Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les décisions en date du 19 juillet 2019 par lesquelles la ministre des armées a refusé de reconnaître imputables au service d'une part, l'accident subi le 2 septembre 2015, d'autre part, le syndrome anxio-dépressif dont il souffre, d'ordonner à la ministre des armées de le placer dans une position régulière et lui accorder un plein traitement à compter du 2 septembre 2015 et de mettre à la charge de l'Etat, dans chaque instance une somme de 1 500 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Par un jugement n°s 1905028 et 1905059 du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 19 juillet 2019 par laquelle la ministre des armées a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de M. B... et enjoint à la ministre de reconnaître la maladie dont est victime M. B... depuis le 10 septembre 2015 comme imputable au service, et de le placer en congé de maladie à plein traitement, du 10 septembre 2015 jusqu'à la date de consolidation de son état de santé et rejeté le surplus des conclusions des requêtes.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés les 2 juin et 22 décembre 2021, sous le n°21MA02091 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 1er mars 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n° 21TL02091, la ministre des armées demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 2 avril 2021 en tant qu'il a fait droit à la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de M. B....
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal retient l'existence d'un lien direct entre le service et la pathologie de M. B... et qu'il se fonde exclusivement sur un rapport d'expertise sans valeur probante ;
- le tribunal, qui s'est estimé lié par un rapport d'expertise lacunaire, a insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur d'appréciation quant à l'existence d'un lien entre pathologie et service ;
- le comportement de M. B... a contribué au contexte professionnel auquel il impute sa maladie ; il a très largement contribué à la persistance du conflit professionnel qu'il vivait, en acceptant difficilement l'autorité hiérarchique de l'adjoint du directeur et en lui faisant des remarques désobligeantes en public et en adoptant au mois d'août 2015 un comportement totalement inapproprié ; M. B... a ainsi perturbé le fonctionnement du service par son refus de se présenter aux entretiens fixés par l'adjoint et par la suppression sans lecture des courriels de ses collaborateurs ; il s'est également présenté, le 14 août 2015, en sous-vêtements dans le bureau de l'adjoint qui se trouvait en entretien en lui recommandant de bien noter l'incident dans son rapport et est parti en congés, le 17 août, sans autorisation de sa hiérarchie ; ces faits personnels, cause déterminante de la dégradation de ses conditions d'exercice professionnel, sont des circonstances particulières de nature à détacher la survenance de la maladie du service ;
- les difficultés personnelles de M. B..., par leur ampleur et leur ancienneté, constituent des circonstances particulières de nature à détacher la survenance de la maladie du service ;
- le contexte professionnel révèle des conditions de travail normales et ne revêt pas un caractère pathogène ; la circonstance non contestée que sa maladie ait un lien avec le contexte professionnel, n'est pas suffisante pour la rendre imputable au service.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 2 août 2021 et 9 mars 2022, M. B..., représenté par la SELARL Olivier Trilles Victor Font, agissant par Me Font, conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement contesté en toutes ses dispositions et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que son état anxio-dépressif doit être reconnu comme imputable au service en application des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, que le tribunal ne s'est pas fondé exclusivement sur les conclusions du rapport d'expertise, que l'administration a, par un arrêté du 19 mai 2021, régularisé sa situation administrative, qu'il n'a pas commis de faute personnelle détachable du service, que les faits sont survenus dans le cadre de l'exercice de ses fonctions et à raison des conditions d'exercice desdites fonctions.
Par une ordonnance du 9 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., chef de la section ingénierie de la maintenance au sein de l'unité de ..., a déclaré un accident de service, le 2 septembre 2015, et a été placé en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif. Déclaré temporairement inapte à l'exercice de ses fonctions le 8 septembre 2015, il est demeuré en congé maladie depuis le 10 septembre 2015. Le 2 janvier 2018, il a déposé une demande de reconnaissance d'imputabilité au service, d'une part, d'un accident de service survenu le 2 septembre 2015 et, d'autre part, du syndrome dépressif dont il souffre depuis le 10 septembre 2015. Par deux décisions du 19 juillet 2019, la ministre des armées a rejeté les deux demandes. Par un jugement du 2 avril 2021, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 19 juillet 2019 par laquelle la ministre des armées a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de M. B... et a enjoint à la ministre de reconnaître la maladie dont est victime M. B... depuis le 10 septembre 2015 comme imputable au service, et de le placer en congé de maladie à plein traitement, du 10 septembre 2015 jusqu'à la date de consolidation de son état de santé. La ministre des armées relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de M. B....
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements doivent être motivés. ". Au point 9 du jugement, le tribunal, qui ne s'est pas exclusivement fondé sur le rapport d'expertise du docteur C... du 10 septembre 2018, ni ne s'est cru lié par ses conclusions, a indiqué les motifs pour lesquels la pathologie de M. B... présentait un lien direct avec l'exercice de ses fonctions. Ce faisant, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable au litige : Le fonctionnaire en activité a droit : / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) ".
4. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
5. Par une lettre du 2 janvier 2018, M. B... a notamment sollicité la reconnaissance de maladie professionnelle de son affection consistant en un syndrome dépressif, en raison des agissements qu'il a subis de la part de l'adjoint du chef de l'unité de ..., relevant, selon lui, d'un harcèlement moral. La commission de réforme, par un avis du 7 mars 2019, a estimé la maladie non imputable au service. Par une décision du 19 juillet 2019, la ministre des armées a suivi cet avis et informé M. B... de son refus de reconnaître la maladie déclarée comme imputable au service.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'une mésentente profonde est très vite apparue entre M. B... et l'adjoint du chef de l'unité, dès l'affectation de ce dernier en septembre 2012 et que ces difficultés relationnelles ont amené le chef de structure à les convoquer, le 14 février 2013, pour entendre leurs griefs respectifs et les appeler à une indulgence réciproque. Il ressort également des pièces du dossier que ces relations dégradées et conflictuelles ont perduré, notamment au cours de l'année 2014 durant laquelle M. B... a souffert d'un épuisement professionnel et a été, en conséquence, placé en arrêt maladie en septembre 2014, pour trois semaines. A son retour, l'intéressé a ainsi fait part, par courriel adressé le 14 novembre 2014 au chef de structure, des difficultés quotidiennes qu'il continuait de rencontrer avec son supérieur direct et de la dégradation continue de son état de santé depuis son arrêt maladie. Au cours de l'année suivante, par un courriel du 1er avril 2015, M. B... a informé un représentant syndical de sa souffrance au travail en lien avec une situation vécue de harcèlement moral. Après que la commission des risques psycho-sociaux a été saisie de son cas, le 22 juillet 2015, le directeur de l'établissement du service ... a informé M. B..., par une lettre du 26 juillet 2015 de la prochaine mise en place d'une nouvelle organisation comprenant un aménagement de son poste permettant de réduire le volume des rapports avec l'adjoint du chef d'unité. Après que, le 2 septembre 2015, M. B... a été reçu par le chef de l'unité, qui l'a informé de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre pour des faits d'insubordination envers son adjoint, le médecin du travail a conclu, le 8 septembre 2015, à son inaptitude temporaire à l'exercice des fonctions et son médecin généraliste a établi le surlendemain un arrêt de travail d'un mois pour un " syndrome dépressif réactionnel ". Enfin, le rapport d'expertise du docteur C... du 10 septembre 2018, dont les conclusions ne sont pas utilement contredites par la ministre des armées, indique que les troubles décrits sur l'arrêt de travail du 10 septembre 2019 sont en lien direct avec les conditions de travail de l'intéressé. Il résulte de cet ensemble d'éléments que le contexte professionnel a été propre à susciter l'apparition et le développement de la maladie de M. B..., qui ne présentait pas d'état antérieur et que le risque professionnel est ainsi caractérisé alors que l'administration admet elle-même dans ses écritures qu'elle avait identifié deux facteurs de risques psycho-sociaux portant sur la charge de travail de l'intéressé ainsi que sur ses rapports conflictuels avec l'adjoint du chef d'unité.
7. L'administration expose que le comportement de M. B... a très largement contribué à la persistance du conflit professionnel l'opposant à l'adjoint du chef de l'unité, tout particulièrement durant le mois d'août 2015 au cours duquel il a perturbé le fonctionnement du service notamment par son refus de se présenter aux entretiens fixés par l'adjoint, par sa présentation, le 14 août 2015, en sous-vêtements dans le bureau de l'adjoint qui se trouvait alors en entretien ou encore par son départ en congés sans autorisation de sa hiérarchie. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce comportement inapproprié, de même que les remarques désobligeantes en public que l'intéressé a pu occasionnellement adresser à l'adjoint du directeur, seraient la cause déterminante de la dégradation des conditions d'exercice professionnel de l'agent, qui est d'ailleurs bien antérieure à la période du mois d'août 2015. Par ailleurs, l'administration n'établit, par aucun élément, que les difficultés de couple de M. B... seraient la cause exclusive et prépondérante du syndrome dont il souffre.
8. Il résulte de ce qui précède que la ministre des armées n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a fait droit à la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie de M. B....
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à M. B... au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le recours de la ministre des armées est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Anne Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.
Le rapporteur,
T. Teulière
La présidente,
A. Geslan-Demaret
La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21TL02091