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10/07/2025 | FRANCE | N°24PA04366

France | France, Cour administrative d'appel de PARIS, 3ème chambre, 10 juillet 2025, 24PA04366


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2410318 du 26 septembre 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribun

al administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 28 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2410318 du 26 septembre 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 24 octobre 2024, Mme B... A..., représentée par

Me Pafundi, demande à la Cour

1°) d'annuler le jugement n° 2410318 du 26 septembre 2024 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un

an ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Pafundi, en contrepartie de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle n'a pas été précédée d'un examen complet et sérieux de sa situation ;

- elle méconnait les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2025, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une décision du 8 janvier 2025, le bureau d'aide juridictionnelle a admis

Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Les parties ont été informées le 24 juin 2025, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le juge d'appel était susceptible de procéder d'office à une substitution de base légale, la décision attaquée portant interdiction de retour sur le territoire français trouvant sa base légale, non dans les dispositions de l'article

L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celles de l'article L. 612-8 du même code.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme Palis De Koninck a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante mauritanienne née le 1er décembre 1967, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 10 novembre 2023, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 15 mai 2024. Par un arrêté du 28 juin 2024, le préfet de la Seine-Saint-Denis l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme A... relève appel du jugement susvisé du 26 septembre 2024 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, d'écarter le moyen tiré du défaut d'examen de la situation de Mme A....

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". D'autre part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

4. A l'appui de ces moyens, Mme A... soutient qu'elle est entrée en France avec son petit-fils mineur qui a déposé une demande d'asile le 22 juillet 2024 et que la décision l'obligeant à quitter le territoire va conduire à leur séparation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la requérante et son petit-fils né en 2017, également de nationalité mauritanienne, sont entrés très récemment en France et ne se prévalent d'aucune attache familiale sur le territoire national. Il n'est pas établi qu'ils ne pourraient pas reconstruire leur cellule familiale en Mauritanie. Si une demande d'asile a été déposée au bénéfice du petit-fils de Mme A..., ce dernier a été convoqué au guichet unique asile de la préfecture le 22 juillet 2024, soit après l'adoption de l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme A... en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en l'obligeant à quitter le territoire français, ni méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

5. En troisième lieu, Mme A... ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. En tout état de cause, elle ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité des risques personnels qu'elle encourrait en cas de retour en Mauritanie, alors même que sa demande d'asile a été rejetée tant par l'OFPRA que par la CNDA. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour :

6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est entachée d'aucune illégalité. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à exciper de son illégalité à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire national contenue dans le même arrêté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour.

(...) ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français./ Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

8. Le préfet de la Seine-Saint-Denis dans l'arrêté contesté cite explicitement les dispositions de l'article L. 612-6 et considère qu'aucune circonstance humanitaire n'empêche que Mme A... soit interdite de retour sur le territoire français, celle-ci ne justifiant pas " d'une situation personnelle et familiale en France ". Or, les dispositions de l'article L. 612-6 s'appliquent lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, ce qui n'est pas le cas de Mme A.... La décision d'interdiction de retour est donc fondée sur une base légale erronée.

9. Toutefois, lorsque le juge administratif constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée et sur lequel s'est fondée l'autorité administrative, il peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder soit à la demande des parties soit de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce dernier cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

10. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'elles peuvent être substituées à celles de l'article

L. 612-6 du même code sur lesquelles l'autorité administrative a fondé initialement sa décision, dès lors qu'elles ont le même objet, que l'autorité administrative dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces dispositions et que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver la requérante d'une garantie.

11. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que Mme A..., entrée très récemment en France, ne démontre pas avoir établi en France le centre de sa vie privée et familiale et qu'il en est de même s'agissant de son petit-fils. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir qu'en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, alors d'ailleurs qu'un telle mesure peut être édictée pour une durée allant jusqu'à cinq ans, le préfet de la Seine-Saint-Denis aurait méconnu les dispositions précitées des articles

L. 612-8 et L. 612-10 ou aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiales au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ces trois moyens doivent être écartés.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 28 juin 2024. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2025 à laquelle siégeaient :

M. Delage, président de chambre,

Mme Labetoulle, première conseillère,

Mme Palis De Koninck, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.

La rapporteure,

M. PALIS DE KONINCK

Le président,

Ph. DELAGE

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24PA04366


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24PA04366
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DELAGE
Rapporteur ?: Mme Mélanie PALIS DE KONINCK
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : ANGLADE & PAFUNDI A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;24pa04366 ?
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