Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 120 000 euros, assortie des intérêts moratoires, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle aurait été la victime et de l'illégalité de sa mutation d'office.
Par un jugement n° 2015016 du 9 avril 2024, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 24 juin et 12 décembre 2024 et
10 février 2025, Mme B..., représentée par Me Boulay, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de ses décisions fautives et du harcèlement moral dont elle a été la victime, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande indemnitaire ;
3°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué a omis de statuer sur la responsabilité de la région Ile-de-France du fait de plusieurs décisions fautives ;
- il a omis de statuer sur le préjudice moral que lui a causé sa mutation d'office ;
- il est entaché d'erreurs de fait, d'erreurs de qualification juridique des faits et d'erreurs de droit ;
- elle a subi les pratiques managériales insécurisantes de sa hiérarchie, excédant l'exercice de son pouvoir hiérarchique, et plusieurs décisions fautives relatives à sa mutation d'office le 12 juillet 2016, au refus de lui accorder la protection fonctionnelle opposé en outre en méconnaissance du principe d'impartialité, à sa " placardisation ", à des refus de mutation et au refus de la réintégrer dans son emploi de responsable d'antenne Nord-Est en exécution du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 6 décembre 2018, en méconnaissances des articles 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 16 de la Constitution, qui constituent, prises dans leur ensemble, des agissements de harcèlement moral ;
- ce harcèlement moral et ces décisions fautives lui ont causé un préjudice de carrière et un préjudice moral.
Par des mémoires en défense enregistrés les 12 novembre 2024 et 23 janvier 2025, la région Ile-de-France, représentée par la SELARL Reinhart Marville Torre, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable car tardive ;
- les conclusions de la requérante tendant à être indemnisée au titre des décisions fautives autres que celle de mutation d'office sont irrecevables car nouvelles en appel ;
- le jugement attaqué est régulier ;
- elle n'a commis aucune faute ;
- les préjudices allégués par la requérante ne sont pas établis, pas plus que leur lien direct et certain avec les fautes qu'elle aurait commises.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- les conclusions de Mme Breillon, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gilavert, substituant Me Levain, pour la région
Ile-de-France.
Une note en délibéré a été produite pour la région Ile-de-France le 20 juin 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., attachée territoriale, est affectée à la région Ile-de-France depuis le mois de mars 2003. Elle a été nommée responsable de l'antenne RH Nord-Est au mois d'avril 2008 au sein de la sous-direction de la gestion des ressources humaines des lycées (SD GRHL) de l'unité personnels et ressources humaines (UPRH). Par une décision du 12 juillet 2016, elle a été mutée d'office sur le poste d'adjointe au chef du service ressources et information de l'unité Lycées. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Paris du 6 décembre 2018, confirmé en appel. Par un courrier daté du 1er septembre 2020, elle a demandé l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de plusieurs fautes commises par la région. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de la région Ile-de-France à l'indemniser de ces préjudices.
Sur les fins de non-recevoir :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) ". Aux termes de l'article R. 751-3 du même code : " Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le courrier de notification du jugement attaqué a été distribué à Mme B... le 25 avril 2024. Par suite, contrairement à ce que soutient la région Ile-de-France, sa requête, enregistrée le 24 juin 2024, n'est pas tardive.
4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que
Mme B... a invoqué, devant le tribunal, les fautes de la région Ile-de-France tirées du refus de lui accorder la protection fonctionnelle, de son affectation sur un poste ne correspondant pas à son grade, des refus de lui accorder les mobilités qu'elle sollicitait et de sa résistance pour exécuter le jugement du 6 décembre 2018. Il en découle que ses demandes devant la Cour tendant à être indemnisée des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de ces fautes ne sont pas fondées sur des faits générateurs distincts de ceux dont l'indemnisation était demandée en première instance, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'indemnisation n'y était demandée qu'au titre du harcèlement moral auxquels ces faits auraient participé. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la région Ile-de-France, tirée de l'irrecevabilité des conclusions tendant à sa condamnation au titre de ces fautes, doit être écartée.
Sur la responsabilité au titre du harcèlement moral :
5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si les qualités professionnelles de Mme B... sur son poste de responsable de l'antenne RH Nord-Est ont été reconnues tant par sa hiérarchie que par plusieurs de ses collègues, ses relations avec la sous-directrice
GRH Lycées affectée à compter du mois de novembre 2011 et, dans une moindre mesure, avec la directrice générale adjointe du pôle ressources humaines affectée à compter du mois de janvier 2016 se sont dégradées en raison des difficultés de Mme B... à admettre les décisions de ses supérieures hiérarchiques. Les courriers et notes qu'elle produit, tels son courrier du 26 mars 2015 relatif à la modification de la fiche de poste de son adjointe, le
compte-rendu de la réunion du 12 novembre 2015, ou les échanges relatifs à la mobilité d'un agent, témoignent à cet égard de sa propension à remettre en cause, de manière parfois chicanière, les décisions de sa hiérarchie et leur formulation, et à employer à son égard un ton inadapté. En outre, contrairement à ce que soutient Mme B..., il ne résulte pas de l'instruction que sa sous-directrice aurait excédé son pouvoir hiérarchique en mettant en cause, dans son évaluation au titre de l'année 2012, sa capacité à contribuer à un climat de travail harmonieux, ni en lui reprochant d'avoir annulé, le 11 mai 2016, sa venue dans un lycée en grève, sans l'en avoir avertie au préalable. Par ailleurs, le reproche qu'elle a fait à
Mme B..., dans un courriel du 19 novembre 2015, de porter à son encontre des " accusations calomnieuses ", faisait suite à la remise en cause de sa parole par Mme B... avec un autre service en copie. Il résulte d'ailleurs de l'instruction que loin d'obtempérer à la demande de sa supérieure d'adopter un comportement respectueux à son égard, Mme B... a réitéré ses propos et mis en cause ses méthodes de management. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les reproches que lui a adressés la directrice générale adjointe du pôle ressources humaines par un courrier du 6 avril 2016 n'étaient pas adaptés, la circonstance que la médiation refusée par Mme B... n'était pas mise en œuvre par une personne extérieure et indépendante étant à cet égard sans incidence. Dans ces conditions, le management auquel a été exposée la requérante lorsqu'elle était responsable de l'antenne RH Nord-Est n'est pas de nature à révéler des agissements susceptibles de caractériser un harcèlement moral.
7. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le refus d'accorder à
Mme B... la protection fonctionnelle qu'elle a sollicitée le 8 juin 2016 pour des faits de diffamation n'était pas justifié, faute pour Mme B... d'établir avoir fait l'objet d'une telle diffamation. Mme B... ne peut par ailleurs sérieusement soutenir que ce refus aurait été décidé par la directrice générale adjointe du pôle ressources humaines en méconnaissance du principe d'impartialité, s'agissant d'une décision implicite.
8. En troisième lieu, par un jugement n° 1700062 du 6 décembre 2018, confirmé en appel, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 12 juillet 2016 par laquelle la présidente du conseil régional d'Ile-de-France a muté d'office Mme B... sur le poste d'adjointe au chef de service " Ressources et informations ", au motif qu'il s'agissait d'une sanction déguisée. Si la requérante soutient que ce poste correspondait à un poste de catégorie B ou C, et que son chef de service d'alors souligne que les compétences de son service ont été sérieusement impactées au début de l'année 2016, il ressort de ses comptes-rendus d'entretien d'évaluation au titre des années 2016 à 2018 qu'elle a été évaluée au regard d'une fiche de poste d'adjointe au chef de service correspondant à un poste de catégorie A, bien que cette affectation ait eu pour effet une baisse de ses responsabilités et ait présenté pour elle un intérêt moindre que son précédent poste. En outre, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que la décision de muter d'office Mme B... a été prise pour des considérations étrangères à tout harcèlement.
9. En quatrième lieu, en l'absence de précisions sur les motifs qui lui ont été opposés, et alors qu'elle était affectée sur son poste depuis moins d'un an, la circonstance que les candidatures de Mme B... sur plusieurs postes, formées entre le 23 décembre 2016 et le 13 février 2017, aient été rejetées n'est pas de nature à laisser présumer des agissements de harcèlement moral. Il résulte en revanche de l'instruction, d'une part, que sa candidature au poste de directeur de la transformation, alors ouvert aux seuls attachés, a été rejetée au profit de celle d'un agent contractuel, dont la nomination a été annulée par un jugement n° 1812152 du 6 novembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil au motif que l'impossibilité de recruter un fonctionnaire sur ce poste n'était pas établie, d'autre part, que la région, à la suite de cette annulation, a décidé de n'ouvrir le poste qu'aux administrateurs pour pouvoir recruter à nouveau le même agent contractuel, commettant à nouveau une faute. Il ressort toutefois des écritures mêmes de Mme B... que l'agent ainsi recruté travaillait déjà pour la région en qualité de " collaborateur - stratégie et transformation auprès de la DRH " depuis la fin de l'année 2016 et qu'ainsi le comportement de la région, quoique fautif, a eu pour seul objet de s'assurer du recrutement de cet agent et est dès lors étranger à tout harcèlement.
10. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction que Mme B... a été nommée chef de service des équipements à compter du 1er juillet 2019 et a bénéficié, à compter du mois de septembre 2019, d'une formation qualifiante de médiatrice, financée par la région pour un montant de 5 900 euros. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qui a été dit précédemment, il ne résulte pas de l'instruction que la région Ile-de-France aurait cherché à " placardiser " l'intéressée à compter de 2016.
11. En dernier lieu, Mme B... est fondée à soutenir que le jugement du
6 décembre 2018 d'annulation de sa mutation d'office impliquait sa réintégration dans son ancien poste de responsable d'antenne, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle y aurait expressément renoncé avant le 18 mars 2021. La région Ile-de-France a dès lors commis une faute en n'y procédant qu'à compter du 15 mars 2021. La non-exécution de ce jugement n'est toutefois pas, en tant que telle, et dès lors que le poste en question n'était pas vacant, de nature à laisser présumer des agissements de harcèlement moral. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que la suppression des antennes Nord-Est et Sud-Est et leur fusion au sein d'une sous-direction au cours de l'année 2021 ait été motivée par la nécessité de réintégrer
Mme B... dans son poste, alors que des circonstances comparables, liées à la réunion des deux antennes sur le même site et du départ de l'un des responsables, avaient déjà conduit à cette nouvelle organisation pour les antennes Nord-Ouest et Sud-Ouest.
12. Au regard de tout ce qui précède, si la région Ile-de-France a commis plusieurs fautes dans la gestion de la carrière de Mme B..., il ne résulte pas de l'instruction que ses agissements, pris dans leur ensemble, caractérisent un harcèlement moral.
Sur la responsabilité au titre des autres fautes :
13. Il découle de ce qui a été dit aux points 8, 9 et 11 que la région Ile-de-France a commis plusieurs fautes, en mutant Mme B... par une décision du 12 juillet 2016, en ne décidant de la réintégrer dans ses anciennes fonctions qu'à compter du 15 mars 2021, et en ne la nommant pas directrice de la transformation.
14. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que ces fautes, qui ont d'ailleurs pour certaines permis à l'intéressée de diversifier son parcours professionnel, auraient nui à la carrière de Mme B... et lui auraient fait perdre une chance sérieuse d'accéder à des postes de direction plus élevés que ceux auxquels elle a déjà accès, ou au grade d'attaché hors classe.
15. D'autre part, Mme B... est fondée à demander, pour la première fois en appel, à être indemnisée du préjudice moral que lui ont causé ces décisions fautives. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 4 000 euros.
Sur les intérêts :
16. Mme B... peut prétendre aux intérêts au taux légal sur la somme de 4 000 euros à compter de la réception de sa demande préalable, le 2 septembre 2020.
17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande à hauteur de la somme de 4 000 euros, assortie des intérêts.
Sur les frais du litige :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région
Ile-de-France la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter la demande de la région Ile-de-France présentée sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2015016 du 9 avril 2024 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La région Ile-de-France est condamnée à verser une somme de 4 000 euros à
Mme B..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2020.
Article 3 : La région Ile-de-France versera la somme de 1 500 euros à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la région Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Doumergue, présidente de chambre,
Mme Bruston, présidente-assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2025.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
M. DOUMERGUE
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24PA02760 2