Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Transport Declik a demandé au tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 mai 2018.
Par un jugement n° 2010719 du 21 décembre 2023, rectifié par une ordonnance de la présidente de cette juridiction du 19 janvier 2024, le tribunal administratif de Melun, après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer à hauteur du dégrèvement de la somme de 3 928 euros prononcé en cours d'instance, a déchargé la société Transport Declik des rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de la remise en cause de la déductibilité de la taxe portée sur les factures émises par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, ainsi que des majorations correspondantes, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédures devant la Cour :
I. - Par une requête, enregistrée le 12 avril 2024 sous le n° 24PA01698, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement n° 2010719 du tribunal administratif de Melun du 21 décembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande de la SARL Transport Declik présentée devant le tribunal administratif de Melun ;
3°) de remettre à la charge de la SARL Transport Declik les rappels et majorations dont la décharge a été prononcée par le tribunal.
Il soutient que les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscale n'ont pas été méconnues, en l'absence de document résultant de la consultation du système d'immatriculation des véhicules susceptible de pouvoir être communiqué.
La requête a été communiquée à la SARL Transport Declik, représentée par Me Sophie Tcherniavsky, en sa qualité de liquidateur judiciaire, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II. - Par une requête, enregistrée le 12 avril 2024 sous le n° 24PA01699, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement n° 2010719 du tribunal administratif de Melun en date du 21 décembre 2023.
Il soutient que :
- les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscale n'ont pas été méconnues, en l'absence de document résultant de la consultation du système d'immatriculation des véhicules susceptible de pouvoir être communiqué à la SARL Transport Declik ;
- la restitution à la SARL Transport Declik des sommes versées en règlement des impositions en litige expose l'Etat à un risque de perte définitive de sa créance dès lors que la société a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Créteil du 15 novembre 2023.
La requête a été communiquée à la SARL Transport Declik, représentée par Me Sophie Tcherniavsky, en sa qualité de liquidateur judiciaire, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lorin,
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Transport Declik, spécialisée dans le transport de colis, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 mai 2018 lui ont été notifiés. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un même arrêt, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel du jugement du tribunal administratif de Melun en date du 21 décembre 2023 en tant qu'il a déchargé la SARL Transport Declik des rappels résultant de la remise en cause du caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée portée sur les factures émises par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, ainsi que des majorations correspondantes, et il demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la requête n° 24PA01698 :
En ce qui concerne le moyen de décharge retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a effectivement utilisés pour établir les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.
3. Il résulte de la proposition de rectification du 18 décembre 2018 notifiée à la SARL Transport Declik que le vérificateur a exercé le droit de communication dont il dispose en application des articles L. 81 et L. 83 du livre des procédures fiscales, en interrogeant le système informatique d'immatriculation des véhicules (SIV), auquel l'administration fiscale a accès en vertu d'une convention de délégation de gestion signée avec le ministère de l'intérieur le 27 novembre 2017. Cette consultation a permis au service de constater que les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, présentées comme des sociétés sous-traitantes de la SARL Transport Declik, n'avaient ni acquis, ni pris en location de véhicules depuis leur création. Il est constant que la demande de communication des résultats obtenus par la consultation du fichier SIV présentée par la SARL Transport Declik le 5 avril 2019 et reçue le 8 avril suivant par l'administration, avant la mise en recouvrement des impositions en litige, n'a donné lieu à aucune transmission. Toutefois, cette consultation étant ainsi restée infructueuse, l'administration, qui n'était pas tenue d'établir un document justifiant de ce caractère infructueux, n'avait dès lors obtenu de tiers et ne disposait d'aucun document susceptible d'être communiqué. Si la société requérante remet en cause l'exactitude des données saisies par le service vérificateur pour procéder à ces recherches, ces informations ne constituent pas des documents ou renseignements obtenus de tiers, au sens et pour l'application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales pour prononcer la décharge, en droits et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant aux factures émises par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Transport Declik devant le tribunal administratif de Melun.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la SARL Transport Declik :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes de l'article 289 du même code : " (...) II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les mentions obligatoires qui doivent figurer sur la facture. Ce décret détermine notamment les éléments d'identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus et celles relatives à la détermination de la taxe sur la valeur ajoutée ". Aux termes de l'article 242 nonies A de l'annexe II à ce code : " Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes : (...) 6° Sa date d'émission ; 7° Un numéro unique basé sur une séquence chronologique et continue ; la numérotation peut être établie dans ces conditions par séries distinctes lorsque les conditions d'exercice de l'activité de l'assujetti le justifient ; l'assujetti doit faire des séries distinctes un usage conforme à leur justification initiale ; 8° Pour chacun des biens livrés ou des services rendus, la quantité, la dénomination précise, le prix unitaire hors taxes et le taux de taxe sur la valeur ajoutée légalement applicable ou, le cas échéant, le bénéfice d'une exonération (...) 10° La date à laquelle est effectuée, ou achevée, la livraison de biens ou la prestation de services ou la date à laquelle est versé l'acompte visé au c du 1 du I de l'article 289 du code précité, dans la mesure où une telle date est déterminée et qu'elle est différente de la date d'émission de la facture (...) ". Aux termes de l'article 269 du code général des impôts : " 1 Le fait générateur de la taxe se produit : a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué (...). 2. La taxe est exigible : (...) c) Pour les prestations de services, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits (...) ". Aux termes du 4 de l'article 283 du même code : " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée ". Enfin, selon le 2 de l'article 272 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ".
6. Un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agit d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
7. Il résulte de l'instruction que, pour remettre en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures établies par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, l'administration fiscale a relevé qu'aucun contrat de sous-traitance n'avait été conclu entre la SARL Transport Declik et ces trois sociétés, lesquelles n'avaient déposé aucune déclaration de résultats ou de taxe sur la valeur ajoutée, et que les dossiers de sous-traitance étaient incomplets et non actualisés. Le service vérificateur a également retenu que la consultation du fichier SIV avait permis de constater qu'aucune de ces sociétés n'avait acquis ou pris en location de véhicule depuis leur création. S'agissant de la facturation des prestations, l'administration a constaté que les factures émises par ces sociétés ne respectaient pas les règles de numérotation exigées et qu'elles étaient insuffisamment renseignées, faute de comporter les dates de réalisation des prestations facturées, les lieux de livraison, ainsi que le nombre de colis pris en charge et livrés ou l'identification et l'immatriculation du ou des véhicules loués et la période de location. Enfin, l'administration a retenu qu'aucune pièce justificative n'avait été présentée pour établir la nature des prestations ou les moyens humains et matériels nécessaires à l'exécution de ces prestations, le nombre de personnes ou de véhicules mis à disposition et les éléments d'identification du personnel ou du matériel ayant permis la réalisation des prestations facturées.
8. La SARL Transport Declik, qui produit les factures établies par les sociétés Djo Express et Transport Lo Express auxquelles elle indique avoir sous-traité des prestations de livraison au cours des années 2016 et 2017 pour la première d'entre elles et en 2018 pour la seconde, ainsi que des relevés bancaires se rapportant à leur paiement, ne présente aucune pièce justificative utile de nature à établir les modalités d'exécution des prestations réalisées, leur nature exacte, la période et les lieux précis d'exécution de la sous-traitance, comme les conditions matérielles de ces opérations et les moyens humains nécessaires à leur réalisation. Si elle rappelle la liste des pièces justificatives contenues dans les dossiers de sous-traitance de ces deux sociétés qu'elle a présentés à l'administration au cours du contrôle, elle ne conteste toutefois pas le constat du vérificateur, qui a retenu l'incomplétude des dossiers de ces sociétés sous-traitantes, et elle n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'elle aurait procédé aux vérifications qui lui incombaient en vertu de l'article L. 8222-1 du code du travail. Par ailleurs, elle ne démontre pas, par la production d'un extrait K-bis de la SARL Djo Express édité le 1er avril 2019, postérieurement à la notification de la proposition de rectification, ou par ses seules allégations, le caractère erroné des informations recueillies par l'administration sur ces deux sociétés à l'occasion de la consultation du fichier SIV. S'agissant de la société Group France Trading, auprès de laquelle elle indique avoir loué des véhicules utilitaires dans le cadre de ses activités de livraison au cours des années 2016 et 2017, elle n'apporte aucune pièce permettant de démontrer le caractère effectif de ces locations, notamment les devis et contrats correspondants, les fiches d'état des véhicules et leur kilométrage, leur immatriculation et leur désignation commerciale. La matérialité de ces locations ne saurait résulter de la seule production de plannings de navettes régulières comportant l'indication de noms de chauffeurs, la désignation de clients, la commune de destination et une immatriculation de véhicule. Si la société requérante soutient que la société Group France Trading a agi comme un intermédiaire opaque, elle ne l'établit pas. Enfin, la société requérante ne conteste pas utilement les défaillances systématiques des sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading dans leurs déclarations sociales et fiscales en se bornant à soutenir que la société Transport Lo Express aurait clôturé son exercice au titre de l'année 2018 postérieurement à l'établissement de la proposition de rectification du 18 décembre 2018. Dans ces conditions, la SARL Transport Declik n'apporte pas de justifications utiles permettant de remettre en cause les éléments retenus par l'administration, qui ont permis de déduire d'un faisceau d'indices suffisants, sérieux et concordants que les facturations écartées par le service ne permettaient pas à elles seules d'établir la réalité des prestations facturées.
9. En second lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
10. L'administration fiscale, qui se prévaut de la nature, de l'importance et de la répétition des manquements ayant consisté à déduire à tort la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures établies par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, doit être regardée comme établissant l'intention délibérée de la SARL Transport Declik de se soustraire à l'impôt et, par suite, le bien-fondé des pénalités de 40 % pour manquement délibéré qui lui ont été infligées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a prononcé en faveur de la SARL Transport Declik la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents aux factures émises par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, ainsi que des majorations correspondantes. Par suite, il y a lieu d'annuler l'article 2 du jugement attaqué et de remettre ces impositions et majorations à la charge de la SARL Transport Declik.
Sur la requête n° 24PA01699 :
12. Par le présent arrêt, la Cour statue sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique tendant à l'annulation de l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Melun en date du 21 décembre 2023. Par suite, la requête n° 24PA01699 tendant à ce que soit prononcé, dans cette mesure, le sursis à exécution de ce jugement est devenue sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24PA01699 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée assignés à la SARL Transport Declik au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 mai 2018 et relatifs aux factures émises par les sociétés Djo Express, Transport Lo Express et Group France Trading, ainsi que les majorations correspondantes, sont remis à sa charge.
Article 3 : Le jugement n° 2010719 du tribunal administratif de Melun en date du 21 décembre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à Me Sophie Tcherniavsky, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Transport Declik.
Délibéré après l'audience du 2 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lemaire, président,
- Mme Boizot, première conseillère,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour le 10 juillet 2025.
La rapporteure,
C. LORIN
Le président,
O. LEMAIRE
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24PA01698, 24PA01699