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27/09/2022 | FRANCE | N°19TL24919

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 27 septembre 2022, 19TL24919


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 245 866,05 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2017 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison des refus successifs de réintégration qui lui ont été opposés et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 1703641 du 7 novembre 2019, le tribunal adm

inistratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser la somme totale de 43 000 euros ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 245 866,05 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 avril 2017 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison des refus successifs de réintégration qui lui ont été opposés et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer ses préjudices.

Par un jugement n° 1703641 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser la somme totale de 43 000 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 décembre 2019 et le 5 octobre 2021 sous le n° 19BX04919 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 19TL24919, Mme B... A..., représentée par Me Passet, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du 7 novembre 2019 en tant qu'il rejette les fautes tirées de la méconnaissance de la priorité instituée par l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 et de la rupture du principe de non-discrimination et d'égal accès aux emplois publics et d'égalité de traitement et a limité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 43 000 euros au titre des préjudices subis ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 172 386,19 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande indemnitaire ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une omission à statuer concernant le préjudice de carrière ;

- il est insuffisamment motivé en ce qu'il ne se prononce pas sur l'ensemble des préjudices invoqués ; la motivation du jugement est lapidaire et stéréotypée ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison du délai anormalement long pour la réintégrer ; le tribunal a commis une erreur en retenant qu'elle devait être réintégrée dans un délai d'un an ; le jugement sera réformé sur ce point ;

- la responsabilité de l'Etat est également engagée en raison de la faute commise en refusant d'accéder à sa demande de mutation, compte tenu de la priorité dont elle bénéficie en raison de son statut de travailleur handicapé en vertu de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 ;

- elle est également engagée en raison de la méconnaissance du principe d'égal accès aux emplois publics, du principe de non-discrimination et du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés ;

- elle a subi un préjudice lié à la perte de rémunération subie, en l'absence de tout revenu de remplacement perçu pendant la période en litige, soit à compter de janvier 2013 : la somme globale de 77 386,19 euros est demandée au titre de ce préjudice économique ;

- elle a subi un préjudice de carrière et un préjudice financier afférent à la pension de retraite à venir qu'il appartient à l'Etat de calculer ; à défaut une somme globale de 60 000 euros lui sera allouée en réparation de ces préjudices ;

- son préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 20 000 euros en raison de la discrimination dont elle a été l'objet en raison de son handicap ;

- elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence qui seront réparés par l'octroi d'une somme de 15 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 septembre 2021 et le 14 octobre 2021, le dernier non communiqué, le ministre de l'intérieur conclut à titre principal, à l'annulation du jugement du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Toulouse et au rejet de la requête de Mme A... et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l'indemnité allouée à de plus justes proportions.

Il fait valoir que :

- les moyens tirés de l'irrégularité du jugement manquent en fait ;

- le délai raisonnable pour permettre sa réintégration excédait nécessairement deux ans ;

- aucune faute ne peut être retenue concernant le rejet de sa demande de mutation et la méconnaissance des principes d'égal accès aux emplois publics, de non-discrimination et d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés ;

- en l'absence de faute commise par l'administration, aucune indemnisation ne saurait être due au titre du préjudice de rémunération ; en tout état de cause, eu égard à l'exigence constante de Mme A... d'être réintégrée sur la commune de Montpellier, le préjudice indemnisable doit être réduit de 50% ;

- elle ne peut se prévaloir d'aucun préjudice de carrière ; le préjudice de retraite est purement éventuel ;

- l'indemnisation allouée au titre du préjudice moral ne saurait excéder la somme de 1 500 euros ;

- la réalité du préjudice lié aux troubles dans les conditions d'existence n'est pas établie.

Par un mémoire enregistré le 1er octobre 2021, la Défenseure des droits a présenté des observations au soutien de Mme A....

Par ordonnance du 15 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 15 octobre 2021.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de Mme A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Passet, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., adjoint administratif de 1ère classe du ministère de l'intérieur, a été affectée en 1990 à la préfecture de la Haute-Garonne sur un emploi réservé du fait de son handicap consistant en une surdité complète. Elle a été placée en disponibilité pour convenances personnelles en décembre 1994, puis à compter du 30 septembre 1998. Par courrier en date du 16 octobre 2012, elle a demandé sa réintégration à la préfecture de la Haute-Garonne ainsi que sa mutation sur un poste au sein de la préfecture de l'Hérault, qui a été rejetée le 8 janvier 2013. Elle a procédé au renouvellement de sa disponibilité le 30 décembre 2013 et a sollicité à nouveau sa réintégration avec mutation sur un poste d'adjoint administratif à Montpellier le 2 avril 2013. Elle a introduit la même demande par un courrier du 7 octobre 2013. Elle a ensuite sollicité le renouvellement de son placement en disponibilité pour un an à compter du 30 décembre 2014. Par un courrier du 19 janvier 2015, Mme A... a sollicité une réintégration par voie de détachement auprès du ministère de l'Education nationale, pour un poste à l'université Paul-Valéry Montpellier 3. Elle a été informée par courrier du 8 juillet 2015 du refus de sa candidature. Sa disponibilité pour convenances personnelles a alors été renouvelée à compter du 30 décembre 2015 pour une durée d'un an. Elle a ensuite présenté, par un courrier du 17 janvier 2016, une demande de détachement auprès du ministère de l'éducation nationale, puis le 15 février 2016, une demande de réintégration-mutation sur un poste d'adjoint administratif à Montpellier à la préfecture de la région Midi-Pyrénées, à la suite de la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Cette demande a été rejetée par le préfet de la région Midi-Pyrénées par un courrier du 8 avril 2016. Mme A... a alors adressé un recours gracieux à l'encontre de cette décision, lequel a été rejeté par le préfet de région le 11 mai 2016. Par une ordonnance n°1603031 du 22 juillet 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a ordonné la suspension de ces deux dernières décisions. Mme A... a été réintégrée dans les services de la préfecture de l'Hérault par arrêté du 19 janvier 2017. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait des refus illégaux successifs opposés à sa demande de réintégration. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser la somme totale de 43 000 euros. Mme A... relève appel de ce jugement et demande de condamner l'Etat à lui verser la somme de 172 386,19 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Il résulte de l'examen du jugement attaqué qu'il précise les motifs pour lesquels la responsabilité de l'Etat n'est engagée qu'en raison du délai anormalement long pour réintégrer Mme A..., à l'exclusion des autres fautes invoquées, notamment l'absence de priorité invoquée en raison du statut de travailleur handicapé de l'intéressée. Le moyen tiré du défaut de motivation du jugement attaqué doit dès lors être écarté.

3. En second lieu, Mme A... a invoqué dans ses écritures de première instance un préjudice de carrière et un préjudice financier afférent à la perte de pension à venir, qu'elle évaluait à la somme globale de 60 000 euros. En se bornant à exposer que l'intéressée ne pouvait prétendre à la réparation du préjudice financier qu'elle subira au moment de sa retraite du fait de son absence de réintégration, les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'une omission à statuer s'agissant des conclusions portant sur le préjudice de carrière invoqué. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions.

4. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées par Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Sur la responsabilité de l'Etat :

5. D'une part, aux termes de l'article 60 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 applicable à l'espèce: " L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires. / Dans les administrations ou services où sont dressés des tableaux périodiques de mutations, l'avis des commissions est donné au moment de l'établissement de ces tableaux. / Toutefois, lorsqu'il n'existe pas de tableaux de mutation, seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation de l'intéressé sont soumises à l'avis des commissions. / Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service, les affectations prononcées doivent tenir compte des demandes formulées par les intéressés et de leur situation de famille. / Priorité est donnée aux fonctionnaires handicapés relevant de l'une des catégories mentionnées aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 5212-13 du code du travail (...) ". Aux termes de l'article L. 5212-13 du code du travail : " Bénéficient de l'obligation d'emploi instituée par l'article L. 5212-2 : 1° Les travailleurs reconnus handicapés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles ; (...) "

6. D'autre part, aux termes de l'article 42 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " La disponibilité est prononcée par arrêté ministériel, soit d'office, soit à la demande de l'intéressé ". Aux termes de l'article 44 du même décret : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : (...) b) Pour convenances personnelles : la durée de la disponibilité ne peut, dans ce cas, excéder trois années ; elle est renouvelable mais la durée de la disponibilité ne peut excéder au total dix années pour l'ensemble de la carrière ". L'article 49 de ce décret dispose que : " (...) Trois mois au moins avant l'expiration de la disponibilité, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement de la disponibilité ou de réintégrer son corps d'origine. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article et du respect par l'intéressé, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service, la réintégration est de droit. / A l'issue de sa disponibilité, l'une des trois premières vacances dans son grade doit être proposée au fonctionnaire. S'il refuse successivement trois postes qui lui sont proposés, il peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire. (...) Le fonctionnaire qui a formulé avant l'expiration de la période de mise en disponibilité une demande de réintégration est maintenu en disponibilité jusqu'à ce qu'un poste lui soit proposé (...) ". Il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire mis en disponibilité sur sa demande a le droit d'obtenir sa réintégration sous réserve de la vacance d'un emploi disponible dans son grade. Si lesdites dispositions n'imposent pas de délai pour procéder à cette réintégration, celle-ci doit intervenir, en fonction des vacances d'emploi qui se produisent, dans un délai raisonnable.

7. Il résulte de l'instruction que Mme A... a sollicité sa réintégration avec mutation sur un poste d'adjoint administratif au sein des services de la préfecture de l'Hérault par un premier courrier du 16 octobre 2012 adressé à la préfecture de la Haute-Garonne. Par un courrier du 8 janvier 2013, la préfecture de la Haute-Garonne l'a informée du rejet de sa demande, à la suite de l'avis défavorable émis par la commission administrative paritaire nationale le 13 décembre 2012. Mme A... a été invitée à renouveler ses souhaits de mutation ainsi que son maintien en disponibilité pour convenances personnelles. Elle a de nouveau sollicité sa réintégration avec mutation sur un poste d'adjoint administratif à Montpellier par courriers du 2 avril 2013 et du 7 octobre 2013, puis a sollicité une réintégration par voie du détachement auprès du ministère de l'Education nationale, pour un poste à l'université Paul-Valéry Montpellier le 19 janvier 2015, en vain. Par un courrier du 17 janvier 2016, elle a également introduit une demande de détachement auprès du ministère de l'éducation nationale, avant de réitérer sa demande de réintégration avec mutation sur un poste d'adjoint administratif à Montpellier, auprès de la préfecture de la région Midi-Pyrénées le 15 février 2016. Celle-ci a également été rejetée, de même que son recours gracieux présenté le 28 avril 2016 par lequel elle faisait état de la nécessité pour elle d'être réintégrée, y compris sur un demi-poste, compte-tenu des problèmes chroniques de santé de son conjoint, également reconnu travailleur handicapé. Alors que selon les dispositions prévues à l'article 49 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions, l'administration était tenue de lui proposer, en fonction de la vacance des postes et dans un délai raisonnable, l'une des trois premières vacances dans son grade, il est constant qu'aucune proposition n'a été adressée à Mme A... à la suite de ses demandes présentées à compter du 16 octobre 2012. Si le ministre de l'intérieur fait valoir qu'aucun poste situé à Montpellier correspondant au grade de Mme A... et adaptable au handicap de la requérante, qui est atteinte d'une surdité totale de naissance, n'était vacant, il ne l'établit par aucune pièce. Alors que l'appelante bénéficiait d'un droit de priorité pour l'obtention d'une mutation à Montpellier tant en sa qualité de travailleur handicapé qu'en raison de sa demande de rapprochement avec son conjoint, le ministre n'établit pas que les services de l'Etat auraient accompli toutes les diligences nécessaires pour trouver un emploi à Mme A.... Ainsi, alors que celle-ci a formulé des vœux d'affectation sur six postes vacants en avril 2013 et sur six autres postes vacants en octobre 2013, le ministre ne démontre pas que Mme A... ne pouvait occuper aucun des postes sur lesquels elle a postulé. Eu égard à la taille de la préfecture de l'Hérault, à la nature des fonctions pouvant être exercées par Mme A... ainsi qu'à la nécessité d'adaptation de son poste à son handicap, le délai raisonnable dont disposait l'administration pour permettre sa réintégration doit être fixé à un an, ainsi que l'ont à bon droit estimé les premiers juges. Toutefois, compte-tenu de la date de sa première demande et des dispositions énoncées à l'article 49 du décret du 16 septembre 1985, ce délai d'un an n'a pu commencer à courir qu'à l'issue de la fin de la période de disponibilité pour convenances personnelles, soit le 29 décembre 2012. Dès lors, il appartenait à l'administration de réintégrer Mme A... à compter du 29 décembre 2013. Il s'ensuit que les refus de réintégrer Mme A..., qui a intégré la fonction publique par le biais des emplois réservés aux personnes en situation de handicap le 16 février 1984 et dont la qualité de travailleur handicapé a été reconnue en dernier lieu par décisions du 26 novembre 2012 et du 13 juin 2017 de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées et qui bénéficiait dès lors d'une priorité pour ce motif, constituent une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.

8. Selon l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur handicap (...). Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions ". L'égalité de traitement à laquelle ont droit les agents d'un même corps fait obstacle à ce que puissent être établies et appliquées, en matière de mutation, des règles discriminatoires au détriment de certains d'entre eux, à moins que des circonstances particulières ne légitiment l'instauration de telles règles dans l'intérêt du service.

9. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

10. Ainsi qu'il a été exposé au point 7, l'administration n'a adressé aucune proposition de poste à Mme A... à la suite de ses demandes de réintégration présentées à compter du 16 octobre 2012. Il est constant que l'appelante n'a été réintégrée qu'à compter du 1er février 2017, après avis favorable émis sur sa demande de mutation par la commission administrative paritaire locale le 3 novembre 2016. Sa réintégration est par ailleurs intervenue à la suite de la décision rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 22 juillet 2016 faisant injonction au préfet de la Haute-Garonne de réexaminer la demande de l'intéressée dans un délai de trois mois, en raison de la suspension de l'exécution des décisions des 8 avril et 11 mai 2016 de refus de la réintégrer. Il résulte également de l'instruction que Mme A... a sollicité sa réintégration et sa mutation dans le département de l'Hérault après avoir été placée en disponibilité pour convenances personnelles de mars 1990 à fin août 1991, puis de manière continue à compter du 30 décembre 1994, après avoir bénéficié d'un congé parental pendant une durée totale de deux ans et quatre mois. Si elle fait valoir que l'Etat a commis une faute en refusant de la réintégrer du fait de son handicap, il ne résulte cependant d'aucune pièce que le délai de plus de quatre ans qui s'est écoulé à la suite de sa première demande de réintégration serait de nature à présumer l'existence d'une discrimination à son encontre en raison de son handicap. Ainsi, la circonstance que les services préfectoraux lui demandaient de renouveler sa disponibilité ne saurait révéler par elle-même une discrimination, alors qu'il appartenait à l'administration de la placer dans une situation légale et règlementaire dans l'attente de sa réintégration. Ni le courrier adressé à la Défenseure des droits et au préfet de l'Hérault, le 21 octobre 2015 par M. Malek, conseiller municipal de la commune de Montpellier et délégué à la lutte contre la discrimination, ni les observations émises par la Défenseure des droits, ne sont de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination à l'encontre de Mme A... ou de nature à établir que les principes d'égal accès aux emplois publics et d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés auraient été méconnus. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'aucune faute de l'Etat n'était susceptible d'être retenue pour ce motif.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices subis du fait de son absence de réintégration à compter du 29 décembre 2013.

Sur l'indemnisation :

12. Il résulte des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique qu'un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité sont ainsi indemnisables. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la réparation du préjudice financier de Mme A... porte sur une période de trente-sept mois, compte-tenu de la date de réintégration effective de l'intéressée. Au cours de cette période, elle n'a perçu aucun revenu de remplacement, ainsi qu'elle en justifie par ses avis d'imposition portant sur les années 2013 à 2017. Il résulte de l'instruction qu'elle a été reclassée au 3ème échelon du grade d'adjoint administratif de 1ère classe, correspondant à l'indice majoré 320, par arrêté du 21 juillet 2014 prenant effet au 1er février 2014. Elle a ensuite été reclassée au grade d'adjoint principal de 2ème classe, échelle C2, au 2ème échelon au 1er février 2017, à la suite de la fusion des grades d'adjoint administratif de 1ère classe et de 2ème classe, correspondant à l'indice majoré 330, et a perçu un traitement mensuel de 1 579,31 euros nets lors de sa réintégration. Il résulte cependant de l'instruction, notamment de la fiche individuelle synthétique produite par le préfet de la Haute-Garonne devant le tribunal, ainsi que du courrier du 18 décembre 2017 concernant son régime indemnitaire au titre de l'année 2017 produit par Mme A..., que l'intéressée a été placée à temps partiel à 60% à compter du 1er avril 2017, soit deux mois après sa réintégration. Dans les circonstances de l'espèce, au regard de l'ensemble de ces éléments, les premiers juges ont correctement évalué le préjudice financier subi par Mme A... en raison de la perte de chance sérieuse d'être réintégrée sur un poste lui convenant en condamnant l'Etat à lui verser une somme totale de 40 000 euros.

14. En deuxième lieu, si Mme A... demande la réparation de son préjudice de carrière en raison d'un défaut d'avancement à compter de 2012, en exposant qu'elle aurait dû être reclassée à l'échelon 5 du grade d'adjoint administratif de 1ère classe au 1er janvier 2017, correspondant à l'indice 327. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, l'appelante a été reclassée au grade d'adjoint principal de 2ème classe au 1er février 2017, à l'indice 330. Par suite, le préjudice de carrière allégué n'est pas établi.

15. En troisième lieu, Mme A... demande également la réparation du préjudice financier qu'elle subira au moment de sa retraite du fait de son absence de réintégration. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... aurait déjà pu faire valoir ses droits à la retraite à la date du présent arrêt. Ainsi, le préjudice qu'elle invoque qui résulterait d'une minoration de la pension qui lui sera versée, présente à l'heure actuelle un caractère incertain.

16. En quatrième lieu, si Mme A... sollicite le versement de la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral en raison de la discrimination subie liée à son handicap, il résulte de ce qui a été dit au point 10 qu'aucune faute n'a été commise par l'Etat pour ce motif.

17. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que la faute commise par l'Etat du fait de son refus de réintégrer Mme A... pendant trois ans est à l'origine directe de troubles dans ses conditions d'existence résultant en particulier de son absence de perspectives, alors que son conjoint a été placé en congé de longue maladie pendant une durée de neuf mois à compter du 30 août 2016. Alors que l'appelante a renouvelé ses demandes de réintégration, démontrant sa volonté de reprendre une activité professionnelle, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice, au regard de l'inertie dont a fait preuve l'administration, en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.

18. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, d'une part, que Mme A... est seulement fondée à demander que la somme que le tribunal lui a allouée en réparation de ses préjudices soit portée à 45 000 euros et, d'autre part, qu'il y a lieu de rejeter les conclusions du ministre de l'intérieur présentées par la voie de l'appel incident.

Sur les intérêts :

19. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts au taux légal sur le montant de l'indemnité allouée sont dus, quelle que soit la date de la demande préalable, à compter du jour où cette demande est parvenue à l'autorité compétente ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Par suite, Mme A... a droit aux intérêts sur la somme de 45 000 euros, à compter du 5 avril 2017.

Sur les frais de l'instance :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 7 novembre 2019 est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions relatives au préjudice de carrière.

Article 2 : L'indemnité que l'Etat a été condamné à verser à Mme A... est portée à 45 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2017.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 7 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... et les conclusions de l'Etat présentées par la voie de l'appel incident sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la Défenseure des Droits.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2022.

La rapporteure,

A. Blin

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°19TL24919 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Toulouse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19TL24919
Date de la décision : 27/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Disponibilité - Réintégration.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Anne BLIN
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : PASSET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2022-09-27;19tl24919 ?
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