personne en état d'ivresse manifeste. En outre, en ce qui concerne les nuisances sonores générées par le fonctionnement de l'établissement, et en particulier, celles du 4 mai 2018, la matérialité de ces faits est suffisamment établie par la main courante versée au dossier. Au demeurant, si la société requérante soutient s'être dotée d'un limiteur acoustique agréé, elle ne démontre pas sa mise en service effective à la date du 4 mai 2018. Enfin, les faits relatés aux services de police par le conducteur en état d'ébriété lors de son interpellation du 30 mai 2018, notamment sa consommation d'alcool et son achat de stupéfiants à l'intérieur de l'établissement, ne sont contredits par aucun autre témoignage ou pièce du dossier. Si la société requérante met en doute la crédibilité des déclarations du conducteur en raison de son état d'ivresse, il est toutefois constant que son audition est intervenue le 30 mai 2018 à 15 h 30, soit plus de 9 heures après la prise des mesures de son alcoolémie. Au demeurant, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la société requérante disposait des films de vidéosurveillance, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer que cette personne n'avait pas fréquenté son établissement le 30 mai 2018.

5. Il en résulte que l'administration a bien apporté la preuve qui lui incombe des faits dont la matérialité est contestée par la société requérante.

6. En dernier lieu, la mesure de fermeture d'un débit de boissons prévue par les dispositions citées au point 2, a pour objet, non d'infliger une sanction mais de prévenir des désordres liés au fonctionnement de l'établissement. Une mesure administrative de fermeture d'un établissement est suffisamment fondée dès lors que les désordres trouvent leur origine dans l'activité de l'établissement et peuvent être mis en relation avec sa fréquentation et ses conditions d'exploitation. Dans le cas où ces désordres se produisent hors de l'établissement, ils doivent alors être en lien avec son activité.

7. D'une part, l'agression sexuelle du 12 juin 2018 et les faits de nuisance sonores du 4 mai 2018, qui constituent un acte délictuel et des troubles à l'ordre et à la tranquillité publics, résultent directement de la fréquentation et du fonctionnement de l'établissement " Le Cubanos " et sont de nature à justifier l'édiction d'une mesure administrative de fermeture de l'établissement. À cet égard, la circonstance que l'agression sexuelle aurait été commise à l'insu du gérant de l'établissement et que celui-ci a fourni une aide active lors de l'instruction de l'affaire, est sans incidence sur le bien-fondé de cette mesure. Il en va de même de la circonstance que les nuisances sonores du 4 mai 2018 n'ont pas donné lieu à l'établissement d'une contravention de la 3ème classe prévue par l'article R. 623-2 du code pénal, dès lors que le prononcé de la mesure administrative litigieuse n'est pas conditionné à la constatation préalable d'une infraction.

8. D'autre part, la conduite en état d'ivresse de la personne interpellée le 30 mai 2018, qui constitue une infraction aux dispositions du code de la route, est en relation avec la fréquentation de l'établissement " Le Cubanos " dès lors qu'il doit être tenu pour établi que l'état d'ébriété du conducteur est lié à sa consommation d'alcool au sein de cet établissement. Ces faits sont de nature à justifier l'édiction d'une mesure administrative de fermeture de l'établissement " Le Cubanos ". À cet égard, la circonstance que cette interpellation ne soit pas intervenue à l'intérieur de l'établissement ne suffit pas à rompre le lien avec ses conditions de fonctionnement.

9. Compte tenu de la gravité et du caractère répété des désordres précédemment décrits et de leur lien avec la fréquentation et le fonctionnement de l'établissement " Le Cubanos, le préfet a pu, sans erreur manifeste d'appréciation, prononcer pour une durée de trois mois la fermeture de l'établissement " Le Cubanos ".

10. Il en résulte que la SARL MV Bar n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la mesure litigieuse.

Sur les conclusions présentées par le préfet de l'Hérault sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : " Art. 41, alinéas 3 à 5.-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts ".

12. Le préfet de l'Hérault demande en premier lieu à la cour de supprimer certaines phrases de la requête de la SARL MV Bar minorant ou niant la réalité de l'agression sexuelle du 12 juin 2018. Toutefois, le passage dont la suppression est demandée n'excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas un caractère injurieux ou diffamatoire. Par suite, les conclusions présentées à ce titre doivent être rejetées.

13. En revanche, les passages des écritures qui commencent en page 19 de la requête, enregistrée le 19 septembre 2020, par " On mesure bien " et se terminent en page 20 par " obtenir sa fermeture administrative " présentent un caractère diffamatoire au sens des dispositions précitées de l'article L. 741-2 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, d'en prononcer la suppression.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la SARL MV Bar dirigées contre l'État, qui n'est pas la partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL MV Bar est rejetée.

Article 2 : Les passages mentionnés au point 13 de la requête de la SARL MV Bar sont supprimés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée MV Bar et préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président de chambre,

M. Bentolila, président-assesseur,

Mme Beltrami, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2022.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20TL03616


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20TL03616
Date de la décision : 08/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05-04 Police. - Polices spéciales. - Police des débits de boissons.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BÈTHBÉDER
Rapporteur ?: Mme Karine BELTRAMI
Rapporteur public ?: Mme PERRIN
Avocat(s) : CABINET MAILLOT - AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-11-08;20tl03616 ?
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