Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre des armées a rejeté sa demande indemnitaire préalable tendant à obtenir la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à l'occasion de la liquidation de sa solde de réserve de retraite et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 222 783 euros au titre de son préjudice matériel ainsi que celle de 10 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence.
Par un jugement n° 2215552/5-3 et 2301184/5-3 du 24 janvier 2024, le tribunal administratif de Paris rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une ordonnance n° 492859 du 10 juillet 2024, enregistrée le 11 juillet 2024 par le greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la Cour administrative d'appel de Paris la requête de M. B..., tendant à l'annulation de ce jugement.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 mars 2024, 14 juin 2024, 2 septembre 2024 et 9 décembre 2024, M. B..., représenté par la SCP Foussard - Froger, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, faute de répondre au moyen opérant, tiré de la responsabilité pour faute de l'Etat ;
- en refusant de considérer que la responsabilité de l'administration était engagée à son égard, le tribunal a commis des erreurs de droit et de qualification juridique des faits, et a dénaturé les faits et les pièces du dossier ;
- le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière, faute pour le tribunal d'avoir tenu compte des nouvelles pièces produites avec ses mémoires en réplique présentés le 3 janvier 2024, en lui opposant les effets attachés à la clôture de l'instruction alors que les ordonnances prononçant cette clôture ne lui avaient pas été régulièrement notifiées ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'ensemble des renseignements erronés qui lui ont été fournis n'avaient pu l'induire en erreur et engager, en conséquence, la responsabilité pour faute de l'Etat à son égard ;
- cette faute lui a, directement et de façon certaine, causé un préjudice ;
- le rejet de ses conclusions indemnitaires méconnaît enfin les dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le principe du préjudice matériel subi est caractérisé ; son montant est justifié par les tableaux produits en pièces 10 et 11 à l'appui de sa demande de première instance n° 2301184 ; il pourrait être précisé par un expert ;
- il établit par ailleurs le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence subis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2024, le ministre des armées et des anciens combattants conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 10 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 décembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le décret n° 74-338 du 22 avril 1974 ;
- le décret n° 2006-882 du 17 juillet 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique
- et les observations de Me Froger, pour M. B....
Une note en délibéré a été enregistrée le 23 juin 2025, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né en 1965, a été nommé dans le corps des ingénieurs de l'armement, le 1er septembre 1989. Du 15 mars 2002 au 30 avril 2015, il a été placé à sa demande en détachement au sein de la direction générale des impôts et du ministère du budget. Puis, par un arrêté du 26 août 2015, il a été placé en service détaché auprès de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) pour la période allant du 14 septembre 2015 au 13 septembre 2018. Par un arrêté du 31 août 2018, le requérant a été admis à sa demande dans la deuxième section des officiers généraux de l'armement à compter du 14 septembre 2018, avant d'être inscrit, par un arrêté du 3 juin 2019, au contrôle des soldes de réserve à compter du 1er octobre 2018, date à laquelle une solde de réserve correspondant à 71,608 % du montant annuel de la solde applicable lui a été attribuée. Le 28 octobre 2019, M. B... a formé un recours administratif préalable obligatoire devant la commission de recours des militaires contre l'arrêté du 3 juin 2019. Par une décision expresse du 30 juin 2020, la ministre des armées a rejeté son recours. Le 14 mars 2022, le requérant a formé une demande indemnitaire préalable auprès du ministre des armées afin d'être indemnisé des préjudices qu'il estimait avoir subis à l'occasion de la liquidation de sa solde de réserve. Le 11 juillet suivant, il a saisi la commission de recours des militaires d'un recours contre la décision rejetant implicitement sa demande. M. B... relève appel du jugement du 24 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 232 783 euros en réparation de ces préjudices.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 613-1 du code de justice administrative : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close. Cette ordonnance n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. / Les lettres remises contre signature portant notification de cette ordonnance ou tous autres dispositifs permettant d'attester la date de réception de ladite ordonnance sont envoyés à toutes les parties en cause quinze jours au moins avant la date de la clôture fixée par l'ordonnance. / (...) ". La méconnaissance par le tribunal administratif de ces dispositions a pour effet, non d'entacher le jugement rendu à la suite de cette ordonnance d'un vice de nature à en entraîner l'annulation, mais seulement de rendre l'ordonnance de clôture de l'instruction inopposable aux parties.
3. En l'espèce, il résulte de l'instruction que si, dans chacun des deux dossiers dont il était saisi, le tribunal a, le 18 octobre 2023, communiqué au requérant le premier mémoire en défense de l'administration, et a fixé la date de clôture au 2 novembre 2023, aucune lettre portant notification des ordonnances de clôture de l'instruction, en date du 18 octobre 2023, n'a été envoyée aux parties. Le tribunal ne pouvait dès lors opposer au requérant l'effet de ces actes de procédure et viser, sans les analyser, les mémoires en réplique produits par M. B... le 3 janvier 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction, auxquels étaient jointes de nouvelles pièces utiles à la solution du litige. M. B... est, par suite, fondé à soutenir que le jugement est irrégulier.
4. Il y a lieu pour la Cour, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à la régularité du jugement, de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. La décision par laquelle le ministre des armées a implicitement rejeté la demande indemnitaire préalable formée par M. B... a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de cette demande. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
6. Aux termes de l'article L. 51 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Les officiers généraux âgés de moins de soixante-sept ans placés dans la deuxième section de l'état-major général reçoivent une solde de réserve égale au taux de la pension à laquelle ils auraient droit s'ils étaient en position de retraite ". Aux termes de l'article R. 58 du même code : " La solde de réserve prévue à l'article L. 51 est assimilée à une pension de retraite au regard des règles de liquidation, de revalorisation et de cumul prévues par le présent code (...) ". Aux termes de l'article L. 11 dudit code : " Les services pris en compte dans la liquidation de la pension sont : / (...) / Pour les militaires, les services énumérés aux articles L. 5 et L. 8 (...) ". Aux termes de l'article L. 12 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : / (...) / i) Une bonification du cinquième du temps de service accompli est accordée dans la limite de cinq annuités à tous les militaires à la condition qu'ils aient accompli au moins dix-sept ans de services militaires effectifs ou qu'ils aient été rayés des cadres pour invalidité ; le maximum de bonifications est donné aux militaires qui quittent le service à cinquante-neuf ans ; la bonification est diminuée d'une annuité pour chaque année supplémentaire de service jusqu'à l'âge mentionné à l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 25-1 de ce code, alors en vigueur : " La bonification prévue au i de l'article L. 12 attribuée dans la limite de vingt trimestres est calculée en fonction des services militaires effectivement accomplis (...) ". Il ressort des dispositions précitées de l'article L. 12-i du code des pensions civiles et militaires de retraite que le " temps de service accompli " qu'elles retiennent pour fixer la valeur de la bonification du cinquième qu'elles prévoient est " le temps de services militaires effectifs " mentionné dans la même phrase, et que, par suite, la bonification dont il s'agit doit être calculée, comme le prévoit l'article R. 25-1 précité du même code, en fonction des seuls services militaires effectivement accomplis, à l'exclusion de toute prise en compte des services civils.
7. Il résulte du titre de la solde de réserve attribuée à M. B... par l'arrêté du 3 juin 2019 que la bonification qui lui a été accordée au titre des dispositions précitées du i) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, soit trois ans, un mois et dix jours, correspond seulement à ses services militaires effectivement accomplis, sans prendre en compte ses périodes de détachement.
8. Pour établir l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, M. B... fait état d'erreurs affectant les prescriptions d'une instruction du service des pensions des armées du 16 octobre 1979, les mentions des arrêtés décidant son détachement et les prévisions du fascicule édité par le ministère de la défense en 2003, relatif aux positions statutaires des officiers des corps de l'armement. Il ne saurait toutefois prétendre avoir, lors de ses détachements successifs, été induit en erreur par les prescriptions de l'instruction du 16 octobre 1979 qui rappelait expressément les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 25-1 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et par les mentions des arrêtés décidant son détachement selon lesquelles les fonctions exercées étaient réputées être de même nature que celles visées à l'article R. 75 du code des pensions civiles et militaires de retraite relatif au droit des militaires en service détaché aux bénéfices de campagne, lequel ne mentionne pas la bonification litigieuse. Il ne saurait davantage se référer aux prévisions du fascicule édité par le ministère de la défense en 2003, qui, bien que mentionnant, de façon erronée, que le détachement sur des emplois civils donne droit à la bonification dite du " cinquième ", indiquent en préambule que ce fascicule ne dispense pas " d'un examen approfondi et précis adapté à chaque cas personnel, examen indispensable avant toute décision de changement de position ", et qui est d'ailleurs postérieur à son premier détachement. Il n'est donc pas fondé à faire état de ces divers éléments pour se prévaloir d'une espérance légitime de bénéficier de la bonification en cause, devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et pour demander à être indemnisé à raison de l'absence de prise en compte de ses services civils accomplis en détachement.
9. Il résulte toutefois de l'instruction, qu'avant d'opter entre un détachement et le statut d'employé de droit privé à l'occasion de son recrutement par la CNAMTS en 2015, M. B... s'est vu remettre, d'une part, le 11 juin 2015, un état général de ses services prenant en compte, à tort, cinq annuités au titre de la bonification prévue par le i) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, et, d'autre part, le 16 juin suivant, cinq estimations de sa pension militaire mentionnant également cette bonification de cinq annuités. Même si l'état général des services n'est pas été signé, l'administration a commis une faute en lui délivrant ces renseignements erronés, qui ont pu l'induire en erreur.
10. Il résulte cependant des écritures de M. B... et, en particulier des tableaux produits en pièce 10 à l'appui de sa demande de première instance n° 2301184, que le préjudice matériel dont il demande à être indemnisé pour un montant total de 222 783 euros, correspond aux cotisations de retraite, évaluées à partir des valeurs de rachat, qu'il a versées pendant deux ans et demi, entre le 1er avril 2016, date à laquelle il aurait pu être admis dans la deuxième section des officiers généraux si la bonification prévue par le i) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, lui avait été accordée pour cinq annuités, et le mois de septembre 2018 au cours duquel il a effectivement été admis en deuxième section. Or, compte tenu de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus, et compte tenu de la durée des services militaires qu'il a effectivement accomplis, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la bonification prévue à l'article L. 12 devait lui être accordée pour cinq annuités le 1er avril 2016, et qu'il aurait pu être admis en deuxième section dès cette date. Ainsi, il ne démontre pas l'existence du préjudice matériel dont il fait état. A supposer qu'il ait entendu soutenir qu'il aurait pu, s'il avait bénéficié d'informations exactes, racheter des trimestres, ce préjudice est purement éventuel et ne peut, dès lors, être indemnisé. Ses conclusions tendant à l'indemnisation de son préjudice matériel doivent donc, sans qu'il soit besoin de procéder à une expertise, être rejetées.
11. En revanche, l'erreur commise a causé au requérant un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.
En ce qui concerne les autres moyens :
12. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus de son préjudice matériel, M. B... n'est en tout état de cause pas fondé à réclamer l'indemnisation de ce préjudice sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 5 000 euros.
Sur les frais du litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2215552/5-3 et 2301184/5-3 du 24 janvier 2024 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et de ses conclusions d'appel est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Bonifacj, présidente de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2025.
La rapporteure,
M-D. JAYERLa présidente,
J. BONIFACJ
La greffière,
E. TORDO
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24PA03202